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done statuer, et l'obscurité, l'insuffisance, le silence de la loi ne pourraient servir d'excuse à son refus.

La sanction de cette règle est énergique : le juge, coupable de déni de justice, encourt les peines portées par l'article 185 du Code pénal et, en outre, au point de vue civil, il peut être l'objet de la prise à partie et être rendu responsable du litige (art. 505, 506, 507, C. proc. civ.).

91. Quels principes doivent guider le juge dans sa décision? Il faudrait, pour répondre à cette question, étudier chaque contestation ent elle-même. D'une manière générale, on peut dire que le juge doit rendre sa décision, en résolvant les questions de fait et les questions de Droit que le litige soulève.

a). Les faits exercent souvent sur la décision à rendre une grande influence; si les faits sont constants, le juge n'a plus qu'à trancher les points de Droit.

Si les faits ne sont pas reconnus, il doit les vérifier; l'examen des titres produits (1), les enquêtes (2), les expertises (3), fourniront au juge les éléments nécessaires à la solution des questions de fait. Le juge ne devra jamais perdre de vue que c'est au demandeur à faire la preuve de sa prétention, et que, si la preuve n'est pas faite, le défendeur doit être renvoyé des fins de la demande (art. 1315, C. civ.).

b). Les faits étant constatés, il faut rechercher les principes de Droit applicables à l'espèce.

Si la loi est claire et prévoit l'hypothèse dans laquelle les parties sont placées, les juges doivent appliquer la loi et ne doivent pas hésiter à le faire, lors même qu'il en résulterait quelques inconvénients. Ils ont en effet à juger suivant la loi, et non pas à juger la loi. S'il leur arrivait de laisser la loi de côté, leur décision pourrait être déférée à la Cour de cassation.

Si la loi présente un sens douteux, si elle est muette, ou insuffisante, les juges doivent cependant rendre une décision, et pour la formuler, ils doivent rechercher le sens de la loi et mettre en lumière les princicipes sur lesquels ils s'appuient.

I. Loi obscure. Les juges doivent rechercher, sous la forme obscure, la véritable pensée du législateur; ils ont plusieurs moyens à leur disposi

(1) En général, les faits juridiques sont prouvés par des écrits, soit authentiques, soit sous seing privé, et l'examen de ces titres fournira la solution du procès. (2) Quelquefois les faits juridiques peuvent être établis par témoins (art. 1341 et 1347, C. civ.): c'est au moyen d'enquêtes que l'on réunira les témoignages et le juge pourra trouver dans les enquêtes la preuve des faits avancés.

(3) Les procès soulèvent souvent des questions techniques, pour la solution desquelles il est nécessaire d'avoir recours à des hommes de l'art, aptes à apprécier les faits invoqués : le juge ordonne des expertises, pour se renseigner sur des points douteux et difficiles à apprécier.

tion: les précédents historiques à mettre en relief, les travaux préparatoires à rappeler et à étudier, les opinions doctrinales, comme aussi les décisions antérieurement rendues sur des hypothèses analogues par la jurisprudence; mais, quelles que soient les décisions doctrinales, ou jurisprudentielles, seraient-elles unanimes et concordantes, elles ne lient jamais le juge; celui-ci rend sa décision, suivant sa conscience et suivant l'interprétation qu'il croit la meilleure.

II. Loi insuffisante. La loi est insuffisante en ce qu'elle ne prévoit pas, par exemple, l'hypothèse à juger, mais prévoit des hypothèses analogues et de même nature. Le juge, dans ce cas, aura à décider s'il faut étendre à cette hypothèse non prévue la solution donnée par la loi pour des hypothèses prévues, ou bien, s'il faut donner une solution contraire. Pour cela le juge doit rechercher le caractère de la disposition légale. Si elle est l'expression d'une règle de Droit, conforme. aux principes, il est rationnel de l'étendre aux cas analogues, non prévus: le législateur ne peut pas prévoir toutes les hypothèses; il donne la solution des hypothèses les plus ordinaires. Par interprétation, le juge étend cette solution à des hypothèses analogues non prévues (art. 565, 2e alin., C. civ.).

La règle donnée est-elle contraire aux principes généraux du Droit, il faut, comme règle exceptionnelle, la restreindre à l'hypothèse même pour laquelle elle a été donnée; et, pour des hypothèses non prévues, rentrer dans le Droit commun.

