Page images
PDF
EPUB

LE DUC DE BOURBON. PARIS-DUVERNEY.

277

de gagner les princes par des avances, des prodigalités et des

fêtes.

II. La régence léguait à ses successeurs des procès de concussion, destinés à satisfaire l'opinion publique. Le trésorier la Jonchère fut condamné. Parmi les inculpés dans le même procès se trouvaient le comte de Belle-Isle, qui fut rendu solidaire d'une partie des condamnations, et le Blanc, l'ancien secrétaire d'État de la guerre, possesseur d'une fortune énorme ; ce dernier fut acquitté. Un des malheurs de ces procès était que les poursuites, les condamnations ou les acquittements passaient pour des effets de la vengeance ou de la faveur, chose inévitable avec les intrigues qui divisaient la cour, et le discrédit que les désastres du système avaient jeté sur toutes les opérations, même sur toutes les administrations financières.

La direction des finances fut confiée au quatrième des frères Paris, Duverney, qui n'eut aucun titre officiel, mais qui exerça toute l'autorité sous le patronage de madame de Prie. Les Páris étaient intègres et sévères, en dépit des calomnies auxquelles ils ne purent échapper, et il faut rendre à l'administration d'alors cette justice qu'elle fut active, rigoureuse; qu'elle fit tout pour rétablir dans ses différents services l'ordre ancien, détruit pendant les dernières années du règne de Louis XIV. On retrancha des dépenses inutiles; on surveilla la comptabilité; on supprima les offices gênants, offices administratifs ou municipaux; on s'efforça de réduire la classe nouvelle des hommes qui avaient acheté des charges pour avoir la noblesse, et qui, trop pauvres pour soutenir leur nouveau rang, professaient pour le commerce et l'industrie un dédain malheureux.

On n'a pas assez tenu compte des services que la France a tirés au dix-huitième siècle d'une bonne organisation administrative, entretenue par des ministres préoccupés de la ramener à des traditions sévères quand elle s'en écartait, et d'y opérer les modifications ou les réformes indispensables. Elle eut assurément les défauts inhérents à la forme même du gouvernement; ses allures étaient souvent despotiques; elle laissait peu de liberté aux administrés et donnait trop à l'arbitraire. Mais elle était déjà soumise à des règles et à une hiérarchie qui corrigeaient ces défauts; il est certain qu'elle a prêté un appui et donné une force considérable au gouvernement.

Paris-Duverney fut un de ces hommes qui surent imprimer

[ocr errors]

à l'administration la vigueur et la régularité nécessaires. Cependant il fit plusieurs fautes. On se plaignait que la rareté des espèces et les mouvements désordonnés produits par le système eussent fait partout renchérir les marchandises et la maind'œuvre. Pour ramener les salaires à un taux raisonnable et les marchandises à un juste prix, il abaissa la monnaie, en dépit des objections que les économistes faisaient déjà à de semblables mesures, et comme il n'atteignait pas son but, il fut obligé, pour assurer le cours de la nouvelle monnaie, de tarifer les salaires et les prix, ce qui causa des désordres inévitables. D'ailleurs la misère, aggravée par de mauvaises récoltes, était extreme; la mendicité s'étendait et multipliait les crimes, particulièrement à Paris, dont la population avait pris depuis peu d'années un accroissement anormal.

Ces circonstances dictèrent l'établissement de nouvelles lois pénales, plus rigoureuses que les anciennes. On proscrivit la mendicité. On ordonna d'ouvrir partout des ateliers pour fournir du travail aux mendiants valides, et des asiles pour recueillir ceux qui ne l'étaient pas. On devait les contraindre à y entrer, et en cas de résistance les punir par une marque corporelle. On défendit aussi, pour empêcher l'accroissement continu de Paris, d'élever de nouvelles constructions dans la ville ou dans les faubourgs. Mais ces lois furent mal exécutées, parce qu'elles exigeaient beaucoup d'argent, qu'on n'en avait pas, et que la répression était dans bien des cas d'une sévérité exagérée. Il eût été préférable de fortifier la police et d'augmenter les mesures préventives.

