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peut avoir le second mariage de la mère sur la tutelle de ses enfants. Pour le mari veuf, qui se remarie, aucune modification n'est apportée à sa situation, parce que son second mariage lui laisse toutes les prérogatives dont il était investi et ne modifie pas son état. La femme veuve remariée devient incapable par le mariage, et passe sous la dépendance du nouveau mari; lui laisser la direction de la tutelle, ne serait-ce pas par la force des choses la donner au second mari et ce procédé n'offrirait-il pas des inconvénients? De là les articles 395 et 396 du Code civil:

« Si la mère tutrice veut se remarier, elle devra, avant l'acte de ma»riage, convoquer le conseil de famille, qui décidera si la tutelle doit » lui étre conservée... » (art. 395, C. civ.).

Le projet de mariage de la mère compromet-il ou non les intérêts des enfants? Cela dépend des circonstances, et le législateur a voulu que le conseil de famille fût juge de la question. La mère doit, avant l'acte de mariage, le convoquer et faire décider par ce conseil si la tutelle lui sera ou non conservée.

La question de savoir si la décision du conseil de famille, refusant de maintenir ou maintenant la femme en tutelle est susceptible d'être at taquée par des voies de recours, est controversée dans la jurisprudence (1). Nous pensons que c'est à tort que l'on assimile ce cas à une exclusion ou destitution de tutelle: le conseil de famille exerce ici un droit dont il est investi par la loi, droit de puissance; nous décidons en conséquence qu'il ne peut y avoir aucun recours contre sa décision quant au fond (2), si la délibération est valable en la forme.

Si le conseil de famille pense que la tutelle ne peut pas être laissée à la femme, il y a lieu à la nomination d'un nouveau tuteur à l'effet de remplacer la mère : cette dernière rendra compte de sa tutelle au nouveau tuteur.

767. Si le conseil de famille conserve la tutelle à la mère, « il lui » donnera nécessairement pour cotuteur le second mari, qui deviendra » solidairement responsable, avec la femme, de la gestion postérieure » au mariage » (art. 396, C. civ.).

En ce qui touche la mère maintenue en tutelle, il faut remarquer que la décision du conseil de famille n'est pas sans produire quelques effets: elle modifie le caractère de la tutelle; au lieu d'être tutrice légale, la mère est tutrice nommée par le conseil de famille ; d'où il résulte que, vis-à-vis d'elle, le conseil de famille jouit de tous les droits qu'il aurait vis-à-vis d'un tuteur datif et, notamment, il peut user à son égard des prérogatives que lui donnent les articles 454, 455 et 470 du Code civil vis-àvis de tout tuteur. Ces prérogatives, le conseil de famille peut les exercer

(1) Comp. Paris, 19 nov. 1887, Sir., 88, 2, 29, le recours est admis, et les renvois sous cet arrêt.

(2) Angers, 11 nov. 1875, Sir., 76, 2, 168.

au regard du second mari. Ne faut-il pas qu'il en jouisse vis-à-vis de la mère?

En maintenant à la mère la tutelle, le conseil de famille lui donnera nécessairement pour cotuteur le second mari; la cotutelle n'est qu'une modalité de la tutelle, par suite ce titre entraîne pour le mari les mêmes conséquences que le titre de tuteur: obligation de gérer la tutelle, d'en rendre compte, responsabilité de sa gestion et garantie de l'hypothèque légale (art. 2121, C. civ.).

768. La femme remariée et le mari sont donc cotuteurs : à qui des deux appartient l'administration de la tutelle? Il faut remarquer que, bien qu'il y ait deux tuteurs, il n'y a qu'une tutelle unique (1), et qu'en conséquence, les deux tuteurs étant mis sur la même ligne et ayant les mêmes droits, l'administration appartient à l'un et à l'autre, et par suite ils doivent se mettre d'accord pour les actes de gestion. S'il y avait conflit, nous sommes d'avis que l'acte ne pourrait pas être fait valablement par l'un d'eux, et qu'il faudrait recourir au conseil de famille pour faire cesser le conflit.

769. Le mari cotuteur est solidairement responsable de la gestion de la tutelle postérieure au mariage.

Pour nous, en proclamant ici la responsabilité solidaire, le législateur veut que les deux époux soient responsables, comme s'ils s'étaient engagés solidairement: nous verrions là un cas de solidarité légale, produisant tous les effets de la solidarité conventionnelle (art. 1202, C. civ.), et le mineur pourrait réclamer ses droits pour le tout, soit à la femme, soit au mari. Mais ce dernier ne peut être responsable d'actes qui se sont produits antérieurement à son mariage et qu'il n'a pas connus (2), et sa responsabilité n'existe que « pour la gestion postérieure au mariage» (art. 396, C. civ.).

