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entière se place pendant le temps de la cessation de cohabitation. Au cas où le désaveu se produit, après la réconciliation des époux ou le rejet définitif de leur demande, l'enfant né après cette époque dans les 180 jours de la réconciliation ou du rejet de la demande en séparation ou en divorce, est dans la même situation que l'enfant né pendant le mariage (art. 314, C. civ.) et conçu avant, et il peut opposer au désaveu du mari les fins de non-recevoir résultant de cet article. Comp. nos 541 et suiv.

538. Cependant comme il ne faut pas sacrifier les intérêts de la mère et ceux de l'enfant, une fin de non-recevoir peut être opposable au mari. Elle résulte de ce qu'il y aurait eu, depuis l'ordonnance du président, réunion de fait entre les époux. Il faut entendre par là une réunion de fait, présentant un certain caractère d'intimité et permettant de supposer la paternité du mari. Aussi admettrions-nous qu'il faut que cette réunion ait eu lieu à l'époque de la conception, ou que les réunions aient été tellement fréquentes, qu'elles permettent de supposer que la conception est le fait du mari. Alors disparaît pour le mari le privilège du désaveu péremptoire que la séparation de corps avait fait naître; le mari est replacé, par la fin de non-recevoir, dans le droit commun et jouit du droit de désaveu dans les conditions des articles 312 et 313, § 1, s'il peut établir que par cause d'éloignement ou d'accident il a été dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme pendant la période de la conception.

B. Enfant conçu pendant le mariage mais né après sa dissolution.

539. L'enfant est né après la dissolution du mariage, mais a été conçu pendant le mariage: cette hypothèse est prévue implicitement par l'article 315 du Code civil. Pour qu'elle se réalise, il faut que la naissance ait lieu dans les 300 jours de la dissolution, de sorte qu'en supposant une naissance tardive, la période de conception pour partie plus ou moins longue se place pendant le mariage.

Ce texte vise tous les cas de dissolution du mariage, soit par la mort du mari soit par le divorce, auxquels cas il faut assimiler l'hypothèse où le mariage aurait été annulé. L'enfant né après la dissolution, mais dans les 300 jours à partir de la dissolution, peut être désavoué (1) par les héritiers du mari (art. 317, C. civ.). Jusqu'au désaveu, l'enfant jouit des avantages de la légitimité. Le désaveu sera recevable si les héritiers du mari peuvent prouver que pendant la période de conception se plaçant pen

(1) Bien que la loi dans l'article 317 (C. civ.) dise que les héritiers du mari pourront contester la légitimité de l'enfant, né dans les 300 jours de la dissolution du mariage, il ne faut pas hésiter à ne voir dans cette action que l'exercice d'un désaveu de leur part (art. 318, C. civ.).

dant le mariage, le mari a été, par suite d'éloignement ou de quelque accident, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme.

540. Si l'enfant n'est pas désavoué par les héritiers du mari, il est légitime; mais s'il est désavoué et que le désaveu soit admis, quelle est sa situation? Dans les hypothèses prévues par les articles 312 et 313, § 2 (C. civ.) et étudiées précédemment, le désaveu donne à l'enfant le caractère d'enfant adultérin. Mais ici en sera-t-il de même, et cette décision ne serait-elle pas bien dure? Qu'on l'admette au cas où l'enfant est né dans les 180 jours de la dissolution du mariage, lorsque toute la période de conception se place pendant le mariage, quelque dure qu'elle soit, cette décision n'a rien de choquant. Mais, pour l'enfant né depuis le 180o jour de la dissolution jusqu'au 300e, de façon que la période de conception se place partie pendant le mariage partie en dehors, faut-il l'accepter? Il y a sur ce point des divergences nombreuses.

Des auteurs admettent que l'enfant, né dans ces conditions, sera le maître d'invoquer ou non la présomption de paternité ; qu'il est le maitre de ne pas solliciter la légitimité et partant d'éviter le désaveu. Il sera donc un enfant naturel de la veuve et pourra être reconnu par une personne quelconque et légitimé par le mariage subséquent de la veuve avec le père de l'enfant.

D'autres auteurs, sans laisser à l'enfant le droit absolu de se placer sous la protection de la présomption ou en dehors, admettent que la présomption de paternité ne doit pas s'appliquer, dans notre hypothèse, avec la même énergie qu'au cas de l'article 312 (C. civ.), parce que la cohabitation n'a duré dans notre cas qu'une partie de la période de conception; et ils décident, en conséquence, que la présomption ne s'applique pas et qu'il n'y a pas lieu à l'invoquer pour la faire tomber par désaveu, au cas où elle serait formellement contredite par un fait ou une présomption contraires.

