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pensons donc que les ascendants sont les gardiens de l'honneur de la famille et du bon ordre qui doit y régner. Le mariage d'un quelconque de leurs descendants les intéresse au premier chef, en leur promettant une descendance vis-à-vis de laquelle ils ont des droits à exercer et des devoirs à remplir (obligation alimentaire, art. 205, 206, 207, C. civ.). On s'explique en conséquence que la loi leur ait donné, sans qu'ils aient à justifier d'un intérêt né et actuel, l'exercice de l'action en nullité absolue du mariage.

397. Ce droit appartient-il à tous les ascendants sans distinction, ou bien faut-il le leur attribuer successivement, le deuxième degré n'en étant investi, qu'à défaut du premier, etc.? Bien que beaucoup d'auteurs, s'en tenant à la formule même de nos articles, décident que tous les ascendants sont investis concurremment de l'exercice de l'action, il nous paraît préférable d'adopter l'opinion contraire. Nous considérons le droit de consentir au mariage, celui de s'y opposer et celui d'en réclamer la nullité, dont les ascendants sont investis, comme des droits de même nature, comme des prérogatives de la puissance paternelle dont les ascendants sont investis; en conséquence, il nous semble que les mêmes règles doivent présider à l'exercice de ses droits; de même que le droit de consentir à mariage, celui d'y faire opposition et celui d'en demander la nullité ne peuvent être accordés aux ascendants que d'une manière successive, de façon que les plus proches l'aient au détriment des plus éloignés (renvoi pour les détails à la théorie du consentement et de l'opposition, art. 148 et 173, C. civ.). Ce système nous paraît plus que le premier conforme à la bonne discipline de la famille, à la hiérarchie de ses membres qui en fait le fondement.

398. A défaut des ascendants, il faut placer la famille, c'est-à-dire le conseil de famille de l'époux mineur (gardien des intérêts généraux de la famille). Ce dernier a l'exercice de l'action en nullité, sans avoir à justifier d'un intérêt pécuniaire (comp. art. 184 et 186, C. civ.); et le Code est logique en lui accordant ce droit, le conseil de famille n'a-t-il pas à défaut d'ascendants, le droit de consentir au mariage (art. 160) et le droit d'opposition à mariage (art. 174 et 175, C. civ.)?

Les ascendants et le conseil de famille de l'époux mineur sont les seuls qui n'aient pas à justifier d'un intérêt pécuniaire pour l'exercice de l'action: leur intervention est justifiée par la position qu'ils occupent dans la famille.

Il ne faudrait pas étendre ces principes aux autres parents des époux : ceux-ci n'auront l'exercice de l'action en nullité que lorsqu'ils pourront justifier d'un intérêt pécuniaire né et actuel. C'est ce qu'a voulu dire l'article 187 du Code civil, mais en termes obscurs. La loi laisse supposer que du vivant des deux époux les parents collatéraux n'ont jamais le droit d'exercer l'action en nullité. Il n'est pas possible que ce soit là le

sens du texte, car les parents collatéraux seraient dans une situation inférieure à celle des personnes étrangères à la famille. Qu'a donc voulu dire le législateur? Pour le comprendre, supposons l'un des époux mort: sa succession sera réclamée par les enfants du mariage, enfants légitimes, si le mariage est valable; mais si le mariage est nul, il n'y a plus d'enfants légitimes, et les enfants du premier lit des époux recueilleront cette succession entièrement, ou à leur défaut, les parents collatéraux des époux. A ce moment, l'intérêt né actuel existera pour eux et légitimera leur action; mais, en vue de cet intérêt éventuel, et avant l'ouverture de la succession, du vivant des époux, pourraient-ils exercer ce droit? Non; car ce serait traiter d'une succession non encore ouverte : c'est tout ce qu'a voulu dire l'article 187 ; il n'a pas d'autre portée.

3o Le ministère public a l'exercice de l'action en nullité absolue (art. 184 comp. art. 191, C. civ.).

Le droit du ministère public à l'exercice de l'action ne peut soulever aucune difficulté. Il y a ici un texte formel qui le lui confère, à la différence de ce qui se passe en matière d'opposition (comparez plus haut les personnes qui peuvent faire opposition à mariage).

Mais l'exercice de l'action lui est-il imposé comme un devoir auquel il ne puisse pas se soustraire, ou bien est-il juge du point de savoir s'il doit agir ou non ? En outre, n'y a-t-il pas des circonstances qui soient de nature à lui faire perdre le droit d'action qui lui appartient?

La réponse à cette question se trouve dans l'article 190 du Code civil. « Le procureur du roi, dans tous les cas auxquels s'applique l'article » 184, et sous les modifications portées en l'article 185, peut et doit de» mander la nullité du mariage, du vivant des deux époux, et les faire › condamner à se séparer. »

L'article contient deux expressions qui, dans le langage juridique ont une portée particulière: le ministère public peut demander la nullité: c'est-à-dire qu'il est toujours juge souverain du point de savoir, s'il y a opportunité à intervenir, ou s'il ne vaut pas mieux laisser les choses en l'état.

