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fication profonde dans la constitution politique; le pouvoir royal s'affaiblit de plus en plus et les divers officiers, qui représentaient le roi, les seigneurs, cherchent à se déclarer indépendants sur les divers points du royaume; c'est le régime féodal. Si nous l'étudions à son apogée, nous voyons des castes établies, vivant sous des législations particulières ; les nobles, les roturiers, le clergé. Une hiérarchie dans les terres, analogue à celles que nous rencontrons dans les personnes. Avec ce régime la législation reste coutumière, mais elle subit une transformation complète : de personnelle qu'elle était, elle devient territoriale; la loi d'un territoire s'étend à tous ceux qui l'habitent, quelle que soit leur origine.

26. A ce moment apparaît la distinction des pays de coutumes et des pays de Droit écrit. Une ligne qui, partant de l'embouchure de la Loire irait vers la Suisse, en laissant au sud le Lyonnais et le Dauphiné, séparerait assez bien les pays de coutume et les pays de Droit écrit ; au nord de la ligne, les premiers; au sud, les seconds.

Dans les uns, comme dans les autres, la législation reste coutumière, mais, tandis qu'au nord la législation est fortement imprégnée d'usages empru ntés aux législations barbares, au sud, la législation reste coutumière, se rattache au Droit romain, dont les principes dominent, modifiés par l'influence du régime féodal, par les coutumes locales.

27. La législation restant coutumière, il fallait établir le texte de la coutume. On le faisait de diverses manières; par combat judiciaire, par serment, par enquêtes par tourbe. Qui ne voit les dangers de semblables preuves? Aussi de bonne heure sentit-on la nécessité de fixer par écrit la législation. D'abord nous trouvons les écrits des praticiens, qui, pour les besoins de leur pratique, étudiaient la coutume d'un pays: ce sont les coutumiers des XIIe, XIIIe et XIVe siècles; parmi les plus importants nous citerons les Établissements de Saint-Louis; la Coutume de Beauvoisis de Beaumanoir; le Conseil à un ami de Pierre de Fontaine; la Somme rurale de Bouteiller; les Assises de Jérusalem pour les États fondés en Orient, à la suite des Croisades; - des recueils très importants de décisions judiciaires : les Olim du Parlement de Paris, les Rôles de l'échiquier de Normandie, etc. - Bientôt enfin le pouvoir prit l'initiative de la rédaction des coutumes. Le Droit coutumier se fixe ainsi, mais il reste coutumier, et des rédactions successives d'une même coutume furent faites pour tenir compte des modifications apportées par l'usage.

Le pouvoir royal s'étant affermi sentit le besoin de faire disparaître cette variété dans la législation, aussi furent rendues sur certaines matières des Ordonnances, dont l'autorité devait s'étendre au pays tout entier: il en est quelques-unes rendues sous Louis XIV et Louis XV, qui ont servi d'origine à un grand nombre de dispositions de nos Codes (Ord. de 1735 sur les testaments; de 1731 sur les donations; de 1747 sur les substitutions, pour le Droit civil.).

Enfin les Cours souveraines, par leurs arrêts, exerçaient sur le développement de la législation une grande influence, notamment par leurs arrêts de règlement; ceux-ci avaient force obligatoire de loi pour les hypothèses analogues à celle sur laquelle ils avaient été rendus.

28. Les sources de la législation étaient donc :

1o Les Coutumes générales, ou locales, Chartes de communes, Statuts de ville;

20 Les Ordonnances royales;

3o Les Arrêts des Parlements.

Et malgré toutes les tentatives de généralisation, malgré les modifications successives des coutumes, on n'arriva pas et on ne pouvait pas arriver à l'unité de législation. Plusieurs causes y mettaient obstacle : les résistances de certaines provinces privilégiées dont il fallait respecter les coutumes. On les leur avait garanties au moment de leur annexion à la France (le Dauphiné par exemple). La division de la société en castes, ayant leurs privilèges et leur législation (nobles et roturiers); la confusion des pouvoirs entre les diverses autorités. Avec la Révolution, les choses changent de face; des modifications se produisent; les Français sont égaux devant la loi, plus de castes, plus de privilèges : l'unité de législation pourra être établie.

