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pour le faire, il ne constitue pas un acte auquel il faille appliquer les règles de notre matière; sa force probante est nulle.

Supposons que l'acte de l'état civil émane d'un officier de l'état civil : cet acte, comme l'extrait délivré conforme, fait foi jusqu'à inscription de faux des attestations, œuvre de l'officier de l'état civil, c'est-à-dire des faits que l'officier de l'état civil a constatés soit comme s'étant passés en sa présence, soit comme les ayant accomplis lui-même, soit enfin comme les ayant personnellement reconnus; pour faire tomber quant à eux la preuve résultant de l'acte, il faudra démontrer que l'officier de l'état civil a commis un faux, ou que l'acte a été altéré par un faux, preuve qui ne peut résulter que d'une procédure criminelle de faux, ou bien de la procédure civile en inscription de faux.

Si, au contraire, on s'attaque aux déclarations des parties, qu'on les prétende n'être pas conformes à la vérité, et qu'un mensonge a été fait à l'officier de l'état civil, pour faire tomber la preuve résultant de l'acte il suffira par la preuve contraire de démontrer la fausseté des allégations (1).

Enfin, si l'acte contenait des énonciations qu'il ne devait pas présenter, aucune preuve ne pourrait en résulter.

Supposons un acte de naissance dressé par un officier de l'état civil sur la déclaration d'une sage-femme (art. 56, C. civ.) et portant que Sophie, épouse légitime de Pierre, est accouchée d'un enfant qui a été présenté à l'officier de l'état civil et qu'on lui a donné le nom de Michel.

Si, en présence d'un tel acte, on affirme que rien n'a été déclaré à l'officier de l'état civil, que ce dernier a inventé toute cette mise en scène, ou bien qu'on a déclaré l'enfant comme né de Jeanne épouse de Félix, et que c'est l'officier de l'état civil qui a modifié les noms, on s'attaque alors au caractère même de l'officier de l'état civil, au fonctionnaire investi de la confiance de la loi. La présomption est qu'il a fait son devoir; il faudra démontrer qu'il y a eu faux en écriture publique.

Si l'on soutient que l'officier de l'état civil a bien reproduit les déclarations telles qu'elles lui ont été faites, mais que les déclarants ont menti, il suffit d'administrer la preuve contraire, et si l'on peut prouver l'inexactitude des déclarations faites, on enlève à l'acte sa force probante. On avait voulu soutenir le contraire les déclarants étant obligés par la loi de faire les déclarations de naissance (art. 56); ne fallait-il pas les considérer comme investis d'une mission légale et protéger leur dire, en y attachant autorité juqu'à inscription de faux? Je ne peux pas me rallier à cette opinion, qui confondrait la situation de l'officier de l'état civil, fonctionnaire public, et des déclarants; je m'en tiens donc à la distinction proposée.

(1) Cass. crim. 24 fév. 1870, Sir., 71, 1, 167. Aix, 18 août 1870. Sir., 72, 2, 69.

C.

Manière de suppléer aux actes, si les registres n'existent pas ; de les rectifier, s'ils sont irréguliers.

211. Dans cette section, nous avons à traiter deux matières distinctes dans une première partie, il faut supposer que l'acte n'a pas été dressé ou n'existe plus et voir comment les parties peuvent suppléer à la preuve qui leur fait défaut; dans une deuxième partie, supposant que l'acte est irrégulier en la forme, déterminer la manière dont les parties peuvent obtenir la rectification.

I. LES REGISTRES SONT PERDUS, DÉTRUITS OU N'ONT PAS ÉTÉ TENUS.

212. Les faits intéressant l'état civil (naissance, décès, mariage) ne peuvent, en général, se prouver qu'au moyen de la production de l'acte dressé pour les constater. Cependant, dans quelques circonstances particulières, le législateur autorise la personne intéressée à suppléer à l'acte de l'état civil qui lui fait défaut; citons dans ce sens les articles 70, 197, 198 du Code civil, l'avis du Conseil d'État des 27 messidor et 4 thermidor an XIII, et la loi du 10 juillet 1871. Ces cas exceptionnels seront étudiés avec les matières particulières auxquelles ils se rattachent; nous n'avons pas à nous en occuper pour le moment. Nous avons ici une règle générale s'appliquant à tous les actes de l'état civil et permettant de suppléer au défaut d'acte. L'article 46 (C. civ.) la formule dans les termes suivants: « Lorsqu'il n'aura pas existé de registres ou qu'ils seront per» dus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins; et dans » ce cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par » les registres et papiers émanés des pères et mères décédés que par té» moins. » Il résulte de ce texte que la personne, privée de la preuve de son état, peut établir son état de toute façon, tant par titre que par témoins; or, c'est là une règle générale donnée par l'article 1348 du Code civil et dont l'article 46 est une application en matière d'actes de l'état civil: l'intéressé est dans l'impossibilité de produire l'acte de l'état civil, il justifie de cette impossibilité; ne faut-il pas l'autoriser à faire la preuve directe des naissances, décès et mariages?

