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des représailles qui rendirent la guerre plus active et plus cruelle. Non content de chatier les coupables, il étendit le châtiment aux communautés, fit des perquisitions dans les villages et frappa les paroisses d'une responsabilité collective. On ne recula devant aucunes mesures de violence; elles n'aboutirent qu'à fortifier l'insurrection.

L'intendant du Languedoc, Bȧville, proposa à la cour de détruire trente et une paroisses dans la région moyenne des Cévennes, de manière à enfermer l'insurrection dans la partie montagneuse et à lui opposer un désert qu'elle ne pourrait franchir. La cour, malgré une répugnance et une hésitation naturelles, finit par approuver ce plan. On en commença l'exécution au mois de septembre. On donna aux habitants des villages condamnés trois jours pour déménager et se retirer; puis les troupes entrèrent dans le pays, coupèrent les arbres, mirent le feu aux récoltes et aux villages, et firent sauter avec la poudre les bâtiments qui résistaient à la démolition. Les camisards descendirent alors dans la plaine pour y chercher des vivres. Toujours animés par une exaltation fanatique, ils virent peu à peu leurs rangs se grossir, par l'espérance du pillage qui attirait au milieu d'eux nombre de bandits, de déserteurs et de forçats. Aux camisards blancs se joignirent des camisards noirs, ainsi appelés parce qu'ils se barbouillaient le visage de suie. La province parcourue et ravagée par ces insurgés, le fut encore par des catholiques qui avaient organisé d'autres bandes pour se défendre ou se venger, mais qui ne commirent guère de moindres excès. On les appelait les cadets de la croix.

Cavalier maintint quelque temps son autorité sur les milices insurgées. Sa compagnie particulière était soumise à la discipline la plus sévère. Ses soldats lui obéissaient aveuglément; d'un signal il faisait fusiller ceux qui se rendaient coupables de meurtres. Le 15 mars 1704, il surprit le régiment de la marine près de Saint-Chaptes et le tailla en pièces. Montrevel prit sa revanche; il écrasa la bande du chef des camisards à Nages, le 16 avril. Cavalier poursuivi tua de sa main trois dragons, échappa et regagna la montagne.

L'insurrection recevait de l'argent et des armes de l'étranger; on les lui apportait de la Savoie, à travers les montagnes du Dauphiné et du Vivarais. Les Hollandais lui envoyèrent ainsi vingt mille livres. Elle attendait un secours de troupes

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anglaises; une escadre anglaise croisait en vue de Cette, cherchant l'occasion d'un débarquement.

Montrevel, général médiocre et las d'un genre de guerre auquel il n'était pas habitué, fut remplacé par le vainqueur de Friedlingen et d'Hochstett. Louis XIV souffrait impatiemment la prolongation d'une telle révolte; il craignait qu'elle ne s'aggravát par le secours des étrangers; il chargea Villars de pacifier les Cévennes. Villars obéit. Son premier soin fut d'étudier le pays et d'apprendre à connaître l'ennemi qu'il devait combattre. Avec la rapidité de son coup d'œil, et grâce aux indications de Baville, dont l'intelligence égalait la dureté, il comprit que les camisards étaient composés pour moitié d'hommes exaltés, admirablement braves, qui marchaient en chantant à la mort et aux supplices; pour l'autre moitié de bandits sans religion, canaille furieuse, comme il les appelle, qui se battaient pour se faire nourrir aux dépens des paysans; il comprit aussi que les bandes catholiques ne faisaient guère moins de mal que les autres, et que la spoliation des protestants avait singulièrement excité leur cupidité.

Lorsqu'il eut constaté qu'il avait ainsi devant lui plusieurs sortes d'adversaires, et que les principaux étaient « des Français, très-forts et très-braves », il fit une proclamation pour offrir. une amnistie à tous ceux qui lui apporteraient leurs armes dans un délai de huit jours; à ceux qui se rendraient ainsi il laissait le choix d'émigrer avec le prix réalisé de leurs biens, ou de rester dans le pays en se plaçant sous la garantie de catholiques connus qui leur serviraient de cautions. En revanche il déclarait que ceux qui garderaient leurs armes seraient poursuivis sans relâche et fusillés sans pitié. Il divisa ses troupes par détachements de quelques centaines d'hommes; il voulut en commander un lui-même. Il les disposa de manière à prendre les rebelles comme dans un filet, et à les poursuivre jusque dans les retraites où la faim devait les lui livrer. Pour favoriser et multiplier les soumissions, il eut le soin de prolonger les délais d'amnistie, de relacher quelques prisonniers et d'afficher une certaine clémence, tout en poussant avec vigueur les préparatifs de l'exécution militaire.

