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TITRE PRÉLIMINAIRE

DE LA PUBLICATION, DES EFFETS ET DE L'APPLICATION DES LOIS EN GÉNÉRAL (1).

(Décr. le 5 mars 1803;

promul. le 15 du même mois.)

36. Suivant l'intitulé, les six articles du titre préliminaire s'appliquent à trois sujets différents : la publication (art. 1, C. civ.), les effets (art. 2 et 3, C. civ.) et l'application des lois (art. 4, 5, 6, C. civ.). Ces matières constituent une branche du Droit public français et on se demande si leur place était bien en tête du Code civil. L'objection fut faite au Tribunat et au Conseil d'État. On répondit à cette critique que le Code civil étant la première et la plus importante des œuvres législatives de cette époque, il n'y avait aucun inconvénient à la faire précéder des principes généraux applicables à toutes les lois (2).

37. Avant d'aborder l'explication directe de ces articles, il est indispensable d'exposer quelques principes de notre Droit public, nécessaires à l'interprétation de notre titre.

L'organisation des pouvoirs publics varie suivant la constitution politique et s'est modifiée en France avec les nombreux changements de gouvernement (Empire, Charte de 1814, Charte de 1830, Constitutions de 1848, de 1852 et de 1875); mais un principe, que toutes les constitutions depuis 1789 ont respecté, est la division des pouvoirs, constituant la souveraineté, en pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Cette division, aperçue dès l'antiquité, a été mise en lumière et justifiée par Montesquieu dans son Esprit des lois; cet auteur considère que la séparation des pouvoirs est une garantie précieuse pour empêcher les abus d'autorité que les représentants du pouvoir seraient tentés de se permettre « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites...; pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête « le pouvoir.

(1) Voir sur le titre préliminaire : 1o Cours de Code civil, par A. Valette, p. 16 à 41; 2o Cours analytique de Droit civil, par Demante, p. 33 à 56; 3o Cours de Code Napoléon, par Demolombe, t. I, p. 1 à 150; 4o Cours de Droit civil français, par Aubry et Rau, 4o édit., t. I, §§ 26 à 51, et 5o Principes de Droit civil français, par F. Laurent, p. 48 à 366.

(2) En rédigeant le titre préliminaire, le législateur a surtout suivi les indications de Domat (Les lois civiles).

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Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magis>>trats la puissance législative est réunie à la puissance exécutive, il n'y a point de liberté, parce qu'on peut craindre que le même monarque » ou le même Sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter ty>> ranniquement.

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« Il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative ou de l'exécutive. Si elle était jointe » à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens >> serait arbitraire, car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutive le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. <«< Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs (1). 38. Mais il faut prendre garde de ne pas pousser trop loin les choses; les publicistes ont remarqué, et l'histoire de nos dernières institutions a démontré, que si les pouvoirs sont séparés, étrangers les uns aux autres, tantôt l'exécutif, mécontent de son rôle effacé, fait un coup d'État pour avoir la prépondérance, tantôt le législatif arrive à prendre le premier rôle, et l'on tombe dans le despotisme des Chambres : la Convention est le type de ces derniers gouvernements. Ces pouvoirs ne doivent donc pas être étrangers les uns aux autres, leur indépendance deviendrait un danger véritable; ils doivent collaborer ensemble dans l'œuvre commune de la gestion des intérêts publics : «< on les organise non pour eux» mêmes, mais pour le pays; on veut qu'ils marchent, et pour marcher bien, qu'ils s'accordent et s'entr'aident; il faut non pas l'équilibre dans » l'immobilité, mais l'union, la coopération dans un même but poursuivi » avec une égale persévérance et une féconde activité (2) ».

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39. Quoi qu'il en soit du fonctionnement des pouvoirs, les constitutions politiques ont toujours organisé, d'une manière distincte, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ce n'est qu'à des époques troublées et sous de véritables dictatures que ces principes ont été méconnus (après le coup d'État de 1852; après le 4 sept. 1870, par exemple).