Par un fait au cas où la veuve ayant accouché quelques jours après le décès de son mari, accoucherait de nouveau dans les 300 jours de la dissolution du mariage, comment soutenir que le second enfant, bien que se plaçant dans les termes de l'article 325 (C. civ.), puisse bénéficier de la force de la présomption, is pater est... ? n'est-il pas certain que sa conception est postérieure au mariage, puisqu'elle n'a pu se produire qu'après l'accouchement, événement arrivé après la dissolution du mariage? Au cas où l'enfant né dans les derniers jours du délai de 300 jours de la dissolution, a été reconnu, à titre d'enfant naturel, par une personne avouant qu'elle en est le père, cette reconnaissance, expression de la vérité, ne doit-elle pas empêcher l'application de la maxime is pater est...? Et enfin par une présomption contraire au cas où la femme, se mariant après le décès de son mari, en violation de l'article 228 du Code civil, accouche d'un enfant, né dans les 300 jours de la dissolution du premier

mariage, et pendant la durée du second mariage; cet enfant peut ainsi se rattacher, soit au premier mari, soit au second, et peut invoquer une double présomption de légitimité (Comb. art. 315 et 314 du C. civ.).

Dans ces diverses hypothèses il faut se préoccuper de l'intérêt de l'enfant. Ce sont là des hypothèses non prévues par le législateur; il faut éviter que les conséquences des solutions admises arrivent à l'iniquité (1).

C.

Enfant né pendant le mariage, mais conçu avant.

541. Enfin notre présomption s'applique à l'enfant né pendant le mariage. C'est l'hypothèse prévue par l'article 314 du Code civil.

Pour que cet article puisse s'appliquer, il faut que toute la période de conception se place en dehors du mariage, car si un seul jour de cette période se trouvait compris dans le mariage, en vertu de ce principe que la conception est réputée avoir eu lieu à l'époque la plus favorable pour l'enfant, ce dernier pourrait invoquer à son profit l'application des principes étudiés sous les articles 312 et 313 du Code civil. Il faut donc, pour que nous avons à appliquer l'article 314, que l'enfant soit né pendant le mariage, dans des conditions telles, que toute la période de la conception soit en dehors du mariage. Pour ne pas soulever de question de calcul délicate, supposons que l'enfant soit né le 170o jour du mariage. La conception de cet enfant a eu lieu avant le mariage, car en prenant la gestation la plus courte, celle de 180 jours, nous voyons qu'à ce moment le mariage n'existait pas encore. Quelle est la situation du mari vis-à-vis de cet enfant?« L'enfant, né avant le 180o jour du mariage, ne pourra être » désavoué par le mari, dans les cas suivants : 1o s'il a eu connaissance » de la grossesse avant le mariage; 2° s'il a assisté à l'acte de naissance, » et si cet acte est signé de lui, ou contient la déclaration qu'il ne sait »signer; 3o si l'enfant n'est pas déclaré viable» (art. 314, C. civ.).

L'enfant né de la femme mariée est réputé né des œuvres du mari; sa situation est favorable et il est légitime, sauf au mari à faire tomber cette légitimité en désavouant l'enfant. Puisqu'on parle du désaveu du mari, c'est donc qu'on regarde l'enfant comme provisoirement légitime (2), jusqu'à ce que le désaveu ait fait tomber cette présomption : l'enfant est défendeur à l'action en désaveu dirigée contre lui.

542. Le désaveu du mari dans ce cas se rapproche beaucoup du désaveu péremptoire, existant au cas de séparation de corps, et se distingue profondément du désaveu visé par les articles 312 et 313 du Code civil. Des termes de l'article 314, il résulte que le mari a le droit absolu de désaveu, à moins qu'on n'induise des faits ou circonstances qu'il a reconnu ou accepté la paternité, ou qu'il n'a aucun intérêt à la désavouer.

(1) Comp. Trib. de Versailles, 14 août 1889, Sir., 90, 2, 95. (2) Poitiers, 19 juillet 1875, Sir., 76, 2, 161.

La solution de cet article se comprend très bien : la présomption de paternité, au cas d'enfant conçu pendant le mariage, repose sur ce fait que la cohabitation existe et que probablement les enfants de la femme sont des œuvres du mari; mais ici la période de conception est tout entière en dehors du mariage; au moment de la conception, il n'y avait pas cohabitation; la base de la présomption fait défaut; il n'y a nulle raison Aussi de rattacher les enfants au mari plutôt qu'à toute autre personne. laisse-t-on au mari le désaveu d'une manière absolue, sans qu'il ait à le justifier.

Mais s'il résulte des circonstances que le mari a accepté la paternité de l'enfant, il perd ce droit, l'enfant reste légitime.

Les fins de non-recevoir contre l'action en désaveu résultent d'abord de ce que le mari a eu connaissance de la grossesse antérieurement au mariage, et que consentir au mariage dans ces conditions, c'est avouer l'on est le père de l'enfant. Aussi est-ce avec raison que l'article 314 du Code civil enlève au mari l'action en désaveu.

que

La connaissance de la grossesse se démontre contre le mari par toute espèce de moyen de preuve. Il s'agit ici d'un fait matériel dont on n'était nullement obligé de se procurer une preuve écrite.