770. Qu'arriverait-il si la femme se remariant ne consultait pas le conseil de famille?

((...

A défaut de cette convocation, elle perdra la tutelle de plein » droit; et son nouveau mari sera solidairement responsable de toutes » les suites de la tutelle qu'elle aurait indûment conservée » (art. 395, C. civ.).

La mère perdra la tutelle de plein droit: ces termes doivent s'entendre en ce sens, que la loi enlève la tutelle à la mère sans qu'il soit

(1) Dès que la tutelle est une, il en résulte qu'il ne doit être présenté qu'un compte de tutelle, auquel doivent figurer le mari et la femme (Cass., 19 avril 1886, Sir., 90, 1, 109), que l'extinction de la tutelle dans la personne de la mère entraîne l'extinction de la tutelle du second mari, comme la destitution de la tutelle ou de la mort de celui-ci entraînent extinction de la tutelle pour la mère (Trib. de la Seine, 29 nov. 1872, Sir., 73, 2, 151 et Bourges, 28 janvier 1857, Sir., 57, 2, 508). (2) Cass. 7 février 1871, Sir., 71,1,121.

TOME I

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nécessaire d'obtenir une décision du conseil de famille. Celui-ci aura à voir s'il y a lieu de nommer un tuteur pour l'investir de la gestion (1).

La tutelle étant perdue, la mère reste sans qualité pour faire les actes relatifs à la tutelle, et nous pensons que les enfants, dans l'intérêt desquels cette déchéance est prononcée, pourraient de ce chef attaquer les actes faits par la tutrice. Il y a à appliquer ici la théorie de la nullité relative des actes, faits sans qualité, par le tuteur.

La mère, en conservant la tutelle, sans consulter le conseil de famille, a commis une faute; elle est engagée par ce fait à continuer la gestion indûment conservée, et responsable comme si elle était tutrice de droit.

Son mari a été complice de cette faute; nous estimons qu'il doit en supporter les conséquences; la loi déclare « qu'il sera solidairement » responsable des suites de la tutelle indûment conservée » (art. 395, C. civ.).

Nous trouvons là un cas de solidarité légale, et nous appliquons à la mère et au mari toutes les conséquences d'une obligation solidaire par eux contractée (renvoi à la solidarité, explication de l'art. 1202, C. civ.).

771. La responsabilité du mari met à sa charge toutes les suites de la tutelle, qu'est-ce à-dire ? S'agit-il de la gestion postérieure au mariage seulement, ou bien de la gestion de la tutelle dans son ensemble, antérieure et postérieure au second mariage? Les travaux préparatoires ne permettent pas de déterminer la véritable pensée du législateur : la formule par lui employée est douteuse, car s'il dit toutes les suites de la tutelle, expression favorable au second point de vue, il ajoute de la tutelle indûment conservée, cela ne s'applique-t-il pas à la tutelle postérieure au mariage, la seule qui ait été indûment conservée ? Malgré ces raisons d'hésiter, nous pensons que le second mari est responsable, sans distinction, de toutes les suites de la tutelle; quant à la tutelle postérieure au mariage, il ne saurait y avoir de doute; pour la gestion antérieure, nous établissons sa responsabilité de la manière suivante : la mère a commis une faute, son mari l'a connue, s'il n'en a pas été le complice; il aurait dû engager sa femme, et même exiger d'elle, qu'elle rendit compte de son projet de mariage au conseil de famille en le convoquant; en ne le faisant pas, il s'est rendu responsable des suites de cette tutelle. Nous ajoutons qu'il faut qu'il en soit ainsi, pour qu'il y ait une différence dans la situation du second mari, entre le cas où le conseil de famille a été consulté et celui où il ne l'a pas été.

Aussi n'hésitons-nous pas à proclamer la responsabilité du mari pour l'ensemble de la tutelle, pour la gestion postérieure comme pour la gestion antérieure au mariage.

Cette responsabilité du mari pèse sur lui comme gérant la tutelle en (1) Il pourrait nommer la mère survivante et remariée, Paris, 19 novembre 1887, Sir., 88, 2, 29.

fait, et nous pensons en conséquence que, puisque c'est comme tuteur qu'il est obligé, son patrimoine est grevé d'hypothèque légale (art. 2121, C. civ.), en garantie des obligations assumées par lui. Cette hypothèque légale sur les biens du second mari date du jour du second mariage, époque où il est devenu tuteur de fait.

772. La tutelle, une fois perdue par la mère en suite de son mariage, et indument conservée, reste définitivement perdue au regard des enfants du premier lit, même après le décès du second mari; mais à la mort de ce dernier, la mère devient tutrice légale des enfants du second lit.

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TUTELLE TESTAMENTAIRE (art. 397 à 401, C. civ.)

