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pressions définies, aucune indication expresse ou tacite permettant de déterminer le sens des expressions employées. Ces articles n'ont été rédigés que pour interpréter la volonté douteuse des parties; si cette volonté résulte soit des termes exprès du contrat, soit de leur intention suivant les circonstances, il faut suivre leur volonté ; la convention fait loi (art. 1134, C. civ.).

CHAPITRE III

DES BIENS DANS LEUR RAPPort avec ceux qui les posSÈDENT

953. Dans le chapitre III, le législateur aborde une nouvelle division des biens; il les étudie, eu égard à ceux qui les possèdent, c'est-à-dire à ceux qui en sont les propriétaires, le mot posséder étant pris ici dans le sens vulgaire de l'expression. Dans les dispositions qui se rattachent à cette matière (art. 537 à 542, C. civ.), le législateur n'a pas toujours suivi de divisions, ni une terminologie très claire; aussi faut-il étudier cette matière en se plaçant un peu en dehors des textes du Code.

Les objets extérieurs qui nous entourent peuvent se diviser en choses appropriées et en choses n'appartenant à personne ou res nullius. 954. Les choses qui n'appartiennent à personne comprennent plusieurs catégories :

a) Les res omnium communes du Droit romain, choses utiles à tout le monde et dont on ne comprendrait pas qu'une personne pùt se prétendre propriétaire exclusif, comme l'air, l'eau, la mer, etc. L'article 714 s'applique à ces objets : « Il est des choses qui n'appartiennent à per» sonne et dont l'usage est commun à tous. Des lois de police règlent la » manière d'en jouir. »

b) Les animaux qui vivent à l'état sauvage, et qui pendant que cet état se maintient n'appartiennent à personne, mais sont susceptibles de devenir la propriété du premier occupant (art. 715, C. civ.).

c) Les res derelicta, c'est-à-dire abandonnées définitivement par leur maître; elles deviennent la propriété du premier occupant, sauf l'application de règlements municipaux ou de lois spéciales.

955. Les choses appropriées sont les choses qui appartiennent à quelqu'un, qui ont un maître ou propriétaire. La condition du propriétaire permet de les diviser en deux classes: les choses qui appartiennent à des particuliers et les choses qui n'appartiennent pas à des particuliers, pour employer la formule négative de l'article 537 du Code civil.

Et l'intérêt de cette distinction est considérable : « Les particuliers

» ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent... », c'est-àdire le droit de faire sur les objets de leur patrimoine tels actes juridiques qui leur conviennent, bien entendu en respectant les lois d'intérêt général et les règles d'ordre public « sous les modifications établies par les »lois... (art. 537, C. civ.).

Tandis que «... Les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers » sont administrés et ne peuvent être aliénés que dans les formes et sui» vant les règles qui leur sont particulières» (art. 537, C. civ.). Les rédacteurs ici renvoient à des règles qui font partie de cette branche du Droit qu'on appelle le Droit public ou administratif.

956. Quels sont les biens « qui n'appartiennent pas à des particu»liers », et que veut dire le législateur dans cette formule négative? A côté des personnes physiques, la loi reconnaît l'existence de nombreuses personnes morales, abstractions juridiques : c'est ainsi que ľ’État, la personne moral lae plus importante, représente les intérêts généraux de la France; les départements, les communes, circonscriptions territoriales forment aussi des personnes morales; il en est de même des établissements publics et aussi des établissements reconnus comme établissements d'utilité publique, comme l'Institut de France, les facultés libres, diverses sociétés ou congrégations. Ces personnes morales sont capables d'avoir un patrimoine et leurs biens sont régis suivant des règles dont le détail ne peut être donné que dans un cours de Droit administratif.

Le législateur fait allusion dans l'article 537 (C. civ.) à certaines règles relatives au patrimoine de l'État et des communes. Pour comprendre les dispositions des articles. 538 à 542, il faut ne pas perdre de vue les principes généraux suivants : l'État, les communes, les départements sont des personnes morales ayant capacité de posséder, au même titre que les personnes physiques; les biens qu'elles possèdent ainsi forment leur patrimoine particulier; mais en outre de ces biens qui constituent le domaine privé de l'État, des départements et des communes, il choses qui appartiennent à ces personnes et sont affectées à des objets. d'utilité générale; celles-là forment ce qu'on appelle le domaine public de l'État, des départements ou des communes.

L'intérêt de la distinction est le suivant : les choses du domaine privé sont la propriété de ces personnes morales, comme elles pourraient être la propriété de simples particuliers, sauf la restriction de l'article 537 § 2, à savoir, que quant à l'aliénation et à l'administration, « elles sont » soumises à des règles qui leur sont particulières ». Les choses du domaine public forment au contraire une catégorie à part; elles sont placées hors du commerce, ne peuvent être aliénées (art. 1598, C. civ.) ni prescrites (art. 2226, C. civ.).