Nous étudierons sous la division suivante la disposition de l'article 46: 1o Dans quels cas y a-t-il lieu d'appliquer l'article 46?

2o Quelle preuve doit faire le réclamant au cas de cet article?

3e Quelle sera la force probante du jugement intervenu?

1. Dans quel cas y a-t-il lieu d'appliquer l'article 46 ?

213. Si l'on s'en tenait rigoureusement au texte de l'article 46, ce ne serait que dans deux cas que l'on pourrait se placer sous la protection de cet article:

1o Au cas où il n'a pas existé de registres.... Voilà une personne qui est mariée dans telle commune, y est née ou y est décédée, et dans cette commune il est constant, en fait, qu'il n'a pas été tenu de registres. Ne faut-il pas tenir compte, pour les intéressés, de cette impossibilité de fait et leur permettre de faire directement la preuve des naissance, décès et mariage?

2o Au cas où les registres ont été perdus... il est constant que les registres de l'état civil ont été détruits. Les parties intéressées peuventelles souffrir de ce cas fortuit qui les a privées de la preuve légale de leur état, et ne faut-il pas leur permettre de suppléer au défaut d'actes?

Mais ne faut-il pas étendre notre article à des hypothèses non prévues et pour lesquelles existent des raisons de décider identiques? Nous le pensons, car pour nous l'article 46 se rattache à la théorie générale de l'article 1348; il est une règle générale et non exceptionnelle, et l'extension est légitime aux deux hypothèses suivantes :

3o Au cas où les registres sont détruits partiellement, lacération, feuilles illisibles etc., la personne que ces actes intéressaient est privée de la preuve légale de son état; elle est par cette circonstance de fait dans la même situation que si le registre était détruit en totalité; il faut donc la protéger de la même manière. Cette extension était légitime sous l'empire de l'article 14 de l'ordonnance de 1667; elle est confirmée aujourd'hui par un argument fourni par la loi du 13 janvier 1817, art. 5: « La preuve testimoniale du décès (des militaires) pourra être ordonnée conformément à l'article 46, s'il est prouvé qu'il n'y a point eu de regis» res, ou qu'ils ont été perdus en tout ou en partie.... »

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4o Enfin nous appliquerions l'article 46 aux cas où les registres auraient été irrégulièrement tenus, par exemple au cas où l'on trouverait des traces matérielles de négligence de l'officier de l'état civil: feuilles blanches dans les registres, actes inscrits sur feuille volante, etc. Dans ces conditions, les registres ne peuvent pas inspirer la confiance qui s'attache aux registres régulièrement tenus. La personne a pu avoir à souffrir de ces irrégularités et être privée en conséquence de la preuve de son état ; il est légitime de la faire bénéficier de l'article 46.

Mais nous ne saurions pas aller plus loin dans cette voie, et toutes les fois que les registres présenteraient une régularité extérieure, la personne qui prétendrait qu'un acte la concernant a été omis, ne saurait bénéficier de la disposition favorable de l'article 46, et devrait faire la preuve du mariage, de la naissance, du décès, conformément au Droit commun.

2o Quelle preuve le réclamant a-t-il à fournir dans le cas de l'article 46 ? 214. Le réclamant, voulant bénéficier des dispositions de l'article 46, doit justifier de l'existence de deux faits distincts:

a) Du fait matériel (inexistence, perte totale ou partielle des registres,

irrégularité de leur tenue) qui le met dans l'impossibilité de produire l'acte de l'état civil.

Il fournira cette preuve, tant par titres que par témoins; ce qui ne veut pas dire que la preuve doit être fournie en même temps par titres et par témoins, mais qu'elle peut l'être par l'un ou l'autre de ces procédés. Par titres, par exemple, par un procès-verbal constatant la perte totale ou partielle des registres, etc; par témoins, c'est-à-dire par enquête démontrant le fait matériel de perte des registres ou leur inexistence.

b) Du fait de l'état civil (naissance, décès ou mariage) dont la preuve légale ne peut pas être administrée.

