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884. Les maladies mentales exigent des soins, une surveillance spéciale, une thérapeutique particulière; et si, pour quelques-unes, les soins peuvent être assurés dans l'intérieur de la famille, pour d'autres il faut recourir à l'isolement du malade, le retirer de son milieu ordinaire pour lui procurer le calme et le repos. Dans ce but, des établissements spéciaux ont été fondés, dans lesquels se trouvent, avec un service médical éclairé, une surveillance sérieuse et toutes les ressources qu'offre la science moderne pour le soulagement des malheureux aliénés. Ces établissements se divisent en deux classes: les uns sont des établissements privés, les autres des établissements publics organisés par l'administration pour le service des aliénés. De telle sorte, l'aliéné peut se trouver dans une triple situation, ou bien être soigné dans sa famille, ou bien être placé dans un établissement d'aliénés, soit privé, soit public. La loi de 1838 sur les aliénés n'avait pas fait entrer dans ses préoccupations l'aliéné soigné dans sa famille; celui-ci n'avait d'autres garanties que celles du Droit commun, punissant les séquestrations de personnes; quant aux aliénés placés dans les établissements privés ou publics, ils se trouvaient protégés, grâce au système de surveillance sur ces sortes d'établissements, organisé par la loi de 1838 sur les aliénés (art. 4, 5, 6, pour les établissements privés, et art. 7 pour les établissements publics).

Le projet de loi sur les aliénés, voté par le Sénat, est allé plus loin ; tout en organisant la surveillance des établissements privés ou publics, il se préoccupe de protéger l'aliéné soigné dans sa famille.

Les articles 1, 4, 8, 9, 10, 11 et 12 organisent la surveillance des établissements privés; les articles 2, 4, 5, 6, 9, 10, 11 et 12 celle des établissements publics; l'article 8 assure la surveillance pour l'aliéné soigné dans un domicile privé. Il nous suffit d'indiquer ces dispositions sans les examiner en détail, la discussion à la Chambre des députés pouvant amener des modifications sur certains points.

885. Le placement d'un aliéné dans un établissement public ou privé peut être le fait de sa famille, qui prend l'initiative d'une mesure indispensable à la guérison de l'aliéné, c'est le placement volontaire; ou bien, si l'aliéné fait courir des dangers à la société, l'autorité publique peut ordonner son internement à l'asile, c'est le placement forcé. On voit par ce simple exposé que, suivant les circonstances, une atteinte. grave peut être portée à la liberté individuelle d'une personne aliénée ou prétendue telle; mais la loi devait organiser au profit de cette dernière des garanties particulières, sans lesquelles les plus criants abus auraient pu se produire. Analysons à ce point de vue le système de la loi de 1838 et le projet de loi sur les aliénés, voté par le Sénat.

886. Si l'aliéné est traité dans son domicile, cas non prévu par la loi de 1838, le projet de loi voté par le Sénat organise une certaine surveillance (art. 8 du projet), et en outre, s'il y avait séquestration arbitraire,

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le Procureur de la République pourrait en poursuivre les auteurs par application des articles 341 à 344, 114 à 122 (C. pén.).

Si l'aliéné est placé dans un établissement d'aliénés, public ou privė, ses droits sont garantis et tous abus empêchés :

1o Par la police générale des établissements d'aliénés. -- D'après la loi de 1838, les établissements publics sont placés sous la direction de l'autorité publique; les établissements privés, sous sa surveillance (art. 2 et 3); les règlements intérieurs doivent être approuvés par le préfet (art. 7); des visites sont faites dans les établissements par les autorités (suivant les dispositions de l'article 4). Le projet de loi voté par le Sénat, tout en maintenant les règles générales posées à ce point de vue par la loi de 1838, a organisé d'une manière plus complète la surveillance de ces établissements. (Comparez projet de loi, art. 1 à 13.) Ces mesures sont une première garantie de nature à protéger l'aliéné.

20 Par les règles relatives au placement des aliénés. - La loi de 1838 avait réglementé avec soin le placement volontaire provoqué par la famille (art. 8, 9, 10, 11 et 12); le projet de loi voté par le Sénat, tout en maintenant la plupart des garanties de détail, déjà prescrites par la loi de 1838, y ajoute l'intervention du pouvoir judiciaire: ce dernier doit statuer, à la requête du Procureur de la République, si la séquestration sera maintenue ou la sortie ordonnée (art. 14 à 26 du projet). La justice interviendra donc nécessairement pour apprécier l'opportunité de la mesure; en outre, le projet assure d'une manière très large aux membres de la famille la possibilité de provoquer la sortie de tout aliéné dont la maladie n'est pas de nature à compromettre l'ordre public.