773. La tutelle testamentaire est la tutelle déférée par la volonté d'un testateur. Le Code en reconnaît deux applications: la première existe au cas de substitutions permises (art. 1055, C. civ.); nous l'étudierons au siège de la matière (renvoi au cours de 2o année); la seconde se réfère au cas où le dernier mourant des père et mère a choisi un tuteur à ses enfants mineurs (art. 397, C. civ.).

Nous examinerons à l'occasion de cette tutelle, 1o en quelle forme et 2o par qui elle peut être conférée.

1° En quelle forme la tutelle testamentaire peut être conférée.

774. « Ce droit ne peut être exercé que dans les formes prescrites » par l'article 392, et sous les exceptions et modifications ci-après » (art. 398, C. civ.). Il résulte de cet article que pour que la nomination du tuteur testamentaire soit valable, il faut ou bien un acte de dernière volonté, testament authentique, olographe ou mystique, ou une déclaration faite devant le juge de paix assisté de son greffier, ou devant notaires, avec les observations que nous avons présentées sur l'article 392. Dans l'un comme dans l'autre cas, cette nomination est le résultat d'un acte de dernière volonté, et par suite elle est révocable jusqu'au décès du constituant et on a eu raison de la désigner sous le vocable de tutelle testamentaire.

En Droit romain, on admettait que le testateur, conférant la tutelle, pouvait le faire avec telles modalités qui lui paraissaient convenables, à terme, sous condition suspensive ou résolutoire. Cette même faculté existe-t-elle en Droit français ? Le plus grand nombre des auteurs pensent que le silence du Code doit s'interpréter dans le sens du maintien des traditions anciennes; tout au plus pourrait-on permettre aux tribunaux de juger, suivant les circonstances, si une nomination de tuteur, à terme ou sous condition, doit être maintenue.

Le tuteur nommé par le dernier mourant des père et mère est dans la situation où il serait s'il avait été nommé par le conseil de famille, et

a pour devoir d'accepter la gestion de la tutelle, à moins qu'il n'ait quelque excuse légitime à faire valoir (art. 401, C. civ.).

2o Par qui la nomination peut être faite.

775. « Le droit individuel de choisir un tuteur... n'appartient qu'au » dernier mourant des père et mère » (art. 397, C. civ.). Le législateur a voulu que le dernier mourant des père et mère seulement èût la faculté de nommer un tuteur testamentaire : il ne fallait pas, en effet, que l'un des époux trouvât dans l'exercice de cette prérogative la possibilité d'exclure l'autre époux de la tutelle; ce n'est donc que le dernier mourant des deux conjoints qui pourra conférer la tutelle. C'est ici une • tutelle permissa jure civili, pour parler le langage romain. Elle ne peut exister que conformément aux dispositions de la loi.

On dit quelquefois que nommer un tuteur testamentaire à ses enfants est une des prérogatives de la puissance paternelle; je ne crois pas que ce langage soit exact, car, s'il en était ainsi, il faudrait dire que le dernier mourant des père et mère jouirait de ce droit, par cela seul qu'il aurait la puissance paternelle à son décès. Comment expliquer alors les articles 399 et 400 du Code civil? Nous préférons dire que le droit de nommer un tuteur testamentaire à ses enfants a été accordé par la loi au dernier mourant des père et mère, comme conséquence de la tutelle et par cela seul qu'à son décès il en est encore investi. Ce doit être une préoccupation chez le dernier mourant des père et mère de se demander qui prendra en main la gestion de la tutelle qu'il abandonne, cette préoccupation n'a sa raison d'être que pour le cas où il gère lui-même la tutelle.

Remarquons, au reste, que, s'il en était autrement, le dernier mourant aurait, dans l'exercice de cette faculté, le moyen de dépouiller de la tutelle un tuteur qui en aurait été régulièrement investi, et cela en dehors des modes d'extinction de la tutelle reconnus par la loi.

Dans notre système, l'article 399 (C. civ.) s'explique tout naturellement: si la mère survivante ne peut pas, par testament, désigner un tuteur à ses enfants mineurs, lorsqu'elle n'a pas été maintenue en tutelle, c'est qu'elle n'a plus la tutelle à son décès, et qu'elle ne peut enlever la tutelle à celui qu'a choisi le conseil de famille.

L'article 400 (C. civ.) décide que la femme remariée et maintenue en tutelle peut encore choisir un tuteur testamentaire aux enfants du premier lit; mais «< ce choix ne sera valable qu'autant qu'il sera confirmé » par le conseil de famille » (art. 400, C. civ.). On pourrait être tenté de croire que la loi retire ainsi à la femme survivante le droit qu'elle paraît lui accorder; il n'en est rien, la femme reste investie légalement du droit de nommer le tuteur testamentaire, et cette nomination, confir

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