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78. Elles s'appliquent au Français partout où il se trouve, en France comme à l'étranger (1`. Par voie d'analogie, pour déterminer la capacité d'un Étranger, son état, l'aptitude à faire tel ou tel acte, il faut interroger la loi de son pays, abstraction faite de son séjour plus ou moins prolongé en France et de la personne avec laquelle il contracte, peu importe que celle-ci soit Française ou Étrangère. Mais à cet égard, il faut réserver le cas de fraude: si l'Étranger avait trompé sur sa qualité d'Étranger. sur sa capacité, on pourrait ne pas tenir compte de la loi étrangère.

79. Cependant, par application de l'article 3, §1 C. civ.), si l'usage d'un droit de l'Étranger était de nature à troubler l'ordre en France, à blesser le sentiment public, on ne saurait en tolérer l'exercice. C'est ainsi qu'un Étranger, appartenant à un pays où la polygamie est autorisée, ne pourrait pas en France demander qu'on procédât à son mariage, s'il était déjà marié et non veuf.

80. Cette théorie de l'article 3 se complète par une règle, dont les sapplications sont très importantes, locus regit actum.

Les actes sont les écrits constatant les conventions intervenues entre les particuliers. Ils sont soumis à des règles de nature diverse : les unes, intrinsèques, tiennent à la capacité des parties, à l'émission du consentement, aux principes applicables à l'opération juridique d'après sa nature ; les autres, externes, tiennent exclusivement à la manière de dresser l'acte; elles en fixent la forme, déterminent les règles qui doivent présider à sa rédaction, s'il doit être authentique ou sous seing privé, etc. Par application de la maxime locus regit actum, on décide que le Francais à l'étranger peut faire constater les contrats par lui faits, suivant la législation du heu où le contrat est fait et, quelque différentes que ces règles soient de celles que prescrit la législation française, elles peuvent être suivies (art: 47, 170, 999, 2128, C. civ.). Cette solution se justifie par un double motif: (c'est d'abord, que les règles de preuves sont établies, eu égard à la situation, aux mœurs du pays où le fait juridique est intervenu, et qu'elles doivent suffire, quels que soient les intéressés, puis, par ce motif pratique, qu'il faut bien donner à un Étranger le moyen de faire constater, là où il se trouve, un fait juridique qui l'inté

resse.

81. Mais la forme étrangère n'est pas imposée, et le Français à l'étranger, qui voudrait faire constater un fait juridique suivant la loi française, le pourrait, à la condition qu'il y eût des représentants de l'autorité française pour accomplir les formalités (art. 170, C. civ..

Par voie d'analogie, l'Étranger en France peut y faire dresser les actes qui l'intéressent, suivant les formes de la loi française.

Tel est le système d'après lequel le législateur détermine les effets des lois, quant au temps, aux personnes et aux choses.

(1) Applic. int. Cass. req., 8 juillet 1886, Sir., 87. 1. 449.

CHAPITRE III

DE L'APPLICATION DES LOIS (ART. 4, 5, 6, C. civ.)

82. Le législateur va s'occuper ici des principes suivant lesquels la loi, faite pour régler les rapports juridiques des particuliers, sera appliquée à ces derniers. L'application des lois met en mouvement le pouvoir judiciaire, chargé de terminer les contestations qui s'élèvent entre les particuliers. Les articles 4, 5 et 6 du Code civil s'occupent de cette matière, nous les étudierons sous la division suivante :

§ I. Organisation du pouvoir judiciaire ;

§ II. Application de la loi par le juge;

§ III. Interprétation de la loi.

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83. En France, on a accepté la célèbre division des pouvoirs de Montesquieu ; à côté du pouvoir législatif, qui formule la loi, du pouvoir exécutif, qui en assure l'exécution, se place le pouvoir judiciaire, chargé d'en faire l'application aux intéressés, sur les difficultés qui les divisent.

84. Sur l'organisation judiciaire, il a été rendu un grand nombre de lois; les principales sont la loi du 20 avril 1840 sur l'Organisation judiciaire, la loi du 11 avril 1838 sur les tribunaux de première instance, la loi du 25 mai 1838 sur les justices de paix.