Déjà Cavalier et les chefs les plus intelligents des camisards avaient fait entendre qu'ils traiteraient, pourvu qu'on leur accordât l'exercice libre du calvinisme et la libération de leurs coreligionnaires condamnés aux galères. Cavalier se rendit à

Nimes avec un sauf-conduit, y fit une entrée publique et y eut une entrevue avec le maréchal le 16 mai 1704. Villars lui déclara que le roi n'accorderait jamais la liberté de religion ni le rétablissement de l'édit de Nantes; mais il consentit à la libération des religionnaires condamnés aux galères, et il lui offrit de former avec ceux des insurgés qui poseraient les armes, un régiment dont il lui donnerait le commandement à lui-même pour marcher sans délai sur la frontière. Cavalier accepta.

Malheureusement les autres chefs s'élevèrent contre lui et l'accusèrent de trahison. Il ne put amener à Villars qu'une centaine d'hommes; le reste des camisards regagna les montagnes sous son lieutenant Ravanel et un autre chef du nom de Roland. Villars entra alors en campagne, mit son plan à exécution, poursuivit les rebelles et fit des razzias. Il détruisit la bande de Ravanel près de Marvejols, le 13 septembre. Ravanel fut pris et jeté dans les prisons de Nîmes, où il subit un supplice public l'année suivante. Les camisards furent peu à peu cernés, réduits à se débander, ou détruits. Les derniers chefs vinrent se rendre les uns après les autres, à la condition qu'on leur offrait de passer à l'étranger. La population protestante finit par aider elle-même à détruire les bandits qui la mettaient à contribution. Villars, aussi habile que sévère, désarma les paysans et accorda des exemptions de taille à titre d'indemnité à ceux dont on avait brûlé les maisons. Les états de Languedoc lui votèrent une dotation en signe de reconnaissance (janvier 1705), et le roi, en le rappelant à Paris, lui conféra le titre de duc.

Cavalier fut envoyé en Alsace avec les hommes qui l'avaient suivi. Mais comme on tint mal quelques-unes des promesses qu'on lui avait faites, il conçut de la défiance, passa en Suisse et alla prendre du service dans l'armée anglo-hollandaise.

IX.-Louis XIV se plaignait toujours du gouvernement de Madrid, qui malgré ses ménagements lui suscitait mille embarras. Non-seulement les Espagnols étaient jaloux des influences françaises, mais les Français ne pouvaient s'accorder entre eux. Le roi était indolent, d'un caractère sombre, triste, sans énergie, comme son prédécesseur Charles II, avec lequel on affectait de le comparer; la jeune reine, active et spirituelle, était prétentieuse, avec la mobilité d'un enfant. Madame des

DIFFICULTÉS AVEC L'ESPAGNE.

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Ursins copiait madame de Maintenon et voulait gouverner; mais à beaucoup d'esprit elle joignait un goût malheureux pour l'intrigue et une coquetterie qui n'était plus de son âge : elle ne possédait ni le sang-froid, ni la patience, ni la haute raison nécessaires pour soutenir le rôle qu'elle prétendait jouer. L'ambassadeur de France, le cardinal d'Estrées, ne pouvait vivre avec elle et demandait qu'elle fût rappelée. Elle demandait de son côté le rappel de l'ambassadeur. L'ordre ne se rétablissait ni dans les finances, ni dans l'administration, ni dans l'armée. Toute réforme paraissait aux Espagnols un abus de l'ingérence française. Les grandesses prenaient de l'ombrage. L'amirante de Castille s'était réfugié en Portugal; les mécontents parlaient de transférer la couronne à l'archiduc Charles. Des bruits de conspiration arrivaient journellement au palais. Rien ne prête plus au roman et ne ressemble moins à l'histoire que les mille incidents ou péripéties qui remplissent les Mémoires et les correspondances de la cour de Philippe V.