Quant au placement forcé, il est ordonné par le préfet contre toute personne (interdite ou non) dont l'état d'aliénation, dùment constaté par un certificat médical, compromettrait la sécurité, la décence ou la tranquillité publiques, ou sa propre sécurité. Au cas de danger imminent, les commissaires de police à Paris, les maires dans les communes ordonnent les mesures provisoires à prendre contre l'aliéné, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet. Ces règles de la loi de 1838 ont été maintenues par le projet de loi sur les aliénés; mais on a augmenté les garanties données à l'aliéné, en exigeant un rapport du médecin traitant sur le malade, et l'obligation pour le préfet, sur l'avis du médecin inspecteur, de statuer individuellement sur chaque aliéné et d'ordonner sa maintenue ou sa sortie.

La loi de 1838 s'était

3o Par les moyens donnés d'assurer la sortie. préoccupée des constatations de guérison et des moyens d'assurer la sortie des aliénés; le projet de loi voté par le Sénat maintient ces prescriptions, en rendant plus efficaces les mesures dans l'intérêt de l'aliéné. 887. Abordons maintenant, au point de vue du Droit civil, la condition faite aux personnes atteintes dans leurs facultés intellectuelles.

Nous avons dit tout à l'heure que l'aliéné pouvait être traité dans sa famille ou dans un établissement; on comprend que l'on n'applique pas à l'aliéné dans ces deux cas, les mêmes règles. Dans le premier, rien n'avertit les tiers du trouble pouvant exister dans ses facultés ; dans le second, au contraire, le placement dans l'asile, public ou privé, ne prévient-il pas les tiers que la personne ne doit pas avoir la libre disposition de ses facultés, et qu'il y a quelque imprudence à traiter avec elle?

Pour l'aliéné soigné dans sa famille, la loi n'a organisé aucune mesure de protection particulière. Il faut donc appliquer ici le droit commun. Supposons que dans ces conditions l'aliéné ait pris un engagement, figuré à un contrat, ces actes doivent-ils être maintenus? La solution dépend de la situation de l'aliéné au moment de l'acte. Les contrats, les engagements, tirent toute leur force du consentement donné par la partie; si donc l'aliéné, au moment du contrat, a compris l'importance de l'acte fait et était en situation de se rendre compte de ses conséquences, il a fourni un consentement valable : les engagements, les contrats faits par l'aliéné dans ces conditions sont maintenus. L'aliéné, au moment du contrat fait, était-il au contraire, au milieu d'une crise, ses facultés excitées ou surexcitées, au point que tout libre arbitre était anéanti chez lui, il n'a pas donné de consentement, les engagements et contrats auxquels il a figuré sont inexistants pour absence de consentement cet élément essentiel à tout contrat fait défaut.

Or, on sait que les maladies mentales, quelque graves qu'elles soient, ne présentent pas une continuité absolue: elles laissent, à certaines périodes de calme, le malade reprendre la plénitude de son intelligence : on dit que le malade est dans un intervalle lucide. De sorte que la solution donnée plus haut peut se formuler de la manière suivante : les actes émanés de l'aliéné pendant les intervalles lucides sont valables ; les actes émanés de lui pendant les accès sont inexistants.

888. Quelle preuve est à fournir et à qui incombe-t-elle ? Est-ce à l'aliéné à établir qu'il était dans un intervalle lucide, ou au contraire qu'il a contracté pendant un accès ? Les principes généraux donnent la solution toute personne majeure a l'exercice des droits civils; sa capacité existe, à moins qu'on n'établisse qu'elle n'a pu s'engager; d'où il résulte que le fait à établir est l'existence de l'accès au moment de l'engagement pris; si cette preuve n'était pas administrée, le contrat devrait sortir son plein et entier effet. A qui incombe la preuve? Il s'agit ici d'un cas d'inexistence de la convention; nous sommes en présence d'une apparence de contrat et non d'un contrat véritable; toute personne intéressée à faire établir cette constatation a le droit d'y procéder: donc l'aliéné, la partie ayant contracté avec lui, toute personne intéressée à faire tomber la convention sont en droit de faire la preuve que l'une des

parties était en état d'aliénation mentale au moment du contrat et n'en a pas compris l'importance.