La preuve en sera fournie soit par titres, soit par témoins. Par titres c'est-à-dire par écrits qui rendent vraisemblable le fait de naissance. mariage ou décès, écrits qui, suivant le Droit commun, n'en feraient pas preuve; par exemple, par les registres et papiers émanés des père et mère décédés. Ces registres et papiers domestiques constatant des naissances, mariages ou décès rendent ces faits vraisemblables; ils serviront de preuve au cas de l'article 46. La loi exige qu'ils soient l'œuvre des père et mère décédés, parce qu'elle ne voudrait pas laisser aux parties la faculté de se préparer une preuve des faits à démontrer. Les actes de mariage, de baptême, de décès, dressés par les ministres du culte, au cas de l'article 46, pourraient servir de titres écrits, etc.- Par témoins, c'est-à-dire au moyen de déclarations émanées de personnes ayant eu connaissance personnelle des faits de naissance, de mariage et de décès; ces décla ⚫rations seront recueillies au moyen d'enquêtes faites suivant les dispositions du Code de procédure civile.

La loi regarde donc la preuve testimoniale comme suffisante pour prouver les faits de l'état civil au cas de l'article 46; il s'ensuit que les juges peuvent décider leur conviction en notre matière par des présomptions graves, précises et concordantes (art. 1353, C. civ. ) (1).

3o Quelle est la force probante du jugement intervenu?

215. La force probante du jugement rendu, au cas de l'article 46, n'est pas facile à déterminer.

Un point certain, c'est qu'il faut tenir compte de la théorie de l'autorité de la chose jugée. Tandis que l'acte de l'état civil constitue une preuve absolue, opposable à tous et établissant à l'encontre de tous, les faits de naissance, mariage et décès, le jugement intervenu, au cas de l'article 46, ne pourra être opposé qu'aux personnes qui auront figuré dans l'instance ou y auront été valablement représentées (art. 1351, C. civ. comp. 100. C. civ.).

216. Mais en restreignant dans ces limites la force probante du jugement, que prouvera le jugement obtenu ?

(1) Comp. Riom,2 janvier 1874, Sir., 75, 2, 204.

Pour comprendre cette question, constatons quelques principes que nous trouverons dans la suite. La filiation légitime, c'est-à-dire la parenté qui unit un enfant à ses père et mère, s'établit par l'acte de naissance (art. 319, C. civ.), à défaut, par la possession d'état (art. 320, C. civ.), ou par la testimoniale si l'on a un commencement de preuve par preuve écrit (art. 323, C. civ.). Donc si le réclamant est inscrit comme né de père et mère inconnus, il ne pourra, à défaut de possession d'état, établir sa filiation légitime par témoins que s'il a un commencement de preuve par écrit (art. 323, C. civ.). Si le réclamant n'a pas d'acte de naissance et qu'il puisse se placer sous l'application de l'article 46 du Code civil, le jugement obtenu prouvera-t-il en même temps la naissance et la filiation, ou bien n'établira-t-il que la naissance seulement ?

Des auteurs ont soutenu cette dernière solution. Ils ont fait remarquer que l'acte de naissance avait pour objet principal de prouver la naissance et qu'il ne prouvait que subsidiairement la filiation légitime (art. 319, C. civ.), mais qu'il était impossible, au cas de l'article 46, sous prétexte de prouver la naissance, de violer les règles relatives à la preuve de la filiation, et notamment d'échapper à l'obligation du commencement de preuve par écrit, pour admettre la preuve testimoniale seule (art. 323, C. civ.), que cette distinction, au reste, paraissait faite par l'article 46 lui-même :..« et dans. › ce cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés....»(art. 46, C. civ.) donc le fait seul de la naissance est établi.

Malgré ces arguments, l'autre opinion nous paraît préférable. Le jugement intervenu sur l'article 46 du Code civil tient lieu de l'acte de l'état civil disparu ou détruit ; pourquoi n'aurait-il pas la même valeur que l'acte lui-même? Serait-ce protéger la partie intéressée que de lui rendre en partie seulement la position que lui aurait faite l'acte de l'état civil? en conséquence, tout fait que l'acte de l'état civil, s'il eût été produit, aurait pu prouver, le jugement intervenu sur l'article 46 l'établira; par exemple la filiation légitime, la reconnaissance inscrite dans l'acte de naissance etc. (Renvoi pour les détails au titre de la paternité et de la filiation.)

Appendice.

Étude de quelques lois récentes sur les actes de l'état civil et sur la reconstitution des actes de l'état civil de la ville de Paris.

217. Les actes de l'état civil sont les actes dressés conformément à la loi par les fonctionnaires publics chargés de ce soin, et qui fournissent la preuve des naissances, mariages et décès. Si les actes de l'état civil venaient à être dressés par une personne sans qualité pour le faire, ils seraient radicalement nuls et ne pourraient produire aucune preuve des faits constatés.

Malheureusement des circonstances se sont souvent produites pendant

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