Mais, s'il se décide à agir, le ministère public doit le faire du vivant des deux époux, c'est-à-dire lorsque le mariage constitue un scandale. permanent, et par suite il fait condamner les époux à se séparer (art. 190, C. civ.). Si l'un des époux est décédé, le mariage est dissous, le scandale n'existe plus, à quoi bon faire intervenir le ministère public? Son action. aurait plus d'inconvénients que d'avantages.

399. Telles sont les personnes qui ont l'exercice de l'action en nullité. Restent deux questions générales à résoudre :

1o Lorsqu'une personne est investie de l'exercice de l'action, au cas d'inaction, ses créanciers peuvent-ils agir en ses lieu et place? Pour comprendre la question, il faut savoir que l'article 1166 (C. civ.) donne

aux créanciers d'une personne le droit d'agir en ses lieu et place, si cette dernière néglige d'exercer ses droits. Faut-il appliquer ici cette règle? Oui, mais suivant une distinction: si l'action en nullité appartient à une personne pour la sauvegarde d'un intérêt pécuniaire, né et actuel, ses créanciers peuvent agir à son défaut ; si l'action leur est donnée, comme sanction d'un intérêt de famille (ascendants), les créanciers de ces personnes ne peuvent pas agir à leur place, car ce qui légitime l'intervention des créanciers, c'est la conservation de leur gage sur le patrimoine. du débiteur. Or ici leur débiteur, investi de l'action en nullité, n'a aucun intérêt pécuniaire à l'exercice de l'action.

2o Les héritiers des personnes mentionnées plus haut ont-ils le droit d'agir? Les héritiers ont en général le droit d'exercer les actions appartenant au défunt, leur auteur. Mais il faut, pour qu'il en soit ainsi, que l'action sanctionne un droit pécuniaire; les héritiers la trouvant alors dans le patrimoine du de cujus, ont le droit d'agir comme l'aurait fait le défunt lui-même. Il en serait autrement sil 'action, dont l'auteur était investi, n'avait aucun caractère pécuniaire (ascendants).

400. L'exercice de ces actions en nullité absolue présente quelques particularités suivant les hypothèses. Faisons connaître ces règles spé

ciales:

A) Au cas de bigamie. Au cas de bigamie, à côté des personnes investies de l'action (art. 184, C. civ.), l'article 188 (C. civ.) place le conjoint au préjudice duquel a été contractée la nouvelle union. Ce droit ļui appartient comme conséquence du mariage qui le lie à son conjoint, sans qu'il ait à justifier d'un intérêt pécuniaire quelconque. Quelle que soit la personne qui intente l'action en nullité du deuxième mariage contracté, pour cause de bigamie, elle doit démontrer l'existence du premier mariage. Cette preuve doit se faire suivant les règles relatives à la preuve que nous expliquerons plus tard (art. 194 et suiv., C. civ.), et cette preuve faite, la nullité du deuxième mariage en découle. Si cependant le premier mariage était nul, le deuxième deviendrait valable et n'aurait plus le caractère de bigamie. Pour les époux contre lesquels la nullité du second mariage est poursuivie, opposer la nullité du premier mariage c'est opposer une exception à la demande dirigée contre eux. Ils sont demandeurs dans cette exception et doivent faire la preuve de leur prétention. Et comme c'est de la solution donnée à cette première difficulté, que dépend le sort définitif de l'action intentée contre eux, la question soulevée par l'exception doit être jugée préalablement (art. 189, C. civ.). Si le deuxième mariage avait été contracté pendant l'absence du conjoint, il faudrait combiner les règles que nous venons d'étudier avec la disposition de l'article 139, au titre de l'absence (renvoi au titre de l'absence, page 158).

B) Au cas d'impuberté.

La nullité basée sur l'impuberté présente

quelques règles particulières : l'action en nullité cesse 1° « lorsqu'il s'est » écoulé six mois depuis que cet époux ou les époux ont atteint l'âge com» pétent » (art. 185, C. civ.). Cette fin de non-recevoir s'explique par cette considération que s'il y a grand préjudice à ce qu'un mariage soit contracté par un impubère, dès que cet époux à atteint l'âge compétent pour le mariage (1), on ne voit pas pourquoi on provoquerait la nullité du mariage. Il semble donc que la seule arrivée de l'âge compétent devrait amener l'extinction de l'action; la loi donne cependant six mois après l'échéance. Le motif est qu'on a voulu laisser aux tiers le temps nécessaire pour l'exercice de l'action. 2o « Lorsque la femme qui n'avait point cet âge a conçu avant l'échéance de six mois (art. 185, C. civ.). La fin de non-recevoir s'applique au cas où il s'agit du mariage de la femme impubère. La conception montre que le mariage a produit son effet, et crée une fin de non-recevoir contre l'action en nullité dirigée contre le mariage pendant les six mois prescrits au paragraphe 1er. Si en effet l'action en nullité avait été intentée avant que la femme eût atteint l'âge compétent, la conception ne créerait aucune fin de non-recevoir. C'est donc à la femme à prouver la conception au moment où l'on sollicite la nullité du mariage, et cette preuve se fera par une expertise des personnes de l'art (médecins ou sages-femmes).