En conséquence, la confection de la loi revient exclusivement au pouvoir législatif; son exécution, au pouvoir exécutif, et son application, en cas de contestation entre particuliers et au regard de l'administration, au pouvoir judiciaire.

40. 1o Sous l'empire de notre constitution, la loi est l'œuvre du pouvoir législatif, s'exerçant au moyen de la Chambre des députés et du Sénat. Le texte de la loi n'est fixé que lorsqu'il est accepté par les deux Chambres.

L'initiative des lois appartient au gouvernement, aux députés et aux

(1) Montesquieu, Esprit des Lois, XI, 4, 6.

(2) St.-Girons, Manuel de Droit constitutionnel, ch. X, p. 397.

sénateurs. Les lois peuvent indistinctement être présentées au Sénat ou à la Chambre des députés, sauf les lois financières, qui doivent être présentées en premier lieu à la Chambre des députés.

Devant l'une ou l'autre des Chambres, il y a lieu à deux lectures: on a pensé qu'un double examen était nécessaire, pour remédier aux inconvénients résultant de l'acceptation à la légère d'amendements présentés, en contradiction quelquefois avec l'esprit de la loi.

Pour les lois urgentes (et elles peuvent être déclarées telles par les Chambres en tout état de discussion), une seule lecture suffit. La loi votée par les deux Chambres, le rôle du pouvoir législatif est terminé : la loi est complète et présente une formule à laquelle chacun doit obéissance (1).

La compétence du pouvoir législatif s'étend à toutes les matières de nature à être réglementées; mais il est une restriction résultant de notre constitution devant laquelle le pouvoir législatif doit s'incliner: le droit de modifier la constitution, d'en changer le caractère ou le fonctionnement, appartient au Congrès : les lois constitutionnelles sont ainsi soumises pour leur acceptation à une procédure parlementaire spéciale, elles sont votées par une assemblée unique, composée de la réunion de la Chambre des députés et du Sénat, et après que le principe de la loi constitutionnelle a été accepté séparément par la Chambre des Députés et le Sénat Voir lois constitut. art. 8, loi du 25 février 1875).

41. 2o Le pouvoir exécutif est chargé de veiller à l'exécution de la loi: il a pour devoir de la promulguer. La promulgation (art. 1, § 1, C. civ.) est la déclaration solennelle, dans les formes légales, qu'il tiendra la main à l'exécution de la loi et assurera l'efficacité de ses dispositions.

42. Sous quelques-unes de nos constitutions, le rôle du pouvoir exécutif n'était pas effacé, comme il l'est aujourd'hui ; il participait à la confection de la loi, indirectement il est vrai, par la sanction (Constit. de 1790, 1814, 1830 et 1852, art. 4 et 10). Il fallait entendre par là l'approbation donnée à la loi par le Chef du pouvoir exécutif : ce n'était qu'à partir de ce moment que la loi était obligatoire. Le refus de sanction entraînait la chute de la loi. Aussi les lois devaient-elles se dater, non pas du jour de l'approbation par les Chambres, mais bien de celui de la sanction par le Chef du pouvoir.

Aujourd'hui, le Président de la République n'est plus investi du droit de sanction: il doit promulguer la loi ; c'est pour lui un devoir constitutionnel (art. 3, loi du 25 février 1875), et l'article 7, § 3 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 ajoute: « le Président de la République promulgue les lois dans le mois qui suit la transmission au gouver»nement de la loi définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les (1) Nous nous occuperons du pouvoir judiciaire en étudiant les articles 4 et 5 du titre préliminaire.

» trois jours les lois dont la promulgation, par un vole exprès dans l'une » et l'autre Chambre, aura été déclarée urgente. Dans le délai fixé pour » la promulgation, le Président de la République peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres une nouvelle délibération, qui "ne peut être refusée

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Ainsi, le Président de la République ne participe en rien à la confection de la loi il a mission de la promulguer dans les formes légales; c'est là un devoir constitutionnel garanti par la responsabilité ministérielle et la mise en accusation du Président de la République (un décret du 6 avril 1876 donne la formule de la promulgation). La loi devrait done recevoir sa date de la dernière délibération des Chambres; en fait, d'après le décret du 6 avril 1876, la date de la promulgation est donnée comme la date véritable de la loi, bien que ce soit contraire à la vérité et à la constitution.

