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il que toute personne majeure ou mineure pût être interdite; l'article, renvoyé à la commission, fut purement et simplement supprimé, et malheureusement, le législateur, au lieu d'une expression large s'appliquant à toutes les hypothèses, a laissé subsister l'expression distinctive de l'article 489: le majeur... Cependant et malgré cela, nous accepterions la solution suivant laquelle toute personne, majeure ou mineure, peut être interdite. C'est là l'opinion qui a été acceptée dans les travaux préparatoires, sur les observations de la Cour de cassation; c'est la seule qui soit compatible avec les articles 174 et 175 de Code civil, qui prévoient formellement l'interdiction du mineur; enfin, c'est la seule solution qui sauvegarde les intérêts des mineurs. Si, en effet, l'interdiction ne peut être prononcée qu'à la majorité, un temps toujours assez long s'écoulera entre la minorité (incapacité) et l'interdiction (incapacité); et pendant cet intervalle, la personne capable aura pu faire des actes contre lesquels il faudra exercer l'action en nullité, suivant les principes exposés antérieurement (1). Si au contraire l'interdiction peut être prononcée pendant la minorité, les deux incapacités résultant de la minorité et de l'interdiction se suivront sans intervalle de temps, et les intérêts de la personne seront efficacement sauvegardés.

Peut-être pourrait-on expliquer l'article 489 et sa formule en faisant remarquer que le majeur, en état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur, doit être interdit, qu'il y a là une nécessité d'interdiction, tandis que le mineur, protégé par son état, peut être interdit si ses intérêts l'exigent, le législateur n'a voulu prévoir que l'hypothèse où, dans tous les cas, l'interdiction est nécessaire. La jurisprudence est fixée dans le sens de l'interprétation la plus large de l'article 489.

20 Qui peut provoquer l'interdiction.

894. La réponse à cette question résulte de la combinaison des articles 490 et 491 du Code civil.

La loi, suivant les cas, confie aux parents de la personne, ou à l'autorité, le soin de provoquer l'interdiction.

<< Tout parent est recevable à provoquer l'interdiction de son parent. » Il en est de même de l'un des époux à l'égard de l'autre » (art. 490, C. civ.). Faire prononcer l'interdiction d'une personne, incapable de se gouverner ou de gérer ses biens, est une prérogative que la loi accorde à la famille il suffit d'être parent avec l'interdit pour trouver dans cette qualité le droit d'agir; ce droit appartient à la famille collectivement, sans que le degré le plus proche exclue le plus éloigné. Il ne faut pas, en effet, que l'inaction d'un proche parent compromette irrévocablement la situation de la personne à interdire et paralyse le droit

(1) Voir les numéros 888 et 889.

d'intervention de la famille. Ce droit, basé sur la parenté, nous paraît ne devoir appartenir qu'aux parents jusqu'au douzième degré ; c'est là, en effet, la limite extrême après laquelle la parenté ne produit plus aucun effet (art. 755, C. civ.). Mais, sauf cette restriction, les collatéraux peuvent provoquer l'interdiction comme les ascendants et les descendants. La parenté naturelle crée des droits de succession entre les personnes qu'elle lie les unes aux autres; aussi admettrions-nous que les parents naturels (enfant reconnu, père et mère ayant fait la reconnaissance) peuvent provoquer l'interdiction de la personne dont ils sont les parents. L'époux a des intérêts souvent très importants en communauté avec son conjoint; dans tous les cas, les rapports que le mariage fait naître. entre les époux quant aux biens, l'éventualité pour l'un des époux d'être appelé à la succession de l'autre justifient l'assimilation du conjoint au parent, et l'article 490 les a placés sur la même ligne.

Mais la parenté par alliance ne produit pas des effets assez énergiques pour confier aux alliés le droit de provoquer l'interdiction de leur parent par alliance, et la jurisprudence a sainement interprété l'article 490 en ne leur reconnaissant pas ce droit.

895. Le futur interdit pourrait-il lui-même provoquer son interdiction? La raison de douter vient du texte de l'article 490 et de son silence sur ce point, et aussi de ce que la procédure d'interdiction est présentée comme un procès entre le poursuivant et la personne à interdire. Cependant rien ne nous paraît s'opposer à la validité d'une semblable procédure; la personne présentera requête à la justice, qui statuera en connaissance de cause; il est essentiel de donner cette solution, parce qu'il est des cas où une personne peut n'avoir pas de parents (enfant né de père et mère inconnus, enfant reconnu dont les père et mère sont décédés); et bien que le ministère public puisse agir dans ce cas (art. 491, C. civ.); il n'est pas mauvais que la personne à interdire puisse saisir elle-même la justice; enfin, et c'est l'argument le plus fort, au cas d'abstention des parents, le ministère public ne pouvant pas agir (art. 491, C. civ., 2o parag.), n'est-il pas essentiel que l'aliéné, qui, pendant des intervalles lucides, se rend compte de son état, puisse se mettre à l'abri des pièges tendus contre lui pendant ses accès ? Le projet de loi sur les aliénés, voté par le Sénat, autorise la personne malade à provoquer elle-même son internement à l'asile.