Un revers éprouvé en 1702 découragea et irrita les Espagnols. On attendait les galions d'Amérique, qui revenaient escortés par une escadre française sous les ordres de ChâteauRegnaud. Comme des bâtiments de guerre anglais avaient déjà paru dans la baie de Cadix et fait une descente en Andalousie, Louis XIV voulut que Château-Regnaud conduisit les galions non à Cadix, mais au port de Vigo. L'amiral fit des représentations; sur l'ordre exprès du roi, il obéit. Il était à peine entré dans la rivière de Vigo, que la flotte anglaise, sous le duc d'Ormond, l'y poursuivit et le surprit au milieu du débarquement. Elle s'empara des deux forts qui protégeaient la rivière, enleva huit millions, brûla quinze vaisseaux français et douze galions. Au rapport des vainqueurs, la vue de cet incendie produisit un effet terrible. Ils en auraient brûlé davantage si Château-Regnaud n'eût lui-même coulé bas plusieurs de ses bâtiments (22 octobre 1702). La partie de la cargaison qui fut sauvée fut transportée à grand'peine à Lugo par des chemins impraticables, et de là à Madrid.

Ce ne fut pas tout. Louis XIV prétendit que l'argent apporté par les galions fût consacré aux dépenses de la guerre, et il exigea que le roi d'Espagne forçat les marchands propriétaires de cet argent à recevoir en échange des obligations de l'État portant intérêt à six pour cent, et remboursables à des termes éloignés. Il convenait que c'était une mesure extrême,

mais il se fondait sur la nécessité, sur plusieurs précédents, et sur ce fait qu'une partie des cargaisons appartenait à des marchands étrangers, hollandais ou anglais, c'est-à-dire sujets de gouvernements en guerre avec l'Espagne. Les Espagnols se récrièrent; le conseil résista. Madame des Ursins déclara qu'on allait tout perdre. Louis XIV voulut que l'on consultat des moines sur la justice de la mesure, et il obtint d'eux un avis favorable en principe, malgré beaucoup de restrictions. Sur douze millions le gouvernement finit par en prendre six, dont quatre à titre de confiscation sur les étrangers, et deux à titre d'emprunt forcé sur le commerce;

six millions deux furent remis à la France. Celle-ci se plaignit que ce fût là une faible indemnité pour les charges de guerre qu'elle supportait. Les Espagnols se plaignirent encore plus haut, et répondirent qu'en donnant le tròne à Philippe V ils avaient prétendu s'assurer un appui, non se mettre en servitude.

Louis XIV, qui ne cessait d'insister pour que l'Espagne levât des milices et prît à sa charge une part plus forte des frais de la guerre, revint en 1703 au projet de lui demander une indemnité territoriale. Torcy pensait depuis longtemps que les PaysBas formeraient cette indemnité. Louis XIV crut qu'il serait plus sage de se borner à demander Luxembourg, Namur, Mons et Charleroy, et d'offrir la souveraineté pleine et indépendante du reste de la Belgique à l'électeur de Bavière; que ce serait là le vrai moyen de s'attacher à tout jamais ce prince, le plus utile de ses alliés, et de calmer les ombrages de l'Europe, au moins ceux des puissances maritimes. Il communiqua ce projet à Philippe V (mai 1703), en lui faisant observer que c'était là pour lui une nécessité, que la France ne pouvait exiger une indemnité moindre, et que la Belgique n'était en réalité pour le gouvernement de Madrid qu'une charge et un embarras. Philippe V s'inclina; mais afin de ménager les sentiments des Espagnols, il convint que l'arrangement resterait secret.

Or en ce temps même arriva l'événement le plus fatal qui pût frapper la couronne du duc d'Anjou. Don Pedre, roi de Portugal, à qui la France n'avait pas tenu les promesses faites en 1701, céda aux actives sollicitations de l'Angleterre, signa le 16 mai 1703 un traité avec cette puissance, la Hollande et l'Empire, et entra dans la grande alliance. Il y était à peu près obligé, car il n'eût pu défendre ses ports contre les flottes

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