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garantie. On doit penser, ou que la propriété littéraire, à laquelle l'imprimerie seule a donné toute son importance, n'a pu frapper l'attention des législateurs de l'antiquité, ou bien qu'ils ont simplement entendu laisser la protection de ce droit sous l'empire du droit commun; de même que c'était en vertu des dispositions générales des lois criminelles qu'avait lieu la répression des écarts de la liberté d'écrire 1. Quoi qu'il en soit, si les anciens n'ont pas songé à la propriété littéraire pour la protéger, ils n'y ont point pensé non plus pour la nier ou la limiter. Le système des règlements et des restrictions sous prétexte de garantie est tout moderne, et, à cet égard, le silence de l'antiquité était, en théorie du moins sinon en pratique, plus favorable au droit des écrivains.

Ce que nous disons des temps antiques s'applique également à ceux du moyen âge, jusqu'à la découverte de l'imprimerie. Nous signalerons seulement, d'après Lowndes 2, le fait suivant: Bishop Tell, dans son mémoire sur l'état de l'imprimerie à l'Université d'Oxford, assure que cette Université possédait le droit exclusif de transcrire et de multiplier les livres au moyen de l'écriture, ce qui, dit Lowndes, implique une sorte de propriété littéraire (which implies a species of copyright).

L'industrie des copistes avait pris un grand développement, puisque, s'il faut en croire Villaret, elle faisait vivre plus de dix mille écrivains dans les deux seules villes de Paris et d'Orléans, au moment de la découverte de l'im

1 Cod. IX, 36, De famos. libell. Cf. Renouard, loc. cit., p. 16. • Lowndes, Historical Sketch of the law of copyright, p. 2.

primerie 1. Mais, comme nous l'avons dit précédemment, les manuscrits n'en étaient pas moins d'un prix énorme, et, par conséquent, le commerce des librarii ou stationarii du moyen âge ne dut jamais prendre qu'une médiocre extension. Aussi, c'est à peine s'ils éveillent l'attention de l'autorité, uniquement manifestée par quelques règlements de taxe et d'inspection, parmi lesquels, soit en France, soit en Angleterre ou ailleurs, on n'en rencontre aucun qui s'occupe d'assurer ou de restreindre l'exercice rare et peu fructueux du droit des auteurs.

Mais tout va changer l'obscurité qui enveloppe ce monde encore barbare va se dissiper tout à coup: voici venir la découverte de Guttemberg; il semble que Dieu ait prononcé le fiat lux une seconde fois. C'est bien la lumière en effet! La nouvelle force qui vient de se révéler au monde possède toutes les propriétés du fluide lumineux; elle en a d'abord la rapidité de diffusion. Au contraire de ce qui arrive ordinairement pour les autres inventions, celle-ci est immédiatement appréciée et se propage sur toute la terre civilisée avec une célérité prodigieuse. Née en Allemagne vers 1450, elle est installée à Paris dès 1469 et à Londres en 14712. Comme la lumière elle éclaire le monde, qu'elle peut aussi échauffer ou incendier tour à tour.

Les avantages d'abord, puis bientôt les dangers de cette nouvelle puissance frappent tous les yeux. Le génie humain, surexcité, devient plus fécond; les livres nouveaux se multiplient; le travail de l'auteur, l'industrie du libraire deviennent ensemble plus fructueux, et, en même

1 V. Renouard, Traité des droits d'auteurs, t. I, p. 25.
2 Lowndes, Historical Sketch, etc., p. 2; London, in-8°, 1842.

temps, devient plus actif le honteux métier des plagiaires et des contrefacteurs. Tous ceux qui, d'une manière plus ou moins directe, tirent un profit légitime des labeurs de la pensée sentent le besoin de recourir à la protection sociale.

D'un autre côté, partout l'autorité s'émeut elle-même pour son propre compte, et s'efforce d'éteindre ou tout au moins d'affaiblir l'éclat de ce splendide et effrayant météore. Viennent alors toutes ces prescriptions où se croisent et se confondent, le plus souvent, les mesures protectrices, les menaces, les interdictions en faveur ou au préjudice des écrivains, des imprimeurs et des libraires.