889. Cette preuve est-elle toujours admissible? Logiquement, on devrait répondre affirmativement; peu importe que la personne fût ou non décédée, au jour de la contestation. Mais s'il en était ainsi, remarquons le danger de cette théorie: un acte pourrait être argué de nullité, pour cause de démence de l'une des parties longtemps après sa mort, à un moment où il serait très difficile de se procurer les preuves de la démence. Le législateur a voulu arrêter dans leur germe toutes ces actions, par la disposition de l'article 504 du Code civil: « Après la mort d'un » individu, les actes par lui faits ne pourront être allaqués pour cause » de démence, qu'autant que son interdiction aurait été prononcée ou »> provoquée avant son décès, à moins que la preuve de la démence ne » résulte de l'acte même qui est attaqué. » Par là se trouve organisée une fin de non-recevoir contre toute action en nullité d'une convention, pour cause de démence, après la mort de l'aliéné. Cette disposition, de nature à entraver une foule de procès, souffre exception au cas où la preuve de la démence résulterait de l'acte lui-même, et où l'interdiction de la personne pour cause de démence aurait été prononcée ou provoquée; ce sont là des circonstances qui rendent acceptable la demande en nullité, en la faisant paraître très vraisemblable. Nous verrons plus tard qu'une nouvelle exception à notre principe résulte du placement de la personne dans un établissement d'aliénés (art. 39, loi du 30 juin 1838). En outre, nous démontrerons dans la suite que cet article ne s'applique pas aux donations ou aux testaments faits par l'aliéné.

890. L'application du droit commun présentait de graves inconvénients, en obligeant à faire pour chaque acte émané de l'aliéné la preuve de la démence, et ne créait pour l'aliéné qu'une protection insuffisante. Aussi le législateur a-t-il organisé, à l'égard de l'aliéné, l'interdiction judiciaire; dès que celle-ci a été prononcée, les choses changent, l'aliéné interdit est incapable de faire aucun acte; il y a vis-à-vis de lui une présomption d'incapacité résultant de l'état d'interdiction, et la nullité des actes faits pendant l'interdiction sera prononcée à la requête de l'interdit, sur le simple vu du jugement d'interdiction.

Cet état ne peut exister qu'au cas de démence, de fureur ou d'imbécillité habituelles; mais si les facultés sont altérées seulement, le législateur, sans imposer l'interdiction, autorise la nomination d'un curateur ou conseil. Examinons ces diverses hypothèses.

CHAPITRE PREMIER

DE L'INTERDICTION JUDICIAIRE

891. L'interdiction judiciaire est l'état de la personne qui a été, par décision de justice, placée parmi les incapables, à cause de l'état de ses facultés intellectuelles. L'interdiction constitue ainsi une mesure grave, modifiant la capacité de la personne; l'intervention de la justice est une garantie que cette mesure ne sera pas prise à la légère.

Sur cette matière, nous avons à résoudre, dans trois sections, les trois points suivants :

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Qui peut être interdit, et à la requête de quelle personne ;
Quelle est la procédure en interdiction;

Quels sont les effets et quelle est la durée de l'interdiction.

SECTION I. QUI PEUT ÊTRE INTERDIT ET A LA REQUÊTE DE QUI

892. Dans notre Droit, l'interdiction doit toujours être prononcée par la justice, à la suite d'une procédure qui met en présence la personne dont on requiert l'interdiction et la personne qui réclame cette mesure. La justice se décide d'après les circonstances, après avoir ordonné les mesures d'instruction propres à l'éclairer; les deux questions principales à résoudre sont donc de se demander: 1° qui peut être interdit? 2o quelle personne peut requérir l'interdiction?

1° Qui peut être interdit.

893. L'article 489 du Code civil répond à la question, dans les termes suivants : « Le majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de dé» mence ou de fureur, doit être interdit, même lorsque cet état présente » des intervalles lucides ».

Les personnes sont, suivant leur âge, majeures ou mineures (art. 488 et 388, C. civ.); l'expression majeur employée dans l'article 489, qui a spécialement pour but de déterminer les personnes qui doivent être interdites, semble bien devoir faire déclarer impossible l'interdiction du mineur ; dans ce sens, on ferait remarquer que dans le projet, un article prévoyait l'interdiction du mineur émancipé, et que le Tribunal de cassation en réclama la suppression, parce que la distinction entre le mineur émancipé et le mineur non émancipé ne se comprenait pas, et que l'un et l'autre devaient être protégés de la même façon. Aussi demandait

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