43. Le pouvoir exécutif, s'il n'a pas en principe l'exercice du pouvoir législatif, a toujours eu une grande influence sur la confection des lois, tantôt, suivant les constitutions, par l'initiative des lois, qui n'était reconnue qu'à lui, tantôt par le droit de sanction (tel qu'il était organisé par les constitutions de 1814 et de 1852), et aujourd'hui par le droit de provoquer une nouvelle délibération, avant la promulgation (art. 7, § 3 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875).

En outre, chargé d'assurer l'exécution des lois, le pouvoir exécutif a pour mission de publier des décrets ou règlements dans le but de déterminer les conditions d'application de la loi. Ces décrets ou règlements délibérés en assemblée générale du Conseil d'État ont dans la pratique une très grande importance; d'autres fois le pouvoir exécutif, en vertu d'une délégation formelle, reçoit du pouvoir législatif, le droit de faire des règlements législatifs pour l'application de certaines lois.

Ces décrets, règlements, ordonnances, viennent se placer à côté de la loi et sont obligatoires, comme cette dernière, sauf le droit pour les parties de les attaquer pour excès de pouvoirs et d'en faire prononcer la réformation.

A côté du pouvoir exécutif, se trouve le Conseil d'État chargé de préparer les projets de lois qui lui seraient soumis par le gouvernement ou renvoyés par les Chambres.

CHAPITRE PREMIER

PUBLICATION des lois

44. La loi promulguée, tout le monde lui doit obéissance; mais à partir de quel moment? En dehors des règles positives sur ce point, le bon sens nous dit que pour qu'un citoyen soit tenu d'obeir à la loi, il faut que cette loi lui soit connue ou soit réputée connue de lui; à partir de ce moment seulement elle pourra être obligatoire.

De là la nécessité de publier la loi.

Le système de publication a beaucoup changé, suivant les époques : 45. La loi du 14 frimaire an II exigeait que la publication de la loi fùt faite dans chaque commune à son de trompe ou de tambour. Ce système avait donné lieu à de très nombreuses difficultés, il était très difficile d'établir que la publication de la loi eût été faite, à cause de la négligence des agents chargés de la publier.

La loi du 12 vendémiaire an II changea le système de publication des lois à la place de la publication matérielle, elle prescrivit l'insertion de la loi dans un recueil; et présuma que tous les intéressés la connaìtraient tous ayant pu la connaitre.

Pour comprendre le principe de cette loi, il faut savoir que les lois, décrets, règlements d'administration publique sont insérés dans une publication particulière, le Bulletin des Lois, créée par la Convention le 12 frimaire an II et maintenue par le gouvernement depuis cette époque : les actes de chaque gouvernement forment une série particulière du Bulletin. La loi du 24 vendémiaire an IV a voulu que la loi fùt censée publiée, dans chaque département, du jour de l'arrivée au chef-lieu de la livraison du Bulletin qui la contenait.

Le Code civil, modifia ce système (art. 1, § 2, C. civ.); se rattachant au mode de publicité par voie de présomption, il veut que la loi soit exécutoire, parce qu'elle est censée connue, un certain délai après la promulgation; «... elles seront exécutées dans chaque partie du royaume, du moment où la promulgation en pourra être connue ».

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M. Portalis, dans la discussion, fit remarquer qu'avec les dispositionde la constitution du 22 frimaire de l'an VIII, ce système n'offrait aucun inconvénient, attendu que la loi était discutée dans les Chambres, que le vote était un fait connu de tous et que la promulgation devait intervenir dans les dix jours du vote. Tout le monde pouvait ainsi prévoir l'exécution de la loi, à date fixe.

46. Mais ce système ne pouvait pas s'appliquer avec la charte de 1814,

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