Page images
PDF
EPUB

bâtiments appartenant aux départements et affectés à un service public départemental, par exemple, les palais de justice, les prisons départementales, les casernes de gendarmerie, les asiles d'aliénés, les hôtels de préfecture etc., tous biens qui constituent par suite de leur nature des choses hors du commerce, et comme telles sont imprescriptibles et inaliénables.

961. Après cette petite excursion dans le Droit administratif, avec les articles 538 à 542 à propos des biens qui n'appartiennent pas à des particuliers, avec l'article 543 le Code civil revient aux biens appartenant à des particuliers pour énumérer les droits que l'on peut avoir sur les biens : « On peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou » un simple droit de jouissance ou seulement des services fonciers à pré» tendre» (art. 543, C. civ.). Quelle est la portée de cet article? Le législateur a-t-il voulu énumérer limitativement les droits de toute nature que l'on peut avoir sur les choses? Nous ne le pensons pas, car nous verrons que certains droits réels sont laissés en dehors. En faisant l'énumération de l'article 543, le législateur a eu une autre pensée: «'ainsi, » dit l'orateur du gouvernement, notre Code a voulu abolir jusqu'au » moindre vestige de ce domaine de supériorité, jadis connu sous le nom » de seigneurie féodale ou censuelle ». En un mot, le législateur a voulu confirmer l'abolition des droits féodaux, et, s'occupant de l'organisation nouvelle donnée à la propriété, il énumère les principaux droits que l'on peut avoir sur les choses; son énumération correspond aux titres qui suivent.

962. N'y a-t-il pas en dehors des droits énumérés par l'article 543 d'autres droits réels? Il est certain que, si l'on ne veut pas reconnaître à la possession des choses, considérée en elle-même, le caractère d'un droit réel, il faut bien admettre que le gage, que l'hypothèque constituent des droits réels sur les choses qu'ils frappent: droits réels, accessoires sans doute à la créance garantie, mais qui n'en présentent pas moins, envisagés en eux-mêmes, tous les caractères du droit réel.

963. Que penser du droit du preneur sur la chose louée? La question reviendra pour nous sous l'article 1743 (C. civ.); nous pensons que le contrat de louage ne fait naître entre les contractants que des rapports obligatoires, et que le droit du preneur est personnel (simple créance d'une nature spéciale) et mobilier (art. 529, C. civ., voir Cours élément., t. III, no 898 et suiv.).

964. Que décider du droit de l'emphyteote? Le contrat d'emphyteose qui, dans l'ancien Droit, pouvait se former pour un certain temps ou à perpétuité, ne peut plus aujourd'hui être que temporaire (il ne peut se former au plus que pour 99 ans); faut-il le confondre avec le louage et dire que le droit de l'emphytéote est mobilier et personnel? Nous ne le pensons pas; en cédant la jouissance de sa chose, le bailleur à emphy

téose a voulu concéder à l'emphytéote un droit plus. fort que celui qui est donné au simple locataire; les lois de la période intermédiaire, reconnaissant au droit de l'emphyteote le caractère de droit réel immobilier, le déclaraient susceptible d'hypothèque (art. 6, loi de brumaire. an VII): c'était donc une jouissance d'une nature spéciale qui ne se confondait ni avec le simple louage, ni avec l'usufruit, mais tenait le milieu entre ces deux droits. Le Code n'a manifesté nulle part l'intention de modifier sur ce point la législation existant au moment de sa rédaction, et nous pensons que la jurisprudence moderne a bien fait de reconnaître au droit de l'emphytéote le caractère de Droit réel immobilier.

965. La propriété d'une chose confère à celui qui en est investi le droit de jouir de cette chose, c'est-à-dire le droit d'en percevoir les produits et les fruits, et en outre le droit d'abuser, c'est-à-dire la faculté d'aliéner et de faire de la chose un usage définitif, qui par sa nature ne puisse pas se renouveler.

L'article 543 (C. civ.) fait allusion à la possibilité de démembrer le droit de propriété, et se plaçant dans l'hypothèse étudiée par les titres suivants (titres III et IV, liv. II, C. civ.), il nous dit que l'« on peut » avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de » jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ».

Dans ces cas, le démembrement de la propriété existe à l'un appartient la propriété, à un autre le jus utendi et fruendi (titre III), ou certains avantages de la propriété, droits de passage, de pacage, etc. (tit. IV). Ces avantages constituent des services fonciers qu'un fonds, appelé fonds dominant, a le droit d'exercer sur un autre fonds appartenant à autrui, fonds obligé de supporter l'exercice de ce droit, et qu'on appelle fonds servant. Toutes les fois qu'il y aura servitude ou service foncier, une relation de cette nature s'établira entre le fonds dominant et le fonds servant. L'existence de ces servitudes ne fait naître entre les propriétaires de ces fonds aucune dépendance analogue à celle que créait le régime féodal, et le Droit français a pu en sanctionner l'existence dans notre législation moderne sans revenir au régime féodal.

