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Sect. I. Des conditions exigéees pour l'adoption au point de vue des

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SECTION I.

DES CONDITIONS EXIGÉES POUR L'ADOPTION, AU POINT DE VUE DES PERSONNES QUI Y FIGURENT

631. L'adoption peut être définie un acte juridique qui fait naître, entre l'adoptant et l'adopté, des rapports analogues à ceux qui résultent de la paternité et de la filiation légitimes.

Le Code distingue trois espèces d'adoption: 1° l'adoption ordinaire ou commune; c'est celle qui se produit le plus ordinairement; 2o l'adoption rémunératoire; 3° l'adoption testamentaire. Chacune de ces adoptions exige des conditions particulières; il faut les étudier successivement.

1o Adoption commune.

632. Pour l'adoption, le législateur exige le consentement de l'adoptant et de l'adopté (art. 353, C. civ.). Il considère l'adoption comme un contrat d'une nature particulière, mais dont la condition essentielle est l'assentiment des deux parties contractantes. De là nous concluons que les deux parties doivent être capables de donner un consentement et qu'il faut appliquer ici les règles relatives à la validité et à l'efficacité du consentement, au cas de convention (renvoi à la théorie générale des articles 1108 et suiv., C. civ., voir Cours élémentaire, t, II, nos 1098 à 1150).

633. En outre, la loi exige certaines autres conditions du chef de l'adoptant:

a) Qu'il ait cinquante ans ; à cette époque, généralement, on a perdu tout espoir de se créer une famille par le mariage, aussi l'adoption devient-elle possible pour cette personne ;

b) Qu'il ait 15 ans de plus que l'adopté. Autrefois on disait adoptio naturam imitatur. N'est-il pas rationnel de vouloir que celui qui s'attache une personne à titre d'enfant lui impose par son âge le respect ?

c) Que l'adoptant ait donné des soins non interrompus à l'adopté pendant sa minorité et pendant six ans au moins; on ne veut pas que l'adoption soit le résultat d'un caprice de la part de l'adoptant, et qu'il ait à le regretter; on exige que des relations aient dès longtemps existé entre lui et l'adopté (art. 345, C. civ.); elles marquent chez lui une volonté réfléchie et arrêtée ;

d) Que l'adoptant n'ait à l'époque de l'adoption ni enfants, ni descendants légitimes; il faut ajouter, ni enfants légitimés, que la loi assi

mile aux enfants légitimes (art. 333, C. civ.). A quoi bon permettre la constitution d'une famille civile à celui qui a des enfants? Mais la naissance d'enfants légitimes à l'adoptant (hypothèse à laquelle font allusion divers articles du Code civil, notamment les articles 348 et 351), après l'adoption, n'empêche pas cette dernière de produire ses effets, il y a droit acquis pour l'adopté au maintien de l'adoption, l'existence d'enfants au moment de l'adoption rend celle-ci inefficace. Il faut à cet égard appliquer la règle infans conceptus pro nato habetur. Si donc un enfant naissait à l'adoptant, après l'adoption, mais dans des conditions telles que sa conception fût antérieure à l'adoption, cette dernière serait sans effet. Et pour déterminer à quel moment la conception se place, la naissance étant connue, il faut appliquer, par voie d'analogie, la règle des articles 312 et 314 du Code civil.

e) Si l'adoptant est marié, il doit avoir le consentement de son conjoint (art. 344, C. civ.). La loi exige ce consentement, pour être assurée que l'adoption ne sera pas une occasion de reproches et une cause de troubles dans le ménage; ce qui pourrait arriver, puisque l'adoption impose à l'adoptant des charges nouvelles, et peut limiter au regard de son conjoint la faculté de disposer de l'adoptant. (Comp. art. 1094, C. civ.) Peu importe comment ce consentement aura été donné ; la loi n'exige aucun mode particulier de preuve.

f) Il faut que l'adoptant jouisse d'une bonne réputation (art. 335, C. civ.). La loi considère l'adoption comme une faveur accordée à la personne de l'adoptant, et elle exige qu'il en soit digne.

634. Telles sont, d'après les textes du Code, les seules conditions exigées pour la validité de l'adoption au regard de l'adoptant. On s'est demandé cependant si toute personne remplissant ces conditions pourrait faire une adoption valable et notamment si un Étranger en France, si un prêtre catholique pourraient adopter et si une personne pourrait adopter son enfant naturel reconnu ?

