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saire, l'avantage de faire sanctionner par le pays des mesures financières d'une rigueur inévitable, quelles qu'elles fussent; enfin celui de trancher des questions délicates, dont il y avait intérêt à laisser la responsabilité aux représentants de la nation. C'était, suivant lui, aux états qu'il appartenait de confirmer les renonciations imposées à Philippe V, et de priver les légitimés du droit de succéder au trône, que Louis XIV leur avait donné. Pour des dangers, Saint-Simon n'en voyait aucun, puisqu'il n'existait plus ni parti ni faction capable de troubler le royaume. Si les états devaient apporter des défiances, ou même des dispositions hostiles, ce serait contre les hommes de l'ancien gouvernement qu'on n'avait pas à défendre, et non contre les chefs du gouvernement nouveau.

La proposition fut écartée, mais la question, discutée à la cour et dans les conseils du régent, ne tarda pas à être ramenée par les événements qui suivirent.

Le 16 août 1716 les princes de la maison de Condé demandèrent au régent d'abolir les dernières déclarations par lesquelles Louis XIV avait assimilé ses enfants légitimés aux princes du sang. Ils représentèrent que ces déclarations changeaient les conditions de la transmission de la couronne, et que des lors elles étaient attentatoires aux droits de la nation. Les princes légitimés répondirent par un mémoire où ils demandèrent à leur tour que la question fût ajournée jusqu'à la majorité du roi, et que le roi majeur prit pour la trancher l'avis des trois états; ils ajoutèrent qu'ils ne reconnaissaient pas en pareille matière la compétence du Parlement. Les princes légitimes répliquèrent que Louis XIV n'avait pas pris l'avis des trois états, que Louis XV ou le régent, pendant la minorité, n'avaient donc pas à le prendre, et que l'acte était nul de soi. Le régent favorisait la demande des princes légitimes. D'un autre côté il aimait le repos; il eût désiré éviter les contestations, et ménager la duchesse d'Orléans, qui, légitimée ellemême, était très-attachée à ses frères, surtout au duc du Maine. Louis XIV s'était évidemment proposé en faisant des mariages entre ses enfants légitimés et les princes du sang, d'empêcher ou d'amortir des luttes faciles à prévoir. Le régent, pacifique de sa nature, chercha d'autant mieux des délais ou des moyens termes, qu'il éprouvait une défiance instinctive à entendre invoquer les états généraux et les droits de la nation. Il était d'ailleurs soutenu par le Parlement, qui voyait dans

LES LÉGITIMÉS, LES PAIRS ET LA NOBLESSE. 203

la seule mention des états généraux une attaque dirigée contre lui-même.

Cependant la question n'était pas facile à éluder, car les princes n'y étaient pas seuls intéressés. Les ducs et pairs, que Saint-Simon ne cessait d'animer de ses prétentions, et qui lui avaient donné une sorte de mission de les représenter, adressèrent en 1717 une requête contre le rang qui avait été assigné aux légitimés au-dessus d'eux. Le reste de la noblesse, trèscontraire aux prétentions des ducs et pairs et aux théories de Saint-Simon, qui portaient atteinte à l'égalité originaire de ses membres, manifesta son opposition et soutint la cause des légitimés par cette unique raison. Elle adressa à son tour au régent une requête signée de plusieurs gentilshommes. Le régent nomma pour examiner ces requêtes une commission de conseillers d'État, mais interdit à la noblesse d'agir comme corps, ce qu'elle n'avait aucun droit de faire.

Malgré cette défense, trente-neuf gentilshommes se réunirent et protestèrent contre la désignation de commissaires, en soutenant toujours que la question était uniquement du ressort deș états généraux. Les princes légitimés appuyèrent cette protestation. Le régent la fit supprimer par le Parlement, et envoya six des principaux signataires à la Bastille.

