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définitif, et ils triompheront dans leur demande s'ils agissent dans les trente ans du jour de l'envoi en possession définitif. Il faut voir là l'indication d'un délai de prescription ordinaire en matière immobilière (art. 2262, C.civ.) et appliquer à cette hypothèse les principes des prescriptions.

288. Tous ces effets de l'envoi en possession définitif ne se produisant que lorsqu'il a été prononcé par la justice (art. 129, C. civ.), l'existence des conditions dans lesquelles on peut le solliciter, ne les entraineraient pas. Il est cependant un effet qui se produirait, dès l'accomplissement de ces conditions, même en dehors d'envoi en possession. « Les cautions [des envoyés en possession provisoire] seront déchargées » (art. 129, C. civ.). On n'a pas voulu les laisser indéfiniment sous le coup de la responsabilité prise; elles sont déchargées d'une manière absolue pour le passé et l'avenir tant pis pour l'absent, s'il n'a pas donné de ses nouvelles ni formé aucune réclamation; il se trouvera en présence des envoyés seuls responsables; cette solution est conforme à la nature du cautionnement, qui n'a été fourni qu'en vue d'une administration d'une étendue déterminée.

II. L'ABSENT EST MARIE

289. Si l'absent est marié, le mariage peut modifier sur quelques points l'application des principes que nous venons d'étudier. L'article 124 du Code civil indique ces modifications: pour les comprendre, il faut dans un paragraphe premier étudier les divers régimes nuptiaux sous lesquels les époux peuvent être placés, et dans un second expliquer l'ar

ticle 124.

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Aperçus généraux sur les divers régimes nuptiaux pouvant exister entre l'absent et son conjoint.

290. On appelle régime nuptial, l'ensemble des règles suivant lesquelles est administré le patrimoine des époux, et suivant lesquelles il est fait face aux charges du ménage. Le régime nuptial est choisi librement par les époux (art. 1387, C. civ.). A défaut de convention, la loi leur impose le régime de communauté légale. Quelque variés que puissent être les régimes sous lesquels les époux ont le choix de se placer, on peut les ramener à des types fondamentaux. L'un de ces types est la communauté : elle est légale ou conventionnelle; légale, lorsqu'elle est imposée par la loi; conventionnelle, lorsqu'elle est acceptée volontairement par les conjoints. Dans l'un comme dans l'autre cas, ce régime présente un caractère particulier : c'est la création d'un patrimoine commun sur

lequel seront prélevées les charges du ménage, et que les époux pourront avoir à partager à la dissolution de la communauté; en outre, le mari a des pouvoirs d'administration étendus et, comine compensation, la femme, à la dissolution, peut renoncer à la communauté ayant existé entre elle et son mari.

Les autres régimes (séparation de biens, régime dotal, régime exclusif de communauté) laissent les patrimoines des deux époux dans une indépendance plus ou moins complète.

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291. « L'époux commun en biens, s'il opte pour la continuation de » la communauté, pourra empêcher l'envoi provisoire, et l'exercice pro» visoire de tous les droits subordonnés à la condition du décès de l'ab»sent, et prendre ou conserver par préférence l'administration des biens » de l'absent. Si l'époux demande la dissolution provisoire de la com» munauté, il exercera ses reprises et tous ses droits légaux et convention»nels, à la charge de donner caution pour les choses susceptibles de res»titution» (art. 124, C. civ.).

Ce texte crée un privilège spécial à l'époux commun en biens. Il faut donc qu'il y ait régime de communauté légale ou conventionnelle entre l'absent et son conjoint pour que nous ayons à appliquer l'article 124.

Si le régime nuptial existant entre l'absent et son conjoint est le régime de séparation de biens, dotal ou exclusif de communauté, l'envoi en possession provisoire ne peut pas être empêché, et le conjoint resté présent fera valoir contre les envoyés en possession provisoire tous les droits qu'il aurait eus à faire valoir au cas de décès de l'absent. Il est donc traité de la même manière que les autres personnes qui ont des droits subordonnés au décès de l'absent.