Les tribunaux, suivant la nature des affaires qui leur sont soumises. se divisent en plusieurs catégories : les tribunaux criminels, les tribunaux administratifs et les tribunaux civils forment trois classes parfaitement distinctes. Les premiers assurent l'exécution des lois pénales, au cas où des infractions ont été commises; les seconds tranchent les difficultés nées dans les relations des particuliers et des autorités administratives; les troisièmes s'occupent des contestations sur les matières de Droit civil. Ce sont de ces derniers que nous allons seulement nous occuper; les autres classes de tribunaux sont étudiées dans les cours spéciaux de Droit criminel et de Droit administratif.

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85. Les juridictions civiles se divisent en deux grandes classes: les unes sont exceptionnelles, les autres de Droit commun. Les premières n'ont qu'une compétence limitée: elles ne peuvent connaître que des affaires qui leur sont attribuées par un texte formel de loi. Les juridictions de Droit commun ont une compétence absolue, c'est-à-dire qu'elles peuvent connaitre de toutes les affaires, quelle que soit leur nature,

sans qu'il soit besoin d'un texte leur attribuant le droit de statuer sur ce point.

Les juridictions civiles doivent mettre fin aux contestations déférées à leur appréciation; leurs décisions portent le nom de jugements ou arrêts: ils sont en dernier ressort ou en premier ressort. La décision est en dernier ressort, lorsque la contestation est définitivement tranchée, sans qu'on puisse la reporter devant une juridiction supérieure ; si la décision est en premier ressort, la difficulté n'est pas définitivement tranchée, et la partie, qui se plaint du jugement comme faisant grief à ses droits, peut le déférer à une juridiction supérieure devant laquelle l'affaire sera examinée à nouveau. On nomme appel, la voie de recours qui défère une décision judiciaire à une juridiction supérieure.

L'organisation judiciaire en France cadre avec la division administrative aux juridictions est affecté un territoire déterminé et formant une des divisions administratives de la France; ce procédé est heureux, car grâce à lui, il ne peut y avoir aucune difficulté sur la compétence territoriale des juridictions.

86. Ceci établi, voici quelles sont ces juridictions:

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Les juridictions d'exceptions comprennent les juges de paix, les tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes, la Cour de cassation. Les juges de paix (un par canton) connaissent en dernier ressort de certains litiges peu importants, et, à charge d'appel, d'un assez grand nombre d'affaires, notamment des actions possessoires élevées à l'occasion de la possession des immeubles. Leur compétence civile et exceptionnelle est limitée aux cas prévus par la loi.

En outre, ils ont une autre mission à remplir: ils sont conciliateurs dans tous les procès qui doivent être portés devant le Tribunal de première instance (art. 48, Proc. civ.). Ils ne siègent pas dans ce cas comme juges; ils doivent donner des conseils aux parties et chercher à amener entre elles un rapprochement.

Les tribunaux de commerce ont une compétence exceptionnelle : ils connaissent des difficultés entre commerçants. Ils nous présentent cette particularité, que leur personnel est recruté à l'élection parmi les commerçants eux-mêmes; ils sont tantôt juges en premier, tantôt en dernier ressort.

Les conseils de prud'hommes statuent sur certaines difficultés entre patrons et ouvriers.

La Cour de cassation dont nous parlerons bientôt est aussi une juridiction d'exception.

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87. Ces juridictions sont: le Tribunal de première instance, la Cour d'appel. Le Tribunal de première instance est le tribunal ordinaire de Droit commun: il y en a un par arrondissement, et suivant les besoins du service, il peut être composé de plusieurs Chambres. Il est juge d'appel pour les décisions des juges de paix, et juge ordinaire de toutes les contestations civiles, dont les unes sont jugées en dernier ressort, les autres en premier ressort à charge d'appel. L'appel des décisions des tribunaux de première instance est porté devant la Cour d'appel.

La Cour d'appel, envisagée comme juridiction civile, a un ressort assez étendu qui comprend plusieurs départements: elle connaît de tous les appels des décisions des tribunaux de première instance et des tribunaux de commerce du ressort. Chaque Cour d'appel se divise en plusieurs Chambres, suivant l'importance du ressort.