896. A côté de la famille, la loi confère le droit de provoquer l'interdiction au Procureur de la République. « Dans le cas de fureur, si l'in» terdiction n'est provoquée, ni par l'époux, ni par les parents, elle doit » l'étre par le procureur du roi, qui, dans le cas d'imbécillité ou de dé» mence, peut aussi la provoquer contre un individu qui n'a ni époux, »ni épouse, ni parents connus » (art. 491, C. civ.).

L'aliénation mentale, de nature à provoquer l'interdiction, est carac

térisée par les rédacteurs du Code, comme un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur; ces expressions, expliquées par le tribun Tarrible, au Corps législatif, correspondaient à l'état de la science à cette époque : « L'imbécillité est une faiblesse d'esprit causée par l'absence ou >> l'oblitération des idées. La démence est une aliénation qui ôte à celui qui en est atteint l'usage de sa raison. La fureur n'est qu'une démence portée à un plus haut degré, qui pousse le furieux à des mouvements dangereux pour lui-même et pour les autres. » Aujourd'hui, ce sont d'autres classifications qu'a adoptées la science médicale; mais qu'importent ces modifications dans les mots, ce qu'il faut retenir, c'est la pensée de la loi : toutes les fois qu'il y aura aliénation mentale (1), c'està-dire que la personne ne sera plus en état de gérer ses affaires, de se gouverner elle-même, que cette aliénation mentale s'appelle épilepsie, idiotie, crétinisme, manie, monomanie, qu'elle présente ou non des intervalles lucides, l'interdiction doit pouvoir être provoquée (art. 489, C. civ.), à la requête de la famille ; c'est un devoir pour ses membres de veiller à la sécurité et à la protection de l'aliéné (art. 490, C. civ.). Mais pour le ministère public il en est autrement; voici la distinction qui résulte de l'article 491 (C. civ.): - ou bien l'aliénation présente un danger public, elle expose l'aliéné, comme le dit Tarrible «‹ à des mouvements dange>> reux pour lui-même ou pour les autres » il y a fureur, dans ce cas, le procureur de la République doit provoquer l'interdiction au cas où la famille, si elle existe, n'agit pas; le ministère public représente ici la société, au nom de laquelle il provoque l'interdiction ; ou bien l'aliénation n'offre aucun danger pour l'aliéné ou la société, et dans ce cas, si l'aliéné a des parents, à eux seuls appartient le droit de provoquer l'interdiction, le ministère public ne peut pas agir; l'aliéné n'a-t-il pas de parents, le ministère public a le droit de provoquer l'interdiction; il prend en main la défense de cet aliéné qui n'a personne autour de lui pour le protéger. - Telles sont les personnes qui ont l'exercice de l'action en interdiction.

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897. La procédure pour arriver à l'interdiction, résulte des articles 492, 493, 494, 495, 496, 497, 498, 500 et 501 du Code civil, combinés avec les articles 890 à 896 du Code de procédure civile; elle ne présente pas de grandes difficultés : il nous suffira d'en faire connaître le caractère général.

Cette procédure se divise en deux phases distinctes: la première, dans laquelle la personne, provoquant l'interdiction, paraît seule et sai

(1) L'interdiction peut être prononcée pour prodigalité contre le musulman, d'après son statut personnel. Cass., 11 mai 1886, Sir., 90. 1, 325.

sit la justice de la demande; la seconde, dans laquelle la procédure prend le caractère d'une affaire contentieuse, véritable procès entre la personne provoquant l'interdiction et la personne à interdire, phase dans laquelle on suit les règles générales de la procédure. Parcourons successivement chacune de ces phases de l'instance.

898. Première phase: La justice est saisie, par voie de requête, par la personne provoquant l'interdiction (art. 492, C. civ.); le tribunal compétent est évidemment celui du domicile du défendeur éventuel à l'instance (art. 59, C. proc. civ.). Dans la requête, le demandeur articule par écrit les faits d'imbécillité, démence ou fureur, qui sont de nature à justifier la prétention; il doit remettre les pièces de nature à corroborer la demande, et faire connaître les témoins en état d'éclairer la justice. (art. 493, C. civ.). Le président ordonne la communication au ministère public et nomme un juge pour faire un rapport sur l'affaire (art. 890 et 891, C. proc. civ.).