957. Quant à l'énumération des choses qui font partie soit du do

maine public, soit du domaine privé, de l'État, des communes ou des départements, il ne peut être question que de donner quelques exemples.

Les choses du domaine public de l'État sont telles, ou par leur nature, comme les fleuves et les rivières navigables ou flottables, les rivages de la mer (1), les ports, havres, les rades (art. 538, C. civ.), ou par leur destination, telles que les choses qui sont affectées à un service public, et

(1) L'article 538 (C. civ.) ne mentionne pas la mer parmi les choses du domaine public et avec raison: la mer n'est pas susceptible d'appropriation, cependant la mer riveraine, c'est-à-dire la partie de mer susceptible d'être défendue peut être considérée, dans une certaine mesure, comme une dépendance du pays qu'elle borde la pêche dans cette partie est exclusivement réservée aux riverains.

Les rivages de la mer font partie du domaine public: les intérêts de la navigation, du commerce, de la défense nationale demandent que les rivages de la mer appartiennent au domaine public, puisque ceux-ci forment la limite de l'État.

Le rivage est cette partie du sol que recouvrent les flots de la plus grande vague; l'ordonnance de la marine (art. 1er, tit. XII, liv. IV) avait dit : « sera réputé >> bord et rivage de la mer tout ce qu'elle couvre et découvre pendant les nouvel» les et pleines lunes et jusqu'où le grand flot de mars se peut étendre sur les » grèves »; cette règle, bonne pour l'Océan et la Manche où se fait sentir le flux et le reflux, n'était pas suivie dans la Méditerranée, pour laquelle suivant la théorie romaine, on décidait que le rivage était la portion du rivage couverte par le grand flot d'hiver. Mais en appliquant ces règles, il faut bien prendre garde de ne prendre que les limites des vagues ordinaires et normales : « il ne faut pas con>> fondre le grand flot de mars, ni le plus grand flot d'hiver avec le plus grand » flot de tempête. Le devoir des commissions est de rechercher uniquement et de » constater le point que les vagues d'hiver atteignent ordinairement » (instruction du ministre de la marine du 18 juin 1864, art. 9 et circulaire du même ministre du 16 janvier 1882).

Si le rivage de la mer se déplace, en voici les conséquences: la mer couvret-elle habituellement et d'une manière permanente une propriété privée, celle-ci est anéantic, forme le rivage de la mer, et devient partie du domaine public; la mer se retire-t-elle ? Ce terrain par elle abandonné forme des lais ou relais de la mer, qui font partie du domaine privé de l'État. Sur les fleuves, il en est autrement, et si le fleuve se retire sur l'une de ces rives, une alluvion se produit, elle devient la propriété du riverain de là le grand intérêt, à l'embouchure des fleuves, à bien déterminer la délimitation du domaine maritime et du domaine fluvial.

Cette délimitation est faite par les autorités administratives dénommées à l'article 2 du décret du 21 février 1852; quels principes doivent suivre les commissions dans leur travail de délimitation? elles doivent tenir compte de la configuration physique de la baie, dans laquelle se jette le fleuve, de la nature des eaux qui l'occupent et de la nature des atterrissements qui s'y forment, et décider en conséquence, si l'on est en présence d'un fleuve ou d'une baie maritime (Comp. arrêt du Conseil d'État du 6 mars 1882, et l'avis du Conseil du 4 mars 1875).

La délimitation par l'administration publique est un acte d'autorité ; elle se réalise par un décret du président de la République et sous la réserve du droit des tiers.

La conséquence de cette réserve est 1° de permettre aux riverains qui se prétendraient lésés par le décret de délimitation, de l'attaquer devant le Conseil d'État, pour inexactitude dans la délimitation, et, en conséquence ils obtiendront la

qui restent dans le domaine public tant que dure leur destination : les chemins, routes et rues à la charge de l'État : « Les portes, murs, fossés, » remparts des places de guerre et des forteresses... » (art. 540, C. civ.), les chemins de fer, les canaux, les ponts sur les routes nationales; et le caractère de ces derniers objets ne disparaît pas, bien qu'ils aient été concédés à des compagnies (1); les palais du Sénat, du Corps législatif, les musées nationaux, etc.

Par voie d'extension, on a décidé en jurisprudence que les objets dépendant des grandes collections, des musées ou bibliothèques faisaient partie du domaine public et partant étaient inaliénables et imprescriptibles.

958. Le domaine privé comprend: 1° les forêts; 2o les lais et relais de

remise en possession, si l'autorité administrative juge que la délimitation a été mal faite.

2o De se pourvoir devant la justice ordinaire pour obtenir une indemnité de dépossession, au cas où la délimitation aurait été mal faite par l'autorité administrative (décision du Tribunal des conflits du 11 janvier 1873; Comp. décision du 1er mars 1873 (Guilliè); — 27 mai 1876 (commune de Sandouville); — 12 mai 1883 (Debord).