Mais il fallait prendre un parti. Or, Philippe d'Orléans était trèsdécidé à ne pas convoquer les états généraux. Saint-Simon était maintenant des premiers à l'en dissuader, sachant bien qu'il les trouverait hostiles aux prétentions des ducs et pairs. Il représenta que depuis deux ans la situation avait changé, que le moment était défavorable, depuis « que tout étoit enflammé, entamé sur les finances », qu'ils seraient une gêne, non une force; qu'ils montreraient, non plus de la confiance, mais de la défiance, qu'ils n'apporteraient que trouble, confusion, contrariétés d'intérêts; qu'ils ne se borneraient pas à de simples remontrances, qu'on ne pourrait limiter les objets de leurs discussions. « Ne vous abusez pas, ajoutait-il. Le manque absolu de confiance réglera le fond et la forme des demandes, et la nation, en vue du soulagement qu'elle attend, se mettra tout entière du côté des états. » Ces idées étaient celles d'un autre conseiller du régent et d'un conseiller plus écouté. L'abbé Dubois observait qu'il serait périlleux de faire marcher des soldats contre les états généraux, ce qui se faisait toujours sans difficulté contre le Parlement. Il était partisan décidé de l'abso

lutisme, et repoussait tout ce qui pouvait sembler une imitation du gouvernement anglais.

la

Le régent prit donc le parti de casser par un édit (le 8 juillet 1717) les déclarations de Louis XIV qui assimilaient les légitimés aux princes du sang, et leur donnaient un droit éventuel à couronne. Il laissa seulement au duc du Maine et au comte de Toulouse, à titre personnel et viager, la jouissance des droits honorifiques qui leur avaient été attribués dans le Parlement. Il déclara dans le préambule de l'édit qu'il n'avait pas eu besoin de consulter la nation pour révoquer une disposition qui ne lui avait pas été soumise. En même temps il reconnut que si le trône devenait vacant faute d'héritiers légitimes, « ce seroit à la nation même qu'il appartiendroit de réparer ce malheur par la sagesse de son choix. » Car, ajoutait-il, « les lois fondamentales du royaume qui mettoient le souverain dans une heureuse impuissance d'aliéner le domaine de la couronne, le laissoient encore moins libre de disposer de la couronne même. »

Le grand orateur religieux de la cour exprimait alors, bien que d'une autre manière, des idées semblables. Massillon, récemment nommé évêque de Clermont, mit le sceau à sa renommée de prédicateur par les sermons du petit carême, qu'il prononça en 1718 dans la chapelle de Versailles, devant Louis XV enfant. Comme l'age du prince ne permettait pas la supposition d'allusions personnelles, il exposa sur le gouvernement, sur la cour, sur les grands, des principes absolument opposés à ceux de Bossuet, quoique devant aboutir aux mémes conclusions chrétiennes.

« C'est pour les peuples tout seuls, s'écriait-il, que le trône est élevé. Les grands et les princes ne sont pour ainsi dire que les hommes du peuple; aussi la prospérité des grands et des ministres, des souverains qui ont été les oppresseurs des peuples, n'a jamais porté que la honte, l'ignominie et la malédiction à leurs descendants. >>

« La gloire d'un conquérant, dit-il encore, sera toujours souillée de sang. Il aura passé comme un torrent pour ravager la terre, et non comme un fleuve majestueux pour y porter la joie et l'abondance, et l'on ne rappellera l'histoire de son règne que pour rappeler le souvenir des maux qu'il a faits aux hommes. »

Massillon s'attache à montrer que les peuples ont toujours souffert des vices du souverain; que le gouvernement n'a plus

POLITIQUE ÉTRANGÈRE.

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de règle quand le maître lui-même n'en a point. Les princes doivent à leurs peuples une liberté, la liberté des lois. « Vous ne connoissez que Dieu seul au-dessus de vous, il est vrai; mais les lois doivent avoir plus d'autorité que vous-mêmes. » Voici enfin comment il interprète la doctrine du droit divin : « Ce sont les peuples qui, par ordre de Dieu, ont fait les rois ce qu'ils sont. Oui, sire, c'est le choix de la nation qui mit d'abord le sceptre entre les mains de vos ancêtres. C'est elle qui les proclama souverains. Le royaume devint ensuite l'héritage de leurs successeurs; mais ils le durent originairement au consentement libre des sujets, et ce furent les suffrages publics qui attachèrent ce droit et cette prérogative à leur naissance; en un mot, comme la première source de leur autorité vient de nous, les rois ne doivent en faire usage que pour nous. »