Mais on peut comprendre que la propriété d'une chose soit autrement démembrée, par exemple, aux termes des articles 553 et 664 (C. civ.), que nous expliquerons plus tard, nous voyons que, dans un sol, une personne peut avoir la propriété d'un souterrain sans avoir la propriété du bâtiment ou du dessus ; que, dans une maison, les divers étages la constituant peuvent appartenir à diverses personnes; que la mine concédée forme une propriété du dessous, distincte de la propriété de la surface. Dans tous ces cas, il y a là des propriétés appartenant à différentes personnes, distinctes les unes des autres; il n'y a là ni fonds dominant ni fonds servant, chacune est investie d'un droit particulier, ayant ses avan

tages, et pour lequel il faut appliquer toutes les lois protectrices de la propriété (art. 554 et suiv., C. civ.).

Ne pourrait-on pas, en entrant dans la même voie, rencontrer sur une même chose des droits de propriété différents; par exemple, ne pourrait-on pas reconnaître à l'un la propriété du sol, à l'autre la propriété de la superficie, c'est-à-dire le droit aux constructions superficiaires; à l'un la propriété de certaines essences et espèces d'arbres poussant à la surface du sol, et à d'autres la propriété d'autres arbres; à l'un la propriété de certaines herbes (les premières), à l'autre la propriété des secondes herbes; et si le sol est de nature à pouvoir être recouvert par les eaux formant étang, ne peut-on pas reconnaître à l'un la jouissance de l'étang, en tant qu'étang (droit d'évolage), à un autre la jouissance du sol desséché (droit d'assec) (1)? Nous ne voyons à cela aucune difficulté. En fait, il est désirable qu'il en soit ainsi, pour que les avantages de la propriété puissent appartenir à un plus grand nombre de personnes, et il en est ainsi dans certaines contrées suivant d'anciens titres et usages; or, la loi, si favorable à la liberté des conventions, ne doit-elle pas, en notre matière, assurer efficacité à la volonté des parties contractantes et leur permettre de créer des droits de propriété de cette nature?

Lorsqu'il en sera ainsi, il faudra considérer ces droits comme des droits de propriété distincts les uns des autres et indépendants: d'où il suit que chacun des intéressés sera investi d'un droit aliénable et transmissible; il ne faudra pas considérer les titulaires de ces droits comme copropriétaires par indivis, car alors il faudrait appliquer entre eux le principe de l'article 815 (C. civ.) et autoriser le partage, mais il faudra dire que chacun a un droit particulier, compatible avec le droit du voisin, qu'il doit pouvoir exercer librement et conformément à son titre. Il ne faut pas assimiler la situation de ces titulaires de droits différents à celle qui s'établit entre le nu-propriétaire et un usufruitier. Supposons une propriété superficiaire sur les constructions: il ne faut pas dire que le titulaire de la superficie a le droit de jouissance des constructions et que le propriétaire du sol en est nu-propriétaire; car, s'il en était ainsi, le droit de jouissance serait attaché à la personne du titulaire, temporaire, et non transmissible aux héritiers, et il ferait naître à la charge du titulaire les obligations qui pèsent sur l'usufruitier. Dans la situation prévue il en est autrement; le superficiaire a la propriété de la superficie, constructions, etc.; cette propriété distincte est indépendante de celle du sol, elle est perpétuelle, cessible et transmissible et n'oblige son titulaire à rien, au regard du propriétaire du sol, en un

(1) Comp. Cass., 31 janvier 1838 (Dalloz, au mot Succession, no 1526, Repert. alphab.); Cass., 13 février 1834 (Dalloz, au mot Propriété, no 68, Répert. alphab.); Nancy, 16 août 1832, confirmé par un arrêt de rejet du 26 décembre 1833 (Dalloz, au mot Propriété, no 69, Répert, alphab.).

mot, il y a deux propriétaires indépendants, comme au cas de maison. divisée par étage (art. 664, C. civ.), et par suite, ces droits de propriété superficiaire constituent des droits réels immobiliers.

Ce sont là des démembrements de la propriété, parce que leur titulaire n'a que quelques-uns des avantages de la propriété. Il ne faut pas hésiter en Droit français à en reconnaître l'existence; elle résulte des principes généraux du Droit (art. 1134, C. civ.), par analogie des solutions que donne la loi dans les articles 553 et 664 (C. civ.) et elle n'est pas repoussée par l'article 543, dont l'objet a été simplement de faire. disparaître de notre législation les conséquences du régime féodal (1).