III. Loi muette. La loi ne prévoit, ni directement, ni indirectement, l'espèce sur laquelle le juge doit statuer; c'est là une matière, une combinaison, à laquelle le législateur n'a pas songé.

Un point est certain, c'est que le juge doit statuer, sous peine de commettre un déni de justice (art. 4, C. civ.).

Mais comment doit-il statuer ? Certains auteurs disent: en déboutant le demandeur, sa réclamation n'étant pas justifiée, puisqu'elle est en dehors des prévisions du législateur. Nous n'hésitons pas à préférer l'opinion contraire débouter le demandeur sous prétexte que la loi est muette, équivaut à un véritable déni de justice vis-à-vis de lui; en outre, il est des principes de législation qui dominent le texte de la loi et, au cas où cette dernière est muette, ils servent à donner la solution. C'est l'opinion que Portalis avait indiquée au Conseil d'État.

Nous concluons donc que dans toutes les hypothèses, le juge doit juger, suivant les dispositions de la loi (art. 4, C. civ.), la contestation élevée entre les parties.

92. Notre législation a voulu laisser la plus grande liberté aux particuliers, dans la gestion de leurs intérêts: de là, l'article 1134 (C. civ.) « Les » conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites...». Si done, le juge se trouve en présence d'un accord particu

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lier, il doit l'appliquer et en déterminer les conséquences, comme il le ferait pour la loi elle-même.

Cependant le législateur apporte un sage tempérament à la liberté des conventions: « On ne peut déroger, par des conventions particulières, » aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs (art. 6, C. civ.). »

Dans des cas assez nombreux, le législateur, après avoir formulé certaines règles ajoute, que les parties ne peuvent y déroger par des conventions spéciales (Comp. 791, 1387, 1628, 1660, 1674, etc., C. civ.). Dans ces cas, il ne saurait y avoir de difficultés. Mais que décider dans les hypothèses où le législateur n'exclut pas formellement la dérogation? Le juge doit déterminer le caractère de la loi et si celle-ci a en vue le règlement d'intérêts privés, sans que son application présente pour la société un intérêt, les parties peuvent y déroger. Si au contraire la disposition est telle que toute dérogation à cette loi constitue un trouble social, une atteinte à la morale, la dérogation par les parties est impossible.

93. Ainsi les lois politiques, les lois sur l'organisation de la famille. de la propriété, les lois criminelles, sont évidemment des lois d'ordre public, auxquelles les parties ne peuvent pas déroger. Quant aux lois relatives aux biens, aux conventions entre particuliers, il faut se décider, dans chaque cas, par un examen particulier de la clause et des principes généraux de la législation, en tenant compte du but que le législateur s'est proposé. La jurisprudence fournit à cet égard des décisions très intéressantes. (Consulter l'arrêt de la Cour de cassation, 11 février 1873, Sir.. 73.1.97; la loi du 12 août 1870, proclamant le cours forcé du billet de banque, intéresse l'ordre public. - Comp. sur d'autres questions : Cass. req., 14 février 1879, Sir., 79.4.198. Alger, 20 janvier 1879, Sir.. 79.2.77. Cass. req., 4 nov. 1885, Sir., 88.1.459. Douai, 13 mai 1886, Sir., 88.2.140. Cass., 10 déc. 1878, Sir., 80. 1.61). Les contre lettres (1), par lesquelles l'acquéreur d'un office s'est obligé à payer une somme au delà du prix fixé par la Chancellerie, sont nulles comme contraires à une loi d'ordre public, etc., etc.

94. II PRINCIPE. Le juge, saisi d'une contestation, ne peut résoudre que la difficulté qui lui est soumise.

« Il est défendu aux juges de prononcer, par voie de disposition gé» nérale et réglementaire, sur les causes qui leur sont soumises » art. 5, C. civ. (comp. art. 10 de la loi du 24 août 1790).

Autrefois, les parlements, en présence d'une difficulté, pouvaient, en la décidant, déclarer qu'à l'avenir ils statueraient de même sur les difficultés analogues, de là les arrêts de règlement; ils participaient par là

(1) L'office constitue pour son titulaire une propriété d'une nature spéciale; la transmission s'en opère au profit du successeur présenté à l'agrément du chef de l'État dans les conditions approuvées par la Chancellerie.

à l'exercice du pouvoir législatif. Avec les principes de la séparation des pouvoirs, on ne pouvait pas laisser aux juges modernes une telle prérogative. L'article 5 a donc pour objet de proscrire la pratique des arrêts de règlement. La sanction de cette règle est donnée par l'article 127 du Code pénal.

