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est obligé de recourir à des équivalens, tous plus ou moins foibles. Il en résulte souvent une diction obscure et embarrassée. Le lecteur, qui veut des faits et non des périphrases et des métaphores, maudit alors la délicatesse du poète, qui n'ose appeler les choses par

leurs noms.

C'est à ce vice du sujet qu'il faut attribuer plusieurs vers foibles et prosaïques échappés à M. Delaharpe. Lorsqu'il est dégagé de ces entraves, sa marche est noble et rapide.

L'auteur a senti que son récit, pour être intéressant, devoit être fidèle; il a présenté chaque personnage avec son véritable caractère, chaque fait avec toutes ses circonstances historiques. Toutefois il ne s'est pas privé de la ressource du merveilleux; mais ce merveilleux, loin de nuire à la vérité, lui donne, en quelque sorte, un nouveau degré de vraisemblance. Le hasard et la volonté des hommes n'ont pas seuls conduit ces terribles événemens; la raison la plus in.crédule est forcée d'y reconnoître la main de Dieu, Quel champ pour l'imagination du poète chrétien! Ces novateurs, dont les maximes ont été si funestes à la France, n'étoient-ils pas inspirés par cet ange d'orgueil qui séduisit le père du genre humain, qui suggéra aux ennemis de Dieu la pensée d'élever la tour de Babel? L'Eternel, irrité de tant de blasphêmes, n'a-t-il pas permis que la France se punît elle-même de son impiété? Le poète, après avoir remonté ainsi à l'origine de nos malheurs et de nos égaremens, transporte le lecteur dans le séjour des bienheureux. Dieu prononce l'arrêt de la France par la voix du prophète Isaïe. Il la livre à la fureur des puissances infernales. Mais sa bonté se fait sentir jusque dans sa colère; il annonce à saint Louis, qui in

tercède pour son peuple, que la vengeance aura ́des bornes :

Si l'arbre est émondé, j'affermis ses racines.
Louis, tu le verras, sorti de ses ruines
Se relever plus beau des atteintes du fer,

Et les cieux s'enrichir des fureurs de l'enfer.

Ici, l'auteur ne semble-t-il pas lui-même animé d'un esprit prophétique?

L'archange Michel va porter à Satan les ordres du Très-Haut; et le 5e. chant est rempli par une délibération des démons: cette délibération est fort longue, et nous a paru manquer d'intérêt. Dès l'instant que Dieu a livré la France aux anges des ténèbres, faut-il nous les représenter se disputant leur proie? Ce chant seroit supprimé en entier, que la marche de l'action n'en seroit pas ralentie. D'ailleurs il est reconnu aujourd'hui que cette mythologie moderne sur l'enfer est aussi peu conforme au bon goût qu'à la saine doctrine.

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M. Delaharpe paroît plus heureux dans l'invention. de l'épisode de la Carmélite, qui fait partie du 1er, chant. L'auteur suppose que Cécile, jeune religieuse, sort de sa retraite pour faire part au Roi d'un songe mystérieux. Elle a vu, pendant son sommeil Mme. Louise, fille de Louis XV, et prieure des Carmélites de Saint-Denis; l'auguste princesse lui a prédit une partie des malheurs dont est menacé le trône des Bourbons. Elle arrive au Louvre : quel est son étonnement!

Elle ne voyoit rien qu'un désert et des armes,

Que de mornes soldats, des fronts chargés d'alarmes;
Nulle trace de rangs, d'honneurs, de dignité,
Et d'un même néant la triste égalité;

Louis enfin, ce Roi, le premier de la terre,
Sous l'obscur vêtement d'un citoyen vulgaire.

Il est difficile de tracer un tableau plus touchant et plus vrai. Il rappelle ce beau mouvement de Virgile:

Hei mihi, qualis erat!

Il y a de l'énergie et de la profondeur dans ce vers expressif:

Et d'un même néant la triste égalité.

Cet épisode est un des plus beaux ornemens du sujet dont il rompt la lugubre monotonie. Il contribue à faire regretter que M. Delaharpe ait été interrompu par la mort au milieu de son ouvrage. Il paroît que la jeune Carmélite devoit, dans le plan de l'auteur, reparoître à la fin du poème, pour y jouer un rôle intéressant.

Nous croyons pouvoir assurer que cet ouvrage est digne de la réputation de M. Delaharpe on y retrouve non-seulement cette correction, cette pureté de goût qui distinguent ses autres productions, mais une verve et une chaleur qui lui sont peu ordinaires. Il n'est pas étonnant que son talent ait reçu de nouvelles forces d'une religion à laquelle l'auteur d'Athalie a dû ses inspirations les plus sublimes.