APPENDICE. DU PATRIMOINe, droits réelS ET DROITS DE CRÉANCE.

966. On appelle patrimoine d'une personne l'ensemble des biens qui lui appartiennent. Peu importe la nature de ces biens, du moment que la personne en est titulaire, ils constituent un des éléments du patrimoine c'est ainsi que prennent place, dans cette universalité de biens, les droits viagers (usufruit, usage, habitation, rentes viagères, etc.) dont la personne est titulaire, comme aussi les droits perpétuels de leur nature dont elle peut être investie: droit de propriété, droits de servitude, créances, rentes, valeurs mobilières et immobilières, propriété littéraire ou industrielle, etc., etc.

967. Les droits perpétuels appartenant à la personne peuvent, en général, être rangés en une double catégorie : ce sont des droits réels ou des droits de créance.

Par droit réel il faut entendre tout droit portant directement sur une chose et permettant à celui qui en est titulaire d'en tirer un avantage. Si l'on peut tirer de la chose toute l'utilité, le droit réel constitue un droit de propriété. Si l'on ne peut tirer de la chose que quelque utilité, le droit réel constitue un démembrement de la propriété. Les servitudes ou services fonciers, les droits d'hypothèque et de gage, les propriétés superficiaires sont, malgré leur nature différente, des droits réels, démembrements de la propriété.

Au droit réel on oppose le droit de créance. La créance est le droit d'exiger d'une personne appelée débiteur une prestation particulière : la créance forme pour le titulaire un droit particulier, élément souvent considérable de son patrimoine : le titulaire de la créance prend le nom de créancier.

968. Suivant les notions antérieurement indiquées, les biens se divisent en meubles et en immeubles; les droits réels et les créances doivent être rangés suivant cette catégorie, et nous aurons, suivant les solutions

(1) Cass. req., 27 avril 1891, Sir., 91, 1, 369 et la note Labbé.

combinées des articles 526 et 529 (C. civ.), des droits réels immobiliers, si ces droits portent sur des immeubles; des droits réels mobiliers, si le droit porte sur un objet mobilier. C'est ainsi que l'usufruit, portant sur des meubles, est un droit réel mobilier; que le gage, ayant pour objet un meuble, donne naissance à un droit réel mobilier; les privilèges portant sur des meubles sont aussi des droits réels mobiliers (art. 2101 et 2102, C. civ., renvoi à la 3o année); tandis que si ces droits frappent des immeubles, ils constituent des droits réels immobiliers.

Les créances se divisent aussi en créances mobilières et en créances immobilières, suivant que la prestation due est un meuble ou un immeuble (art. 526 et 529, C. civ.).

969. Ces droits n'auraient aucune utilité pour l'homme, si la législation ne lui donnait pas les moyens de les faire respecter de tous et de les ramener à exécution : l'action est le moyen de faire valoir un droit. Or, l'action étant l'accessoire du droit sanctionné, il ne faut pas hésiter à lui reconnaitre les mêmes caractères qu'au droit lui-même; en conséquence nous devons trouver des actions réelles immobilières pour la sanction des droits réels immobiliers; pour la propriété immobilière, actions en revendication; pour les servitudes, actions confessoire et négatoire; pour l'hypothèque, actions en reconnaissance d'hypothèque : toutes actions qui sont des actions réelles immobilières; puis des actions réelles mobilières pour la sanction des droits réels mobiliers, action en revendication des meubles, action tendant à la reconnaissance d'un usufruit mobilier, d'un privilège mobilier, d'un droit de gage sur un meuble; enfin des actions personnelles mobilières ou immobilières, suivant que l'objet de la créance est un meuble ou un immeuble.

Sans entrer plus avant dans l'étude des actions et des dénominations qui doivent leur être données, faisons remarquer que l'intérêt à distinguer ces actions se montre à plusieurs points de vue; en procédure civile pour la détermination des tribunaux devant lesquels il faut les porter (compétence art. 59, C. proc. civ.); en Droit civil pour la capacité de les exercer, etc.

970. Revenons maintenant aux droits réels et aux droits de créance, et établissons les principales différences qui les distinguent les uns des

autres.

En dehors de quelques différences, qui tiennent au génie propre de la législation, il en est d'autres qui sont la conséquence de la nature même de ces droits.

de

En Droit romain, les droits réels et les droits de créance présentaient une différence marquée, au point de vue des faits juridiques qui pouvaient leur donner naissance; les créances ne pouvaient naître que conventions légalement formées, de la loi, des délits, des quasi-contrats et des quasi-délits; tandis que le droit réel résultait d'un mode d'acqué

« PreviousContinue »