La première question doit se résoudre conformément aux principes posés plus haut, sous les articles 11 et 13. Pour nous, l'Étranger en France jouit de tous les droits dont jouissent les Français, à moins qu'un texte formel ne les lui enlève. Or, aucun texte n'enlevant à l'Étranger la faculté d'adopter, nous ne pouvons la lui refuser au seul prétexte qu'il est Étranger.

Pour le prêtre catholique, il ne saurait y avoir non plus de difficultés. Ceux qui admettent chez le prêtre catholique la capacité de se marier, a fortiori doivent-ils lui reconnaître la possibilité d'adopter, car l'adoption est loin de présenter pour le prêtre catholique les inconvénients du mariage. Mais même pour ceux qui croiraient devoir interdire le mariage. au prêtre catholique, l'adoption devrait être permise: elle n'est en rien. contraire aux obligations du sacerdoce; et, de même qu'une personne

ayant des enfants, mais veuve, peut entrer dans les ordres, de même par l'adoption le prêtre doit pouvoir s'attacher des personnes à titre d'enfants; son caractère n'en subit aucune atteinte.

En ce qui touche l'adoption de la personne reconnue à titre d'enfant naturel, la question paraît devoir être beaucoup plus délicate; en effet, à quoi servira l'adoption? A une seule chose; elle donnera, à l'enfant naturel reconnu et adopté, les droits de succession de l'enfant légitime, et par là ne peut-on pas dire que l'article 908 du Code civil sera fatalement violé ? De plus, tous les articles de la section supposent que le contrat d'adoption se forme entre deux personnes entre lesquelles n'existe aucune paternité. N'est-il pas étrange de voir celui dont la paternité est légalement établie venir demander la création d'une paternité civile ?

Peut-être qu'au fond ce système serait le plus logique. Cependant, il n'a pas triomphé dans la jurisprudence (1). Voici les considérations qui ont entraîné l'autre solution:

Un article formel, à notre titre, proscrivait l'adoption de l'enfant naturel par celui qui l'avait reconnu; il a été supprimé; la plus simple conséquence à tirer de sa suppression, n'est-ce pas de dire que cette adoption, dans la pensée du législateur, est autorisée? On ajoute qu'il faut qu'il en soit ainsi, pour permettre aux parents de réparer leur faute: ils le peuvent par la légitimation par mariage subséquent, au cas où le mariage des père et mère est possible; pourquoi ne le pourraient-ils pas par l'adoption? Enfin, si les parents savent que la reconnaissance les mettral dans l'impossibilité d'adopter l'enfant, n'y a-t-il pas à redouter de leur part qu'ils s'abstiennent de faire une reconnaissance, et laissent l'état de l'enfant incertain? Aussi admet-on l'adoption d'un enfant naturel re

connu.

635. Du chef de l'adopté, les conditions exigées par la loi sont les suivantes:

a) Il faut que l'adopté ait vingt et un ans accomplis. On a voulu que l'adopté donnât un consentement réfléchi, l'adoption est un contrat relatif à la personne, pour la formation duquel on ne comprendrait pas que l'intéressé fût représenté par son tuteur, on attend sa majorité. Si l'impossibilité d'adopter un mineur présente quelques inconvénients, ils sont atténués par l'institution de la tutelle officieuse.

b) Si l'adopté a moins de 25 ans, il doit avoir le consentement de ses père et mère; s'il a plus de 23 ans, il lui suffit de leur conseil (art. 346, C. civ.). Nous avons vu que le mariage, suivant les cas, pouvait aussi être célébré avec le consentement ou le conseil des ascendants; mais il y a entre les deux matières à ce point de vue une grande différence. L'âge pendant lequel le consentement est requis, en cas d'adoption,

(1) Cass. civ., 16 fév. 1881, Sir., 83, 1, 369.

est le même pour le fils et la fille; il en est autrement au cas de mariage: pour lequel le fils a besoin de ce consentement jusqu'à 25 ans, la fille jusqu'à 21 ans seulement (art. 148, C. civ.).

Le droit de consentir au mariage est donné à tous les ascendants (art. 148, C. civ.); en matière d'adoption on ne demande que l'assentiment des père et mère; et, chose remarquable, on donne à chacun une autorité égale, de sorte que le refus de l'un ou de l'autre empêche l'adoption (art. 346, C. civ.). Après 25 ans, on exige leur conseil, et par voie d'analogie de ce qui se fait pour le mariage, nous déciderions que la justification du conseil requis doit se faire par la production d'un acte respectueux.

c) Qu'il n'ait été adopté par aucune autre personne, si ce n'est le conjoint de l'adoptant (art. 344, C. civ.).