Au cas de communauté légale ou conventionnelle, il en est autrement. Entre l'absent et l'époux présent, existent des intérêts communs importants; l'envoi en possession provisoire, en amenant la dissolution de la communauté, aurait pu les compromettre; la loi veut que l'époux présent reste le maître de subir les conséquences de l'envoi en possession provisoire ou de les empêcher. S'il subit l'envoi en possession, la communauté sera dissoute, comine elle l'aurait été au cas de décès, mais d'une manière provisoire, et l'époux présent exercera ses reprises, c'està-dire ses droits de créance et tous ses droits légaux ou conventionnels, comme il l'aurait fait au cas de dissolution définitive de la communauté, mais à la charge de donner caution pour le cas où il faudrait revenir sur cette exécution.

L'époux commun est maître d'empêcher l'envoi en possession provisoire et l'exercice provisoire des droits subordonnés à la condition du

décès, et il peut prendre ou conserver, par préférence, l'administration des biens de l'absent.

292. Comment l'époux manifestera-t-il son option? La loi ne s'en explique pas. Il faut admettre que son intervention à la demande d'envoi provisoire formée par les héritiers, l'appel contre cette décision, sont des procédés par lesquels il peut faire connaitre sa volonté. Si, au contraire, il laiss exécuter le jugement d'envoi en possession provisoire contre lui, nous pensons qu'il est forclos dans son option.

La loi a laissé l'époux présent, maître de paralyser les effets de l'envoi en possession provisoire, parce qu'il y a incertitude sur l'état de Tabsent et que l'exécution du contrat de mariage est favorable. Mais nous pensons que l'époux présent, qui aurait opté pour la continuation de la communauté, peut faire cesser quand il le voudra cette situation, en poursuivant la liquidation provisoire de la communauté et de ses droits.

293. La continuation de la communauté, au cas d'absence du mari, met dans les mains de la femme l'administration de la communauté : celle-ci agit dans l'intérêt commun comme une sorte de mandataire légal du mari, et les actes faits par elle en cette qualité ne peuvent pas lui enlever la situation que lui fait le droit commun. Elle n'en conserve pas moins, malgré sa gestion, le droit de renoncer à la communauté (art. 124. C. civ.).

Après avoir étudié les régimes nuptiaux, nous aurons à reprendre, plus tard (tome 3o), le commentaire de l'article 124 pour résoudre les difficultés de détail qu'il nous est impossible d'aborder ici.

294. L'administration légale, au profit de l'époux présent, cesse à sa volonté, au cas de retour ou de nouvelles de l'absent, au cas de décès prouvé de l'absent, et aussi par les conditions de la demande de l'envoi en possession définitif (art. 129, C. civ.), au moment où l'envoi en possession définitif peut être demandé, le décès de l'absent est de plus en lus probable, presque certain, on ne s'expliquerait pas que la volonté. du conjoint put paralyser les droits des héritiers présomptifs de l'absent.

CHAPITRE II

DE L'ABSENCE QUANT AUX DROITS DE L'ABSENT

Les effets de l'absence relativement aux droits de l'absent font l'objet au Code civil des articles 135 à 143. Nous suivrons l'ordre du Code.

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Des effets de l'absence, relativement aux droits éventuels qui peuvent compéter à l'absent (art. 135 à 138, C. civ.).

295. Le principe général est posé dans l'article 135 du Code civil. Tout droit existant au profit de l'absent ne peut être réclamé qu'à la charge de prouver qu'au moment où le droit s'est ouvert l'absent était vivant.

Par exemple, une succession est ouverte avant la disparition de l'absent; le droit s'est fixé sur sa tête et l'on peut de son chef réclamer les droits dans la succession, provoquer le partage (art. 113, C. civ.): c'est aux envoyés en possession provisoire ou en possession définitive à agir au nom de l'absent, comme ses représentants légaux.

Au cas, au contraire, où la succession ne s'est ouverte qu'après la disparition de l'absent, ce dernier n'y a aucun droit tant qu'on ne prouvera pas qu'il était vivant et capable au jour de l'ouverture de la succession ; et en conséquence, à défaut de l'absent, ses cohéritiers ou les héritiers du degré subséquent recueilleront la succession (art. 136, C. civ.). Mais cette attribution n'est pas définitive; elle est faite en prévision du décès de l'absent. S'il revient, s'il donne de ses nouvelles, l'action en pétition d'hérédité pourra être exercée contre les héritiers en possession, pour faire constater les droits de l'absent à l'hérédité (art. 137, C. civ.). Cette action doit être en général intentée dans les 30 ans de l'ouverture de la succession pour être recevable (art. 789, C. civ.).