Ces juridictions de Droit commun se composent de magistrats inamovibles, juges ou conseillers, chargés de statuer sur les affaires qui leur sont soumises et, à côté d'eux, se trouvent les magistrats du ministère public (procureur de la République et substitut devant les tribunaux, procureur général, avocats généraux et substituts devant la Cour): ceuxci sont amovibles; ils n'ont au civil que très exceptionnellement le droit d'action, c'est-à-dire le droit de jouer le rôle de partie, mais ils doivent être entendus dans toutes les affaires qui de leur nature doivent être communiquées au ministère public (art. 83, Proc. civ.), et peuvent demander à donner leurs conclusions pour éclairer la justice dans toutes les affaires portées devant les juridictions auxquelles ils sont attachés.

88. Enfin, au-dessus de toutes ces juridictions se trouve la Cour de cassation; elle a son siège à Paris et se compose de trois Chambres : la Chambre criminelle, la Chambre des requêtes et la Chambre civile. Nous laisserons de côté le rôle de la Cour de cassation au criminel, pour ne nous occuper que de son rôle dans les affaires civiles.

Dans l'ancienne jurisprudence, on avait eu beaucoup à se plaindre des parlements. Ces grands corps judiciaires étaient portés à se placer au-dessus des lois et à empiéter sur les attributions du législateur, en interprétant la loi suivant leur caprice ou leurs passions. Le législateur a craint que les Cours d'appel ne fussent poussées à faire de même et il a institué, pour assurer la bonne application de la loi, la Cour de cassation. Quel est son rôle ? Les tribunaux, en présence d'une contestation, peuvent se décider par deux séries de motifs, d'ordre tout à fait différent. Par des motifs d'ordre juridique, ils recherchent les textes, le sens et la portée de la loi, et, en en faisant application à la cause, décident ainsi la contestation; - d'autres fois, ils interprètent les faits et circonstances de la cause et jugent la difficulté, en tenant compte des faits qui leur sont

soumis et d'après eux. La Cour de cassation n'a pas à s'immiscer dans l'examen des faits et circonstances de l'affaire ; elle doit constater si la loi a été bien ou mal appliquée, bien ou mal interprétée; elle examine l'affaire, dénuée de toutes les circonstances du fait, ne se préoccupant que des principes juridiques à appliquer.

On appelle pourvoi, l'acte par lequel on défère à la Cour de cassation une décision judiciaire définitive. L'affaire est portée devant la Chambre des requêtes qui décide si le pourvoi est admissible; le pourvoi admis à la Chambre des requêtes, l'affaire arrive à la Chambre civile pour y être examinée; si la loi a été violée, mal appliquée ou mal interprétée, il y a cassation; ou rejet du pourvoi, si les juges ont fait bonne application de la loi. La cassation fait disparaitre la décision judiciaire, et la Cour de cassation ne pouvant juger l'affaire, les parties sont renvoyées devant une juridiction, de l'ordre de celle dont la décision a été cassée, pour obtenir une nouvelle décision (Cour d'appel, Tribunal, juge de paix suivant les cas). Si la nouvelle juridiction, saisie de l'affaire, persiste dans l'interprétation juridique qui a motivé la cassation, il peut y avoir lieu à nouveau pourvoi; celui-ci est examiné par les Chambres réunies de la Cour de cassation, et si la Cour de cassation persistant dans son interprétation casse à nouveau, l'affaire est renvoyée devant une juridiction (toujours de l'ordre de celle dont la décision cassée émane) pour y être statué conformément à la solution de la Cour de cassation. Il faut en effet que les contestations se terminent; les deux cassations successives fixent, pour l'affaire, l'interprétation légale; la juridiction saisie, après la deuxième cassation, n'a pas à examiner les détails de l'affaire; elle lui applique la solution conforme à la décision de la Cour de cassation.

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89. Les juges sont institués pour mettre fin aux contestations; leur devoir strict les oblige donc à statuer et ils ne pourraient se refuser à le faire, sous prétexte que la loi serait obscure ou insuffisante (art. 4, C. civ.; mais, en jugeant, ils ne doivent avoir en vue que l'affaire qui leur est soumise et ne statuer que sur elle (art. 5, C. civ.). Reprenons chacun de ces principes.

90. Jer PRINCIPE. Le juge doit toujours rendre un jugement sur la contestation qui lui est soumise, quelque insuffisante que soit la loi.

(

« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obsen» rité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice» (art. 4, C. civ.).

Cette règle se justifie par des considérations de la plus grande importance: toute contestation apporte à la société un trouble profond; il importe au plus haut point qu'il y soit mis fin au plus vite; le juge doit

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