La déclaration du 14 mai 1724 contre les calvinistes appartient au même ordre de préoccupations. La situation des calvinistes était intolérable, puisque soumis en droit à la législation la plus tyrannique, ils ne pouvaient y échapper que par une tolérance ou une connivence tacite des gouverneurs et des évêques. Aussi le régent avait-il songé à rétablir l'édit de Nantes; puis il avait reculé devant un acte trop significatif qui eût été un bláme du passé, eût donné lieu à de fausses interprétations, et eût obligé d'établir des lois et des règles nouvelles, sur lesquelles personne n'était d'accord. Philippe d'Orléans avait donc porté là comme partout ses inspirations libérales et son indécision ordinaire. Il n'avait rien résolu; il s'était borné à exprimer son aversion pour les rigueurs et son désir de faire exécuter les ordonnances, « autant du moins, dit

[blocks in formation]

Saint-Simon, que les contradictions et les impossibilités effectives en rendoient l'exécution possible. » Ce système mal défini

ne menait à rien.

Le duc de Bourbon et l'abbé Fleury voulurent en sortir, Ils sentaient la nécessité de prendre un parti; ils prirent celui de la rigueur. Fleury céda aux sollicitations que lui adressaient plusieurs membres du clergé, entre autres Tressan, évêque de Nantes, l'un des plus fougueux et des plus intolérants. Il remit en vigueur toutes les lois qui avaient cessé d'être régulièrement appliquées, celle qui interdisait aux calvinistes toute assemblée, celle qui ordonnait de faire baptiser les enfants et de les faire élever par des instituteurs catholiques, celle qui exigeait un acte de catholicisme pour remplir une fonction quelconque, celle qui défendait l'émigration. Les anciennes peines, les galères, la confiscation, la mort, furent rétablies.

Cette persécution, qui n'avait pas plus de motifs que sous Louis XIV, puisque les protestants ne causaient aucuns troubles, avait encore moins d'excuse, puisque l'expérience ne permettait pas de se faire la moindre illusion sur ses effets. Elle renouvelait des violences qu'on avait été réduit à déplorer, qui avaient même ému l'opinion la moins favorable aux réformés. Elle ne portait aucun remède aux embarras dont on eût voulu sortir, puisque plus la loi était rigoureuse, plus les pouvoirs publics devaient trouver de difficultés à l'exécuter, Elle ne pouvait que raviver les baines et perpétuer le mal en l'aggravant.

Ce fut ce qui arriva. On vit recommencer tous les désordres qu'on voulait empêcher. Il y eut des violences, des scènes odieuses, des abus de tout genre, et il y en eût eu davantage si la loi de 1724 eût été exécutée aussi strictement que celle de 1685. Mais elle ne put l'être, en dépit du zèle que montrerent un certain nombre d'intendants et de prélats. Fleury luiméme en modéra l'application. Il fallut tolérer l'émigration, permettre que la Suède, qui manquait de population, offrit un asile aux réfugiés; accorder l'exercice du culte réformé non-seulement aux habitants de l'Alsace, mais aux Hollandais établis à Paris et aux Suisses établis à Lyon,

Le sentiment général de la France était si contraire au protestantisme que la déclaration de 1724 passionna peu les esprits; mais si elle ne souleva pas de bien vives critiques, du moins sur le moment même, elle ne raviva pas non plus des

le pro

haines qui tendaient à s'amortir, et elle n'empêcha pas
grès inévitable et prochain des idées de justice et de liberté.

III. Le duc de Bourbon, ou plutôt madame de Prie qui le gouvernait, craignaient de voir le duc d'Orléans se créer un parti à la cour. Le fils du régent, quoique timide et peu ambitieux, était indépendant; il refusa d'épouser une des princesses de Condé, et il épousa, en 1724, une princesse de Bade, alliance pour laquelle il ne chercha d'autre agrément que celui de sa propre famille. Il pouvait rallier autour de lui les autres princes, Conti, le duc du Maine, le comte de Toulouse. Villars le ménageait; les mécontents tournaient les yeux de son côté. Louis XV, dont personne ne démélait encore bien le caractère, paraissait avoir de l'affection pour lui. Le duc de Bourbon, pour détourner ces dangers, s'efforça de plaire au jeune roi, l'entoura de fétes, et lui en donna de magnifiques à Chantilly, où il organisa de grandes chasses propres à satisfaire un de ses goûts les plus vifs.