L'adoption par deux conjoints fait entrer, par la fiction de la loi, un enfant dans ce ménage qui en a été privé; on s'explique donc que la loi autorise cette adoption. En dehors de ce cas, l'adoption est interdite par plusieurs personnes, vis-à-vis d'adoptants de même sexe, parce qu'on a - voulu conserver à cette fiction de filiation une certaine analogie avec la filiation naturelle. Or, si l'enfant avait pu être adopté par plusieurs personnes du même sexe, cette fiction de paternité aurait subi une grave atteinte. Et vis-à-vis d'adoptants de sexe différents, permettre l'adoption, c'était les éloigner du mariage en leur permettant de se rattacher leurs enfants par un lien légal.

636. Nous avons vu que l'enfant naturel reconnu pouvait être adopté par son père ou sa mère; faut-il en dire autant de l'enfant adultérin ou incestueux ? Comme pour le cas de l'enfant naturel, nous serions porté à admettre l'impossibilité d'adoption; mais il faut reconnaître que pour les partisans du système qui a triomphé, l'existence d'une parenté naturelle n'empêchant pas l'adoption, il faut admettre en principe qu'aucun obstacle légal ne s'oppose à l'adoption d'un enfant adultérin ou incestueux par son père ou sa mère, sauf le contrôle de la justice basé sur l'article 355 du Code civil.

2o Adoption rémunératoire.

637. L'adoption rémunératoire est celle qui est destinée à récompenser la personne qui, au péril de ses jours, par un dévouement spontané, a sauvé l'adoptant; peu importe les circonstances « dans un combat, » en le retirant des flammes ou des flots, etc. » (art. 345, C. civ.). Ici, la loi se départit de sa sévérité en matière d'adoption. « Il suffira, dans » ce deuxième cas (adoption rémunératoire) que l'adoptant soit majeur, plus âgé que l'adopté, sans enfants ni descendants légitimes et s'il » est marié, que son conjoint consente à l'adoption » (art. 345, C. civ.).

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Les autres conditions que nous avons indiquées pour l'adoption ordinaire. ne sont pas exigées ici.

638. Si les parties, ne remplissant pas les conditions légales d'une adoption ordinaire, avaient simulé les circonstances d'une adoption rémunératoire, il y aurait fraude à la loi, et toute personne intéressée à faire tomber l'adoption aurait le droit d'exercer une action en nullité (1).

3o Adoption testamentaire.

639. Enfin, l'adoption peut être testamentaire, si elle émane du tuteur officieux; et les seules conditions exigées par la loi se trouvent mentionnées dans l'article 366 du Code civil.

« Si le tuteur officieux, après cinq ans révolus depuis la tutelle, et » dans la prévoyance de son décès avant la majorité du pupille, lui » confère l'adoption par acte testamentaire, cette disposition sera vala»ble, pourvu que le tuteur officieux ne laisse point d'enfants légitimes » (art. 366, C. civ.).

Cette adoption est privilégiée, parce qu'elle intervient au profit d'un mineur et que la loi n'exige pas les conditions énumérées pour l'adoption ordinaire. Nous aurons à revenir sur cette espèce particulière d'adoption en étudiant la tutelle officieuse; il suffit pour le moment d'en donner cette idée générale.

SECTION II.

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FORMES EXIGÉES EN MATIÈRE D'ADOPTION

640. La loi, à cause de l'importance que présente le contrat d'adoption, a voulu que des formes particulières fussent suivies ; en outre, elle n'a pas pensé que ce fût là un contrat dans lequel n'eussent à intervenir que l'adoptant et l'adopté, mais qu'il était bon que la justice, représentant les intérêts généraux de la société, sanctionnât ce contrat par son approbation; par là l'adoption devient un contrat solennel présentant des formes particulières. Ces formes sont exigées et pour l'adoption ordinaire et pour l'adoption rémunératoire. L'adoption testamentaire étant la conséquence du testament, échappe aux règles de forme que nous allons étudier.

641. La loi, pour qu'il ne pût planer aucun doute sur la volonté des parties, a exigé que la preuve du consentement fût donnée par elles, dans un acte spécial reçu par le juge de paix : La personne qui se pro» posera d'adopter, et celle qui voudra être adoptée, se présenteront » devant le juge de paix du domicile de l'adoptant, pour y passer acte » de leurs consentements respectifs (art. 353, C. civ.). Si les parties ne pouvaient pas se présenter en personne, il faudrait qu'elles se fissent représenter par un fondé de procuration spéciale et authentique.

(1) Cass., 14 juin 1869, Sir., 69, 1, 371.

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