Cette fin de non-recevoir motive de notre part une double observation:

a) En premier lieu elle entraîne immédiatement l'extinction de l'action, sans que l'on se préoccupe d'un délai pour les tiers afin qu'ils puissent faire valoir la nullité; à ce point de vue donc les paragraphes 1 et 2 de l'article 185 sont conçus dans deux systèmes différents.

b) Elle ne saurait être étendue au cas d'une femme majeure, mariée à un impubère. La grossesse pendant l'impuberté ne prouverait rien, personne ne pouvant affirmer que la conception soit l'œuvre du mari.

3o L'article 186 crée une fin de non-recevoir, spéciale à certaines personnes demandant la nullité: « Le père, la mère, les ascendants et la famille, qui ont consenti au mariage contracté dans le cas de l'article précédent, ne sont point recevables à en demander la nullité » (art. 186, C. civ.). Mais l'action en nullité n'est pas éteinte d'une manière absolue, comme dans le cas des deux fins de non-recevoir précédentes; elle ne l'est qu'au regard de la personne qui a consenti au mariage. N'y auraitil pas quelque contradiction à admettre à provoquer la nullité d'un mariage celui avec le consentement duquel il a été contracté ? Cet article nous paraît étranger à la question examinée plus haut de savoir si l'action appartient exclusivement à l'ascendant le plus proche ou à tous les ascendants concurremment; il nous semble même que l'énumération

(1) L'âge fixé par l'article 144 (C._civ.).

qu'il contient serait plus favorable au système que nous avons accepté. Et dans ce cas, voici la portée de notre article: si l'ascendant le plus proche a consenti, tant qu'il vit, c'est à lui seul qu'appartient l'action en nullité, et la fin de non-recevoir de l'article 186 met obstacle à l'exercice de cette action. Après sa mort, l'action en nullité passe à l'ascendant du degré subséquent, et, comme celui-ci n'a pas consenti au mariage, son action devient alors recevable.

4o Enfin nous pensons que les époux pourraient, dès qu'ils ont atteint l'âge compétent, procéder à une union nouvelle véritable, et par là régulariser leur situation. Leur intérêt est d'échapper à l'exercice de l'action en nullité qui peut être provoqué pendant six mois (art. 185 § 1, C. eiv.) (1).

B.

Nullités absolues résultant d'un vice de forme.

401. Quelles sont les nullités admises par la loi pour vice de forme? Si nous ne considérions que l'article 191 du Code civil, nous dirions que l'action en nullité pour vice de forme n'existe que dans un seul cas : «Tout mariage qui n'a point été contracté publiquement, et qui n'a point » été célébré devant l'officier public compétent... » (art. 191, C. civ.), c'està-dire dans l'hypothèse où se trouvent réunis ces deux vices, incompétence de l'officier de l'état civil, et clandestinité de la célébration. Et dans ce sens, on ferait remarquer que l'article 191 dans le projet portait la disjonctive ou remplacée par et, au cours des travaux préparatoires. - Cependant un semblable système n'est pas acceptable; il viole l'article 165, qui s'occupant du mariage et de ses formes, mentionne les conditions de publicité et de compétence de l'officier de l'état civil. Il demande la solution de la difficulté à un article qui n'a pas été rédigé pour la trancher, à l'article 191 du Code civil qui a surtout en vue de déterminer les personnes qui peuvent exercer l'action. Enfin si ce système était fondé, il faudrait admettre qu'un mariage célébré devant un officier de l'état civil compétent (ce qui est presque toujours le cas), ne pourrait jamais être argué de nullité, quelque clandestin qu'il pût être.

Nous admettons done qu'il existe une double cause de nullité pour vice de forme: l'incompétence de l'officier de l'état civil et la clandestinité, et que chacune de ces nullités est distincte de l'autre.

402. La clandestinité constitue un vice de la célébration ; l'incompétence de l'officier de l'état civil peut être soit une incompétence personnelle, c'est-à-dire par rapport à la personne des futurs, soit une incompétence territoriale, tenant au lieu où le mariage a été célébré.

Les personnes qui ont l'exercice de ces actions en nullité sont énumé–

(1) Cass., 24 juillet 1872, Sir., 72, 1, 330.

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