Louis XI se montra protecteur déclaré de l'art nouveau. Libre encore sous Louis XII, l'imprimerie ne tarda pas à être enchaînée sous le successeur du Père du peuple. On trouve sur les registres de l'Université, à la date du 13 juin 1521, la mention d'une défense faite par le roi François Ier, aux libraires et imprimeurs, de rien vendre ou publier sans autorisation de l'Université et de la Faculté de théologie, et sans visite préalable, lecture, etc. 1.

Louis Berquin, dont les livres sont saisis par ordre du Parlement, le 13 mai 1523, est ensuite brûlé comme hérétique en place de Grève, en 1529.

On alla, pendant les troubles religieux, jusqu'à défendre, par lettres patentes du 13 janvier 1534, à tous les imprimeurs d'imprimer aucune chose, sous peine de la hart. Sous l'apparence d'une préoccupation protectrice pour la conservation des bonnes lettres, mais en réalité dans des 1 Renouard, Traité des droits d'auteurs, t. I, p. 35.

vues de police et de censure, deux ordonnances de 1537 prescrivent, sous diverses peines, le dépôt, l'examen et l'autorisation préalables, pour tous les livres nouveaux et pour ceux imprimés à l'étranger, jusqu'à ce qu'on arrive, en 1694, à la création des, censeurs royaux. Qu'a dû devenir, au sein de cette lutte, établie d'une part contre les contrefacteurs, de l'autre, contre les gouvernements, la propriété jusqu'alors incontestée, mais aussi presque inaperçue des écrivains? C'est ce que nous allons voir, en relevant tous les faits principaux qui constituent l'histoire du principe de perpétuité, pendant cette seconde et intéressante période.

Le privilége, en matière de propriété littéraire, dut naissance à des causes complexes, et, à certains égards, opposées. La première fut le besoin de protection pour le droit des auteurs et des libraires; la seconde, le besoin de protection pour les gouvernements contre les forces et les abus de la presse; la troisième, enfin, l'organisation même du travail et de l'industrie au moyen âge. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que par suite du système des corporations, le privilége qu'on accordait à l'auteur ne lui donnait pas le droit d'imprimer, fabriquer, ni même vendre son livre lui-même. C'eût été, dans l'esprit du temps, porter atteinte aux droits de monopole des corporations des imprimeurs ou des libraires. L'auteur devait donc forcément, pour tirer parti de son manuscrit, en céder la propriété et l'exploitation au libraire.

La démarche faite vers l'autorité pour lui demander une concession de privilége était aussi tout à fait conforme à

1 V. art. 4 du Règlement de 1723, renouvelant d'anciennes prohibitions.

l'esprit de l'époque. « La liberté des travaux individuels, dit M. Renouard', n'était point comprise; on ne songeait point à agir en vertu de son droit, et l'on cherchait à le protéger sous l'abri des autorisations par octroi. La maxime n'était pas : Tout ce qui n'est pas défendu est permis; c'était, au contraire : Tout ce qui n'est pas permis est défendu. >>

Un passage, cité par M. Peignot", prouve d'ailleurs combien était confuse et incertaine l'idée du droit sur ce point. Il s'agit d'un privilége donné à Lyon par Louis XII, le 30 juillet 1509; on y lit : « De la partie de notre bienaimé maître Jehan le Maire de Belges, nous a exposé qu'il a l'intention de brief faire imprimer un certain livre des Singularités de Troye et Illustrations de Gaule, etc.; mais il doute qu'il ne pût ou osât le faire sans nos congé et licence, et à cette cause nous a, icelui exposant, fait supplier, etc... >>

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Jean-Et. Putter cite, comme le premier privilége connu, celui que la république de Venise accorda, en 1494, à Hermann Lichtenstein, pour l'impression du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, à peine de 10 ducats pour le débit de chaque exemplaire contrefait.

Les demandes et concessions de priviléges avaient un double but protéger le monopole général de la corporation des libraires, et protéger ensuite contre ses propres confrères chaque libraire en particulier, cessionnaire et représentant du droit de l'auteur.

1 Loc. cit., p. 107.

2 Essai historique sur la liberté d'écrire, p. 59.

Renouard, loc. cit., p. 107.

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