V. Le régent éprouvait un vif désir d'affermir la paix. Elle était mal assurée, car la France se trouvait dans le même isolement que pendant la dernière guerre, et n'avait d'alliés nulle part, pas même à Madrid. Les Espagnols continuaient de lui imputer le démembrement de leur monarchie. Philippe V conservait le ressentiment personnel le plus vif contre son cousin, en dépit d'une apparente réconciliation. Il avait songé à le supplanter dans la régence; il avait même pendant les derniers temps de Louis XIV donné des instructions dans ce sens au prince de Cellamare, son ambassadeur à Paris. Maintenant il se proposait, dans le cas où Louis XV mourrait, ce que la faible santé du jeune roi donnait à craindre, de revendiquer la couronne de France pour lui et pour ses fils du premier lit, en Jaissant l'Espagne à ceux du second. Il était convaincu que son droit personnel était inamissible et supérieur à toutes les renonciations, et que ses engagements envers l'Europe seraient satisfaits pourvu que les deux couronnes demeurassent séparées. Il s'attacha longtemps à cette idée, avec la ténacité indomptable d'un esprit étroit et rebelle aux contradictions.

Le régent s'efforça d'amener la cour d'Espagne à de meilleurs sentiments. Il envoya successivement à Madrid deux ou trois agents choisis parmi ceux qui y avaient déjà séjourné et qui avaient joui de la confiance de Philippe V; il offrit même ses bons offices pour négocier une rétrocession de Gibraltar par les Anglais. Mais tout fut en vain. On ne voulut ni admettre ses envoyés ni écouter ses offres. Il dut chercher ailleurs

d'autres garanties de la paix. L'abbé Dubois, autrefois son précepteur et alors son principal confident, lui conseilla de rechercher l'alliance de l'Angleterre et de la Hollande.

Dubois, de naissance obscure, de mine et de tournure chétives, et n'ayant d'abbé que la soutane, n'avait fait longtemps aucune figure à la cour. Les mauvaises mœurs du régent plaidaient contre l'éducation qu'il lui avait donnée; on allait jusqu'à l'accuser de les avoir favorisées par une basse complaisance. S'il n'avait pas encore les ennemis acharnés que sa grandeur lui fit plus tard, il avait peu d'amis, peu d'influence et peu de considération. Cependant Philippe d'Orléans le sachant dévoué, l'avait fait secrétaire de ses commandements, et employé à quelques négociations. Louis XIV, appréciant sa dextérité, sa finesse et son énergie, le chargea aussi en sousœuvre de plusieurs missions, Dubois observa beaucoup, et apprit à connaître les cours étrangères. Doué d'une ténacité extrême, les obstacles ne l'arrêtaient pas; il semblait les traiter comme un jeu, et son peu de scrupule facilitait son assurance. Aussi le régent s'empressa-t-il dès son avénement de lui donner une place de conseiller d'État ; il la remplit avec d'autant plus d'autorité que son obscurité, la simplicité extrême de ses manières et son age, il avait plus de soixante ans, empêchaient de lui supposer une grande ambition.

Stair, l'envoyé anglais, faisait alors de vives plaintes de l'assistance fournie au Prétendant, et insistait pour qu'on l'obligeât de quitter la France, où il était rentré après l'entreprise d'Écosse. C'était une des conditions du traité d'Utrecht, et George I exigeait qu'elle fût exécutée, non qu'il redoutat en lui un rival, mais parce qu'en l'éloignant davantage il espérait calmer plus facilement l'agitation des jacobites. Le régent répondait que le dénument où le Prétendant s'était trouvé en Écosse prouvait le peu de secours qu'il avait tirés de la France; que ces secours si réduits étaient l'œuvre des catholiques, non du gouvernement, qui n'eût pu s'y opposer sans blesser les sentiments du pays; qu'enfin la France avait toujours joui du privilége de donner un asile aux princes exilés. La retraite volontaire de Jacques III à Avignon termina cette con

testation.

Le régent, ayant perdu l'espérance de s'entendre avec l'Espagne et encore plus celle de relever le trône du Prétendant, désira se rapprocher plus étroitement de George Ier, ou plutôt

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