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Dans cet état, le Tribunal, en Chambre du conseil et sur le rapport du juge, ou bien rejettera la demande si elle ne lui paraît pas fondée, ou bien ordonnera que le conseil de famille de l'interdit donne son avis sur « l'état de la personne dont l'interdiction est réclamée » (art. 494, C. civ.). Ce conseil de famille est composé et convoqué suivant les règles fixées au titre de la minorité, de la tutelle et de l'émancipation (art. 406 et suiv., C. civ.). D'où il suit que dans ce conseil (art. 407, C. civ.) doivent figurer les parents de la personne à interdire, tant du côté paternel que du côté maternel. Mais ces règles générales doivent se combiner avec l'article 495 (C. civ.): « Ceux qui auront provoqué l'interdiction, » ne pourront faire partie du conseil de famille: cependant l'époux » ou l'épouse, et les enfants de la personne dont l'interdiction sera provoquée, pourront y être admis sans avoir voix délibérative. » Il résulte de là: 1° que le parent provoquant l'interdiction ne pourra pas, en principe, faire partie du conseil de famille; cependant si cette personne est l'époux ou l'épouse, ou bien un enfant, elle fera, malgré sa qualité de provoquant, partie du conseil de famille : il est essentiel qu'elle puisse fournir des renseignements sur l'état de l'interdit; mais sa qualité la rend suspecte; elle n'aura pour cette raison que voix délibérative; 2o il en résulte, en outre, que si l'époux ou l'épouse et les enfants ne provoquent pas l'interdiction, leur place est marquée au conseil de famille; ils en font partie comme parents plus proches (enfants) (art. 407, C. civ.), ou comme ayant avec l'interdit les intérêts les plus considérables (époux et épouse); et nous déciderions pour les enfants que leur qualité les faisant membres du conseil de famille, ils ont le droit d'y siéger en quelque nombre qu'ils soient; une faveur de ce genre, faite au profit des frères germains et maris des sœurs germaines, implique le même

droit pour les enfants au cas de l'article 495 du Code civil, sans quoi les collatéraux auraient plus de droits que les enfants.

Après avoir pris l'avis du conseil de famille, le Tribunal, au cas d'avis favorable (1), ordonnera que la personne dont on provoque l'interdiction sera interrogée en la Chambre du conseil. Il faut maintenant associer à la procédure le futur interdit qui jusqu'ici y a été étranger. Signification lui est faite de la requête du demandeur et de l'avis du conseil de famille (art. 893, C. proc. civ.), et le Tribunal fixe le jour où il interrogera le défendeur en la Chambre du conseil ; si ce dernier ne pouvait s'y rendre, il serait procédé à son interrogatoire en sa demeure, en présence du Procureur de la République, par un juge commis (art. 496, C. civ.); le Tribunal pourra faire procéder à plusieurs interrogatoires successifs (arg. anal., art. 500, C. civ.); on y procédera dans la Chambre du conseil suivant les formes ordinaires des enquêtes.

L'avis du conseil de famille comme l'interrogatoire du défendeur sont des mesures d'instruction obligatoires pour le Tribunal (2); elles sont essentielles à la validité de la procédure. Si cependant le défaut d'interrogatoire était imputable au défendeur, la procédure n'en serait pas moins valable; le défendeur ne pouvant se plaindre de l'inaccomplissement d'une formalité, à lui imputable.

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Le Tribunal peut déjà se rendre compte de l'état du défendeur, et, s'il lui paraît utile, ordonner les mesures nécessaires dans son intérêt. Après le premier interrogatoire, le Tribunal commettra, s'il y a lieu, » un administrateur provisoire, pour prendre soin de la personne et des » biens du défendeur » (art. 497, C. civ.). Cette décision fait partie de la première phase de la procédure et peut être rendue par le Tribunal, en Chambre du conseil, sans publicité. Mais à partir de ce moment, on rentre dans la seconde phase, la procédure contentieuse, avec l'application des règles générales, et notamment la publicité des décisions à rendre.

899. Deuxième phase: Cette deuxième phase débute par une assignation à comparaître, donnée au défendeur, à la requête du demandeur en interdiction.

Le Tribunal saisi de l'affaire pourra ordonner, s'il y a lieu, telles mesures d'instruction qui lui paraîtront nécessaires, et, suivant les règles générales de procédure, rendre sa décision sur la demande : « Le juge»ment sur une demande en interdiction ne pourra être rendu qu'en au»dience publique, les parties entendues ou appelées » (art. 498, C. civ.).

Cette décision sera contradictoire ou par défaut. Par défaut, elle sera susceptible d'opposition, suivant les règles posées au Code de procédure; (1) Au cas d'avis défavorable, le Tribunal pourrait de plano rejeter la demande. (2) Comp. Cass. req., 4 avril 1887, Sir., 88, 1, 69 et les autorités citées.

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