Dans les premiers mois de 1725, Louis XV fut atteint d'une fièvre aiguë, et l'on craignit un instant pour ses jours. Le duc, alarmé, prit la résolution de le marier au plus vite, espérant que la naissance d'un Dauphin assurerait la continuation de son propre pouvoir. Il jugea trop long d'attendre que l'infante atteignit l'âge nubile. Elle n'avait que six ans. Ce mariage trouvait toujours des improbateurs, et ne pouvait d'ailleurs servir qu'à fortifier la maison d'Orléans.

Madame de Prie donna la première le conseil de renvoyer l'infante en Espagne. Elle ne songeait qu'aux intérêts de son ambition, et n'entrait dans aucune considération politique. Villars appuya cet avis, parce qu'il avait toujours cru nécessaire de ne pas retarder le mariage du roi. Fleury ne se prononça pas et laissa faire. Louis XV ne fut pas consulté. Le duc ferma l'oreille à toutes les représentations qu'on lui adressa. Il renvoya l'infante, le 5 avril 1725, en l'accablant de cadeaux et en la faisant accompagner par un cortége d'une magnificence extraordinaire.

La cour d'Espagne donnait alors le spectacle le plus singulier. Philippe V, maladif et maniaque, avait abdiqué par scrupule religieux en faveur de son fils aîné Louis I". Puis le jeune prince ayant été enlevé subitement par la petite vérole, il était remonté sur le trône, mais après de véritables scènes de roman

MARIAGE DE LOUIS XV.

281

ou plutôt de comédie, dont le vieux maréchal de Tessé, ambassadeur de France, envoyait à Paris des récits burlesques. Philippe V n'en conservait pas moins, au plus fort de ses égarements, sa fierté ombrageuse. Il ressentit avec vivacité l'outrage qui lui était fait, et la reine Élisabeth Farnèse y fut plus sensible encore. On renvoya immédiatement en France les deux princesses d'Orléans, dont l'aînée se trouvait à quinze ans veuve du roi Louis, et la seconde était fiancée à un autre des infants, don Carlos: Tous les consuls français furent chassés. Enfin Philippe V résolut de se rapprocher de l'Empereur, avec lequel il négociait déjà.

Ce n'était pas tout que de renvoyer l'infante, il fallait trouver une princesse en age d'épouser le roi. Madame de Prie s'informa de toutes les princesses de l'Europe, et chacune des alliances possibles fut discutée.

On commença par demander la main d'une fille du prince de Galles, dans l'espérance d'obtenir de l'Angleterre une concession qui eût désintéressé la cour d'Espagne. Mais George Ier repoussa l'idée qu'une de ses petites-filles se convertit au catholicisme. Le prince Kourakin, ambassadeur russe, offrit alors la main d'Elisabeth, fille de Pierre le Grand et de Catherine. La czarine, qui venait de succéder à Pierre Ier, sollicitait vivement ce mariage et acceptait la condition d'une conversion. Elle proposait en même temps au duc de Bourbon la main de Marie Leczinska, fille du roi détrôné de Pologne, Stanislas, et s'engageait dans ce cas à le faire élire après la mort du roi régnant Auguste II. Les Condé avaient déjà brigué le trône de Pologne. Mais madame de Prie rejeta cette double proposition; d'ailleurs la basse naissance de l'impératrice Catherine Ir semblait rendre l'alliance de sa fille, la princesse Élisabeth, peu sortable pour un roi de France.

La duchesse douairière de Bourbon eut l'idée de proposer une de ses filles; mais madame de Prie ne se crut pas assez sûre du caractère de l'une ou de l'autre des deux princesses. Elle voulait une reine dévouée, qui lui dût tout, qu'elle pût gouverner et par qui elle gouvernat Louis XV. Elle avait sous les yeux l'exemple de madame des Ursins, sacrifiée par une reine qui lui devait son élévation. Elle fit valoir au duc le peu d'union qui régnait dans sa propre famille, les jalousies puissantes qu'il soulèverait par un tel mariage, enfin l'usage, qui s'opposait à ce qu'un roi de France épousȧt une de ses sujettes.

« PreviousContinue »