29. 2o Période intermédiaire. Cette période s'étend du 14 juillet 1789 à la loi du 30 ventôse an XII promulguant le Code civil. Elle comprend des lois particulières sur des sujets variés dont les dispositions sont encore en vigueur; au point de vue civil, quelques lois générales qui ont servi à la rédaction de notre Code civil (loi du 22 septembre 1792 sur les actes de l'état civil; loi du 17 nivôse an II sur les successions; loi du 11 brumaire an VII sur les hypothèques, etc.).

Pendant cette période, on s'est souvent préoccupé de la rédaction d'un Code général des lois; la Constituante, la Législative, la Convention ont été saisies de projets divers, dont aucun n'a abouti. Il fallait arriver aux temps plus calmes du Consulat, époque où les principes nouveaux n'étaient plus contestés, pour qu'il fût possible de procéder à la rédaction du Code civil.

30. 3o Période moderne. Code civil et lois subséquentes. - Code civil. Les vœux en faveur d'une loi générale pour la France avaient été émis par toutes les assemblées politiques qui s'étaient succédé. Le 21 août 1790, décret de l'Assemblée nationale portant qu'il serait formé un Code général de lois simples et claires; la constitution de 1791 dit : qu'il sera fait un Code des lois civiles communes à tout le royaume ». Ni l'Assemblée législative, ni la Convention ne devaient réaliser ce vœu de la Constituante.

Sous la Convention, divers projets de loi sont déposés : le 9 août 1793 est déposé le premier projet de Code civil (comp. Moniteur des 23, 24,

26 août, 5 et 11 septembre 1793): ce projet présente un laconisme regrettable c'est ainsi qu'il ne contient, sur les actes de l'état civil, qu'un seul article, de même sur le domicile. C'est là pour un Code un vice capital, le laconisme favorise l'arbitraire; il embarrasse le magistrat, qui, dans le silence de la loi, devient législateur.

Puis un décret de la Convention charge de la confection du Code une commission de philosophes: conception malheureuse et qui ne devait pas aboutir. Comment peut-on admettre que l'on puisse refondre toute une législation, sans tenir compte des usages et des habitudes!

Le 25 fructidor an II, Cambacérès proposa un projet de Code en 297 articles, qui, par la forme et le fond, se rapprochait du projet de 1793.

Sous le Directoire, Cambacérès proposa un nouveau projet; il comprenait 1104 articles; celui-ci est beaucoup plus important que les projets de 1793 et de l'an II: le conseil des Cinq-Cents ne le discuta pas.

La loi du 19 brumaire de l'an VIII, supprimant le Directoire, chargea, par son article 14, les commissions du conseil des Cinq-Cents et des Anciens de préparer un Code civil et, le 30 frimaire, le représentant Jacqueminot présenta plusieurs titres de ce projet de Code, qui ne furent jamais discutés.

31. La Constitution du 22 frimaire an VIII appela Bonaparte à la dignité de premier consul et ouvrit à la France une ère de prospérité et de repos, pendant laquelle les travaux préparatoires de Code civil purent être menés à bonne fin.

Le 25 thermidor an VIII, les consuls nommèrent une Commission chargée de présenter un projet de Code civil. Elle se composait de Tronchet, président de la Cour de Cassation, Portalis, commissaire du gouvernement près le conseil des prises, Bigot de Préameneu, commissaire du gouvernement près le tribunal de Cassation, Maleville, juge du tri

bunal de Cassation.

Au bout de quatre mois, le projet fut terminé imprimé en pluviôse an IX, il fut envoyé à la Cour de Cassation et aux Tribunaux pour provoquer leurs observations.

32. Pour comprendre la manière dont eut lieu la discussion du Code et les incidents qui se produisirent, il faut jeter un coup d'œil sur la constitution du 22 frimaire de l'an VIII, sous l'empire de laquelle le projet fut préparé.

D'après cette constitution, l'initiative des lois appartenait au gouvernement seul. Il y avait à côté de lui un Conseil d'État pour les préparer; il comprenait cinq sections législation, commerce, intérieur, guerre, marine.