Comp. sur cette question : De la délimitation du rivage de la mer et de l'embouchure des fleuves et rivières, par M. Aucoc, Annales de l'École des sciences politiques, janvier 1887, t. II.

Les étangs salés en communication avec la mer font en principe partie du domaine public, comme dépendance de la mer; mais, dans bien des cas, on a été amené à reconnaître qu'en vertu d'anciens titres ou de concessions la propriété de ces étangs pouvait appartenir à des particuliers: Comp. sur ce point le travail précité de M. Aucoc et un mémoire du même auteur inséré dans le Compte rendu des travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, 1882, t. II, p. 773. (1) La concession à des compagnies, de canaux, chemins de fer et ponts a fait naître de nombreuses difficultés : il semble que deux solutions sont possibles : 1o ou bien reconnaître que la propriété de ces objets-appartient au concessionnaire, mais avec affectation de ce droit au service public, ce qui la rend de ce chef inaliénable et imprescriptible; et à la fin de la concession, la propriété du concessionnaire s'éteignant, la chose ferait d'une manière absolue, partie du domaine public, tant que son affectation au service public serait maintenue.

A ce point de vue, on peut faire remarquer que la coexistence sur une chose d'une affectation à un service public, et d'une propriété privée ne doit pas choquer, puisque la jurisprudence l'a consacrée pour le canal du Midi, qui, comme canal, est affecté à la navigation et fait partie de la grande voirie, et qui appartient à titre de propriété privée perpétuelle à la famille Riquet et à ses représentants (arrêt de rejet du 4 juillet 1843 (Dalloz, au mot Voirie par eau, no 153); et, si l'on veut racheter le canal, il faudra procéder contre les propriétaires par les formes de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

2o Ou bien reconnaître que la concession ne confère que la faculté d'exploiter la chose concédée, que celle-ci fait partie du domaine public, dès sa création, par suite de la nature de son affectation, et que le droit du concessionnaire s'analyse seulement en un droit mobilier (art. 529, C. civ.) en ajoutant que les conséquences de cette concession doivent rester soumises à une législation spéciale différente de celle du Code civil (arrêt de rejet, 5 nov. 1867, Dalloz, 1868, 1, 120).

TOME I

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la mer; 3° les successions vacantes et les choses sans maître (comp. 539 et 713, C. civ.) réclamées par l'État; 4° les terrains des fortifications et remparts des places qui ne sont plus places de guerre (art. 541, C. civ.); 5o les îles et ilots dans les rivières navigables et flottables (art. 560, C. civ.), et généralement tous les objets qui, ayant fait partie du domaine public de l'État, ont été l'objet d'une désaffectation, par exemple, le sol des anciennes routes nationales, etc. Ce domaine privé est aliénable et prescriptible, mais reste soumis à une législation particulière, quant à l'administration et à l'aliénation (art. 337, 2o al.). Ce qui souvent jette de l'obscurité sur ces matières, c'est la mauvaise terminologie du Code; par exemple, dans l'article 539, le mot domaine public ne peut désigner que le domaine privé : les choses énumérées dans cet article ne pouvant à aucun titre faire partie du domaine public proprement dit.

959. Les biens de la commune doivent se répartir en biens dụ domaine privé de la commune et en biens du domaine public communal.

Les biens du domaine privé de la commune ou des sections de commune (loi du 5 avril 1884) sont appelés biens patrimoniaux ou biens communaux ; il faut faire remarquer que ces biens appartiennent à la commune (être moral) et non pas à ses habitants; d'où il suit que jamais les habitants de la commune ne pourraient se les partager entre eux, qu'ils n'en sont pas copropriétaires, lors même qu'ils auraient comme habitants de la commune des droits particuliers à exercer sur ces biens, comme droits de pâturage, droits d'affouage, situation à laquelle fait allusion l'article 542 du Code civil (comp., art. 103, 105 du Code forestier), les biens dont jouissent les habitants de la commune forment les biens patrimoniaux.

Parmi les biens du domaine public communal se placent les chemins vicinaux ordinaires, les chemins de grande communication et d'intérêt commun, les rues, les églises, dans quelques cas, des chemins de fer d'intérêt local peuvent appartenir au domaine communal, les bâtiments affectés à un service communal (pour le service de la justice, de l'instruction, les hôpitaux, etc.). Tous ces biens sont hors du commerce, imprescriptibles et inaliénables.

960. A côté de la commune se placent les départements (les cantons et arrondissements ne sont que de simples circonscriptions territoriales et n'ont pas de personnalité civile); il y a aussi pour eux à distinguer les biens du domaine privé et les biens du domaine public, comme pour les com

munes.

Il faut ranger dans le domaine public départemental: les routes départementales proprement dites, créées avec les ressources du département; les routes qui, autrefois nationales, ont été abandonnées aux départements par application du décret du 16 décembre 1811 (art. 38, loi du 10 août 1871); les chemins de fer d'intérêt local, les édifices et

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