Mais les juges peuvent, en rendant leur jugement, en assurer l'exécution et, par exemple prévoyant la non-exécution, fixer par avance les dommages-intérêts qui pourraient être dus (1).

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95. Interpréter la loi, c'est en indiquer le sens, en déterminer la por-, tée d'application. Suivant l'autorité de laquelle émane l'interprétation, on la distingue en interprétation doctrinale, interprétation judiciaire et interprétation législative.

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96. Interpréter la loi, c'est la science du jurisconsulte; c'est à savoir l'interpréter que tous ses efforts doivent tendre.

Dans cette interprétation, qui n'est après tout que la recherche de la vérité, l'esprit humain doit suivre certains principes que l'on peut mettre en relief; son premier devoir est d'étudier le texte en lui-même, de fixer le sens des expressions employées, puis de l'éclairer par les travaux préparatoires et les précédents historiques; de vérifier les solutions qui en découlent naturellement, par les conséquences pratiques; enfin, de voir s'il est susceptible d'être étendu à des hypothèses analogues, ou s'il faut en restreindre l'application à l'hypothèse prévue.

Cette interprétation doctrinale ne lie jamais le juge, quelle que soit son unanimité. Elle peut servir d'argument pour faire pencher la balance d'un côté, mais rien n'empêche le juge de suivre une opinion abandonnée par les auteurs.

En Droit romain, il en était autrement. Les Prudents, par leurs décisions, participaient à l'exercice du pouvoir législatif; et, dans le Code Théodosien, la loi des citations dit qu'au cas d'unanimité d'avis des grands jurisconsultes Papinien, Modestin, Paul et Ulpien, leur décision lierait le juge; rien de semblable ne se rencontre aujourd'hui : l'interprétation doctrinale est œuvre privée et ne lie jamais le juge.

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(1) Cass. req., 13 déc. 1887, Sir.. 87.1.176 et renvois.

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97. L'interprétation judiciaire est l'interprétation de la loi donnée par les tribunaux dans leurs décisions et dont l'ensemble constitue la jurisprudence.

En présence du principe posé par l'article 4 (obligation de juger), la jurisprudence a pris une importance considérable. Il est des théories juridiques, sur des matières non réglementées par le législateur, qui ont été formulées par la jurisprudence des arrêts (les matières des assurances sur la vie, de la subrogation à l'hypothèque sont dans ce cas). Pour l'étude des lois, la jurisprudence est intéressante à connaître : elle fournit des hypothèses que l'imagination la plus ingénieuse ne parviendrait pas à établir.

98. Une contestation ayant été terminée par une décision judiciaire définitive, quelle est l'autorité de cette décision?

1o Entre parties, elle a force de loi et doit être appliquée; les parties ne peuvent pas, à nouveau, saisir le juge de la contestation; celle-ci est définitivement tranchée; il n'y a plus qu'à assurer l'exécution du jugement (art. 1351, C. civ.). De là le brocard: res judicata pro veritate habetur.

20 Au regard des tiers, le jugement n'a pas d'autorité : c'est-à-dire que sa décision ne leur est pas opposable; contre eux, il faut à nouveau provoquer une décision judiciaire.

Le juge n'est pas lié dans la solution d'un procès par la décision par lui rendue sur un procès analogue; d'où il suit que, si des contestations de même nature étaient portées devant lui, il aurait à les examiner et pourrait y mettre fin en acceptant une autre interprétation de la loi. Une jurisprudence, même unanime, ne lie jamais le juge; mais, en pratique, il faut reconnaître qu'elle exerce souvent une très grande influence sur les décisions à intervenir.

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99. Interpretari leges ejus est cujus eas condere (loi ult., Code, de Legibus). Qui connaît mieux la loi que le pouvoir législatif, qui pourrait mieux que lui en donner le véritable sens; et lorsque la doctrine et les tribunaux sont hésitants, lorsque des contradictions se produisent, pourquoi le pouvoir législatif n'interviendrait-il pas pour interpréter la loi et en fixer la véritable portée ?

Aussi voit-on quelquefois une loi nouvelle interpréter une loi ancienne et en déterminer la portée (par exemple, la loi du 21 juin 1843 sur le notariat qui a fixé législativement le sens de l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI. L'interprétation législative, à la différence des interpréta

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