La loi devait être votée par le Corps législatif. Envoi lui était fait du projet par le gouvernement; le Corps législatif le communiquait au Tribunat ce dernier corps n'avait pas le droit d'amendement, il ne pouvait

que conclure au rejet ou à l'adoption devant le Corps législatif et déléguait un de ses membres pour y appuyer ses conclusions.

Le Corps législatif devait voter la loi sans la discuter, ni l'amender, après qu'elle avait été présentée devant lui et soutenue par les orateurs du Conseil d'État, attaquée ou soutenue par les orateurs du Tribunat.

La loi votée, le Tribunat, s'il trouvait la loi inconstitutionnelle, pouvait la déférer dans un bref délai au Sénat conservateur; passé ce délai, elle était promulguée par le pouvoir exécutif. Tel était le mécanisme un peu compliqué de discussion, par lequel devait passer le projet de Code civil.

33. Le projet, avec les observations des Cours et Tribunaux, fut examiné une première fois par la section de législation du Conseil d'État, en présence des commissaires de la rédaction, puis en assemblée générale du Conseil d'État, sous la présidence du premier Consul ou de Camba

cérès.

Définitivement accepté, il fut adressé au Corps législatif, pour y être discuté suivant la constitution, et en conséquence communiqué au Tribunat qui l'examina. Vers la fin de 1801, trois titres furent soumis à l'approbation du Corps législatif : le titre préliminaire, etc.; mais le Corps législatif, conformément à l'avis du Tribunat, rejeta le projet.

En conséquence de ce vote, le gouvernement retira tous les projets : « le temps n'est pas encore venu, disait le message, où l'on apportera » dans ces discussions le calme et l'unité d'intention qu'elles deman» dent ».

"

34. Et cependant le gouvernement ne perdait pas de vue le projet de Code et son adoption. Irrité de l'opposition du Tribunat, il voulut la briser en réduisant à cinquante le nombre de ses membres (S.-C. du 16 thermidor an X), mesure révolutionnaire et inutile, qui priva le gouvernement des lumières de membres très distingués. En outre, on modifia le mécanisme constitutionnel. D'où venait le rejet des projets par le Corps législatif? De l'opposition du Tribunat. Et l'opposition de ce corps ? De ce que, n'ayant pas le droit d'amendement, le Tribunat ne pouvait que conclure au rejet de la loi, s'il en voulait la modification sur un point.

En conséquence, on décida de communiquer officieusement les projets au Tribunat, avant l'envoi au Corps législatif: ce n'est qu'après cette communication que le projet était définitivement arrêté par le Conseil d'État. Devant le Corps législatif, on n'avait plus à craindre ainsi l'opposition du Tribunat, son avis avait été pris en grande considération par le Conseil d'État. A partir de ce moment, la discussion marcha sans interruption et la loi du 30 ventôse an XII réunit en un seul Code, avec un numérotage général, les lois diverses votées par le Corps législatif. 35. Ce n'est pas le moment de porter un jugement sur ce Code, il

faut d'abord le connaître. Quoi qu'il en soit de sa valeur intrinsèque, on peut dire qu'il a été une heureuse transaction entre les principes de Droit coutumier et de Droit écrit, qui se partageaient la France; «< mal>>gré quelques taches qui déparent l'ensemble d'ailleurs si remarquable » de ce Code, il restera toujours un sujet d'étonnement pour qui tiendra compte du court espace de temps dans lequel il a été fait (1) ».

Toute œuvre humaine présente des imperfections, le Code civil n'en est pas exempt; un très grand nombre a disparu par suite de lois particulières, rendues depuis la promulgation, qui sont venues le compléter ou le modifier.

Nous aurons à les étudier successivement, à propos des matières auxquelles elles se rattachent; nous nous bornerons à citer ici la loi du 23 mars 1855 sur la transcription, qui a modifié profondément le système de transmission de la propriété admis par le Code; la loi du 31 mai 1854 sur la mort civile; etc. Ce travail d'amélioration continue avec une nouvelle vigueur, grâce à l'initiative des lois dont jouissent aujourd'hui les députés, les sénateurs et le Gouvernement.

(4) Aubry et Rau, 4 édit., § 16, p. 25.

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