Si l'absent de retour réclame ses droits héréditaires, les héritiers nantis devront lui restituer les choses de la succession; ils garderont les fruits s'ils sont de bonne foi, c'est-à-dire s'ils ignoraient l'existence de l'absent; ils rendront capital, fruits et intérêts s'ils sont de mauvaise foi (art. 549 et 550, C. civ.). Nous pensons que, comme au cas de l'article 132 (C. civ.), l'absent ne peut pas atteindre les choses héréditaires qui se trouvent dans les mains d'acquéreurs de bonne foi; ces derniers avaient en face d'eux le représentant légal de l'absent avec lequel ils ont traité ; il faut les protéger contre les revendications de l'absent ou de ses repré

sentants.

§ 2. Des effets de l'absence, relativement au mariage.

296. « L'époux absent dont le conjoint a contracté une nouvelle » union sera seul recevable à attaquer ce mariage par lui-même ou par » son fondé de pouvoir, muni de la preuve de son existence » (article 139, C. civ.).

L'un des époux étant en état d'absence, l'autre époux resté présent ne peut pas se marier, car il y a incertitude sur l'existence de son conjoint : le mariage n'est peut-être pas dissous. Cependant, à d'autres points de vue, les effets du mariage ne se produisent plus. Par exemple, la femme

d'une personne absente n'a pas besoin d'autorisation de justice pour contracter; si elle ne peut se marier, cela tient à ce qu'elle ne peut établir la dissolution de la précédente union (1). Supposons que l'époux présent, parvenant à tromper l'officier de l'état civil, se marie; ce mariage est-il nul? Cela dépend des circonstances: si au moment de la célébration l'absent était décédé, l'époux présent, veuf, a pu se remarier. Si au contraire l'absent vit encore, le mariage est nul pour cause de bigamie. Mais comment dire que nous sommes dans l'une ou l'autre de ces hypothèses tant que l'absence durera? De là l'article 139 du Code civil. Sans trop s'arrêter aux termes employés et en tenant compte de la volonté du législateur, nous l'interprétons en ce sens, que tant que l'absence dure, c'est-à-dire tant que l'absent ne revient pas ou ne donne pas de ses nouvelles, nul ne peut attaquer le mariage, car nul n'est en état de démontrer l'existence de l'absent et partant la bigamie. Si l'absent revient ou donne. de ses nouvelles, il a par lui-même ou son fondé de procuration l'exercice de l'action; mais à partir de ce moment l'état d'absence a cessé, et nous pensons que nous rentrons dans le droit commun: il faut alors appliquer les articles 184, 187 et 189 du Code civil. L'action en nullité du mariage peut être exercée, comme au cas de bigamie ordinaire. On ne comprendrait pas que l'absent de retour, et n'agissant pas, pût paralyser l'exercice de l'action dans les mains de tous ceux qui en sont investis et que l'on fût obligé de tolérer le maintien de ce mariage entaché de bigamie, sans que nul ne pût en demander la nullité.

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De la surveillance des enfants mineurs du père qui a disparu. 297. Les articles 141, 142 et 143 se préoccupent d'assurer la surveillance et la protection des enfants, au cas de disparition de l'un des époux. Ces articles ne peuvent s'appliquer qu'au cas de présomption d'absence et avant le jugement de déclaration. La mère, au cas d'absence du père des enfants, aura les droits du père et quant à l'administration de la personne et quant à l'administration des biens (art. 141, C. civ.). Si la mère vient à décéder avant la déclaration d'absence du père, le conseil de famille pourvoira à la surveillance des enfants (art. 142, C. civ.). Pour le père, au cas d'absence de la mère, il reste investi de la puissance paternelle et en exerce les prérogatives comme pendant le mariage.

Avec la déclaration d'absence, le décès de l'absent est présumé ; nous pensons que, conformément aux principes, les droits subordonnés au décès de l'absent sont ouverts; la tutelle s'ouvre au profit de celui des père ou mère resté présent, ce dernier est en effet présumé survivant, tant que l'absent ne sera pas de retour ou ne donnera pas de nouvelles.

(1) Cass. civ., 9 mai 1882, Sir., 82, 1, 340, c'est là un des vices les plus graves de la législation de l'absence.

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