B.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

ROME. On a lu ici avec surprise, dans quelques journaux, un ordre du jour, publié à Ancône, par un officier napolitain, qui traduit devant une commission spéciale des malveillans qui cherchent, dit-il, à troubler la tranquillité des départemens du Metauro, du Musone et de Tronto, et qui y sement des bruits séditieus. On s'est demandé si nous étions encore au temps

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où on appeloit séditieux les sujets les plus fidèles. Çà été assez long-temps la mode en Espagne et ailleurs. Le tyran qui vouloit asservir ce pays, donnoit le nom de révoltés aux généreux Espagnols armés contre lui. Mais aujourd'hui que son joug est brisé, que toutes les injustices se réparent, que chacun rentre dans ses droits, ce langage révolutionnaire, et les procédés qui en sont la suite, devroient être également proscrits. L'usurpation doit cesser avec l'usurpateur. Il avoit envahi, en 1808, la Marche d'Ancône et la partie orientale de l'Etat de l'Eglise, les avoit ôtées au Pape, et en avoit fait trois départemens. Mais le Saint-Siége n'a cédé ces provinces par aucun traité. Aucun traité ne les a données à une autre puissance. Il est aussi injuste de les retenir que de les avoir prises. Les habitans qui montrent de l'attachement à leur gouvernement légitime, ne peuvent donc être regardés comme des malveillans et des séditieux. Les malveillans et les séditieux seroient bien plus justement ceux qui troubleroient ces provinces par des armées étrangères, et qui y exerceroient des ravages ou une autorité illégitime. La Marche d'Ancône et les pays environnans appartiennent aussi bien au Pape que Rome et le littoral de la Méditerranée. Il doit rentrer également en possession des uns et des autres, et les lui retenir par la violence, quand on n'a aucun titre à alléguer, est un acte d'ambition et de tyrannie qui a trop de ressemblance avec la conduite du dernier despote, et qui probablement n'auroit pas un plus long succès que ses procédés iniques. Une telle usurpation ne seroit plus en harmonie avec l'esprit qui anime les souverains nos libérateurs. Ils ont donné au monde, dans cette grande révolution, l'exemple d'une modération, d'un désintéressement et d'une équité admirables, et ce n'est pas entrer dans leurs vues, ce n'est pas servir leur cause ce n'est pas se rendre digne de leur bienveillance, que de ne pas, à leur imitation, restituer à ses voisins ce qui leur a été pris par une injustice manifeste, et d'exercer, au contraire, dans leurs domaines, des vexations

ervers des sujets qui profitent de cette restauration générale pour témoigner leur fidélité et leur dévouement à leur souverain légitime.

PARIS. Dans la séance de la Chambre des Députés, du 5 juillet, M. Bouvier, procureur-général de Besançon, et député du Jura, a prononcé un discours et proposé une loi sur l'observation des dimanches et des fêtes. L'un et l'autre sont dignes d'un législateur sage et religieux, et l'on a du plaisir à les voir partir de cette tribune qui, pendant des temps fâcheux, a retenti plus d'une fois d'accens bien différens.

« Messieurs, a-t-il dit, il s'agit, en déférant au vœu de la très-grande majorité de la nation, et en consacrant, par des dispositions législatives, un usage qui s'observe dans presque toutes les communes de la France, il s'agit d'honorer particulièrement le culte antique de nos pères, sans que la liberté des autres religions et la protection qui est assurée à tous les cultes en éprouvent aucune atteinte. Il s'agit de faire cesser on de prévenir les erreurs ou excès de pouvoir dont l'administration la mieux intentionnée n'auroit pas su se garantir en cette matiere, ou dans lesquels elle pourroit tomber, et de mettre fin à des délations dont la foule déjà commence à nous assiéger, et dont quelques-unes ont été vraisemblablement suggérées par la haine que certaines gens ont conçue pour toute espèce d'autorité et pour toute espèce de frein.

» Jamais Etat ne fut fondé, que la religion ne lui servît de base. Ce n'est point une théorie que j'énonce ici; c'est une vérité de fait, constante, invariable, universelle que j'avance. La religion nécessaire à l'ordre social n'est pas non plus ce qu'on nomme communément la religion naturelle, laquelle n'est au fond qu'une spéculation philosophique, livrée aux caprices des opinions humaines : c'est une religion positive qui fixe les devoirs de l'homme, et dont tous les préceptes ont la sanction de l'autorité divine. Toutes les nations du monde ont professé une religion positive, et pratiqué un culte public. Cette expérience est sans exception.

» S'il est juste et sage de protéger les différens cultes qui sont établis dans un Etat, il ne l'est pas moins d'honorer d'une manière particulière celui qui est professé par la grande majorité de la nation. En France, c'est la religion catholique, apostolique et romaine qui a cet avantage, et qui, pour cela,

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