Ensuite, du fait que le mari a assisté à l'acte de naissance, en y jouant un rôle actif, c'est-à-dire s'il a signé à l'acte de naissance (art. 56, C. civ.), ou si l'acte contient la mention qu'il ne sait signer (art. 314, C. civ.). Ces faits présentent de la gravité; ils permettent de supposer que le mari accepte la paternité. Nous pensons que si le mari avait, en figurant à l'acte de naissance, fait des réserves ou protestations contre la légitimité de l'enfant, la fin de non-recevoir de l'article 314 (C. civ.), n'existerait pas contre lui.

Enfin, du fait que l'enfant n'est pas né viable. Ici l'enfant n'est pas une personne civile; il n'y a aucun intérêt pour le mari à le désavouer (comparez personnes physiques, t. I, no 99).

Telles sont les seules fins de non-recevoir mentionnées dans l'article 314 (C. civ.); elles présentent ce caractère commun, ou bien qu'elles constituent de la part du mari une acceptation de paternité, ou un défaut d'intérêt.

Mais pourrait-on, en dehors de ces fins de non-recevoir, en induire d'autres, des circonstances par exemple? Nous n'hésitons pas à le penser. Toute renonciation au désaveu, de la part du mari, avant la naissance et en connaissance de cause, une reconnaissance de paternité émanée du mari, etc., constitueraient des faits analogues à ceux de l'article 314 (C. civ.) et entraîneraient des fins de non-recevoir au regard du mari.

543. Dans ces cas de fins de non-recevoir, le mari conserverait-il le droit de désavouer l'enfant, suivant les conditions des articles 312 et 313

du Code civil? Voici à cet égard la solution qui nous paraitrait devoir être acceptée: si la fin de non-recevoir s'est produite après la naissance de l'enfant, et que le mari ait agi en connaissance de cause, elle le prive d'une manière absolue de l'action en désaveu et constitue un aveu de paternité légitime. Si au contraire la fin de non-recevoir est antérieure à la naissance, comme par exemple la connaissance de la grossesse de la part du mari, il nous semble que ce dernier conserve le droit de désavouer l'enfant dans les termes du Droit commun : cette connaissance de la grossesse n'est un aveu de paternité que si la grossesse est d'un enfant dont on puisse se croire le père. Il faut donc ne pas attribuer à cette fin de non-recevoir un effet trop considérable.

544. L'enfant désavoué par le mari devient par là même enfant naturel de la femme mariée; il a été conçu hors mariage. Non désavoué par le mari, il est enfant légitime. Cette situation, que l'on n'aura souvent aucun intérêt à contester, tout le monde est-il obligé de l'accepter? N'y a-t-il pas des cas où l'on peut la faire tomber, notamment lorsqu'un obstacle légal s'oppose à son maintien?

Fixons par une hypothèse la grave question ici soulevée :

Primus se marie le 1er avril 1873 avec Prima; il était veuf, à la date du 1er mars 1873, Prima accouche d'un enfant dans les 180 jours du mariage, par exemple le 100 jour : le mari ne désavoue pas l'enfant ; l'aurait-il voulu, qu'il ne l'eût pas pu; par exemple, il avait connu la grossesse avant le mariage; quoi qu'il en soit il ne désavoue pas l'enfant. Qu'est cet enfant? Peut-on contester son état ? La raison de douter vient de ce que la période de conception se place tout entière pendant le premier mariage de Primus, dissous le 1er mars 1873. Ce dernier peut-il avoir pour enfant légitime celui dont la conception remonte à cette époque? D'éminents jurisconsultes, MM. Valette et Demolombe notamment, soutiennent que cet enfant est légitime et que nul ne peut contester son état. Ils font valoir dans ce sens les arguments suivants, à savoir que la loi attache la légitimité au fait de la naissance pendant le mariage, et que cette présomption de légitimité ne pouvant tomber que par l'action en désaveu, cette dernière n'ayant pas été faite, il est impossible de contester la légitimité de l'enfant sous quelque prétexte que ce soit. N'y a-t-il pas, au reste, des motifs de haute convenance et de moralité à établir d'une manière absolue la situation des enfants nés pendant le mariage, et fautil encourager des procès scandaleux qui laissent après eux le trouble le plus profond dans les familles (1).

Malgré ces arguments, la jurisprudence (2) s'est jetée dans une voie opposée, et voici les motifs sur lesquels elle s'appuie: c'est la conception

(1) Sic, arrêt de Poitiers, 19 juillet 1875, Sir., 76, 2, 16 (note Ortlieb).

(2) Cass., 28 juin 1869, Sir., 69, 4, 446 (2 arrêts) et Lyon, 6 avril 1870, Sir., 70, 2, 109, sur renvoi de Cassation.

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