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cations à l'occasion de certaines matières : c'est ainsi qu'en matière de chemins vicinaux la loi de 1836, article 15 (1), y apporte une grave dérogation les décisions du conseil général ou de la commission départementale, portant reconnaissance et fixation de la largeur d'un chemin vicinal, attribuent définitivement au chemin le sol compris dans les limites qu'elles déterminent. Le droit des propriétaires riverains se résout en une indemnité. Ici on abandonne le principe de l'indemnité préalable au profit du propriétaire, et les autres garanties des lois sur l'expropriation. Si cependant il s'agissait d'un sol bâti ou enfermé dans une clôture, l'expropriation serait nécessaire suivant les règles ordinaires (2). Nous nous bornons à l'indication de cette seule exception (3). Constatons encore qu'au cas où il s'agit de travaux nécessaires pour assurer la défense, et présentant un caractère d'urgence, on fait exception à l'article 545 (C. civ.) (4).

988. La loi du 31 mai 1841 ne prévoit que l'expropriation des immeubles est-ce à dire que le principe ne s'applique pas également aux meubles et droits mobiliers? L'article 545 est général et atteint les meubles comme les immeubles, mais en l'absence d'une loi fixant les règles à suivre pour cette expropriation, on y procède, dans les cas où elle est nécessaire, par voie de décisions législatives spéciales (5). C'est encore une application de l'expropriation des objets mobiliers que contient la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires. Dans quelques autres cas, il y a atteinte à la propriété mobilière pour cause d'intérêt général. au profit des salpêtriers commissionnés par l'État, sur les matériaux de démolition (6), et dans le cas de l'article 3 de l'arrêté des Consuls du 13 nivôse an X, où l'État a un droit de préemption sur les cartes, plans, papiers et mémoires militaires trouvés dans la succession des officiers généraux ou supérieurs et assimilés.

La loi sur la police sanitaire de 1881, en ce qui touche les bestiaux, restreint le droit des propriétaires. On peut rapprocher de l'article 544 du Code civil, la loi sur la protection des monuments historiques.

(1) Combinée avec la loi du 10 août 1871, art. 44 et 86, et art. 2, loi du 8 juin 1864. (2) Loi du 8 juin 1864.

(3) Comparez, pour l'établissement des lignes télégraphiques et téléphoniques, art. 4 et 10, loi du 28 juillet 1885, une autre exception aux principes généraux. (4) Comp. art. 76, loi du 3 mai 1841.

(5) Voir lois du 8 juin 1864 et 27 août 1876, relatives à des ponts établis pour le service vicinal, pour n'en citer qu'un cas. — Une loi du 30 juillet 1880 réglemente l'expropriation pour cause d'utilité publique des droits concédés sur ponts à péage. (6) Loi du 10 mars 1819, art. 5-6.

CHAPITRE II

Comment s'acquIERT LA PROPRIÉTÉ (1) ?

989. Le législateur s'occupe des divers modes d'acquisition de la propriété, dans les DISPOSITIONS GÉNÉRALES qui sont en tête du livre III (art. 711 à 717, C. civ. Voir Cours élémentaire de Droit civil, tom. II, nos 3 à 26).

Ces modes d'acquérir se divisent en plusieurs catégories, parmi lesquelles nous pouvons distinguer: 1o la division en modes originaires et en modes dérivés; les premiers font acquérir une propriété, sur un objet qui jusque-là n'avait appartenu à personne; le droit de propriété sur une œuvre littéraire, industrielle, que la loi reconnaît à l'auteur sur sa création entre dans cette catégorie; l'occupation des choses sans maitre (chasse, pêche, etc.), ou des choses abandonnées par le maître, constitue encore un mode d'acquisition originaire (comp. t. II, Cours élément. de Droit civil, nos 10 à 26); les modes dérivés d'acquisition font acquérir la propriété d'une chose, qui, antérieurement appartenait à un autre ; la vente en faisant passer la propriété de la chose achetée, du patrimoine du vendeur sur la tête de l'acquéreur, forme un mode d'acquisition dérivé; il en est ainsi de l'acquisition par succession ab intestat ou testamentaire, l'héritier, le légataire succèdent au défunt, et reçoivent la propriété qui jusqu'au décès avait reposé sur la tête de ce dernier; la donation fait succéder la propriété du donataire à la propriété du donateur, etc.

990. La distinction entre ces modes d'acquérir est fort importante: les modes d'acquérir originaires réalisent au profit de l'acquéreur une propriété pleine et entière, non grevée de droits réels; au contraire les modes d'acquérir dérivés, faisant succéder dans la propriété une personne à une autre, la propriété du successeur se rattache à la propriété de l'auteur et elle ne peut être que ce que l'auteur l'a faite : le successeur reçoit la chose dans les conditions où elle se trouvait dans les mains de l'auteur, grevée des droits réels qui la frappaient valablement au moment de la transmission (2).

(1) Le mot propriété est employé ici dans son sens restreint, comme signifiant le droit de tirer d'une chose toute l'utilité dont elle est susceptible; c'est en nous plaçant à ce point de vue tout à fait restreint qué nous voulons étudier les modes d'acquérir la propriété. La question de savoir comment s'acquièrent les droits réels, autres que la propriété, sera étudiée par nous, sous les titres III et IV du Code civil. (2) Comp. arg. art. 2125, 1638, 2166 et art. 2182, C. civ. « ... Le vendeur ne

991. 2o La division des modes d'acquérir, en modes d'acquérir à títre universel, et en modes d'acquérir à titre particulier. La vente, l'échange, la donation entre vifs, le legs à titre particulier, etc., forment des modes d'acquérir à titre particulier; les successions ab intestat, les legs universels ou à titre universel, les donations par contrat de mariage, de biens à venir, universelles ou à titre universel, forment des modes d'acquérir universels; l'intérêt à faire cette distinction est considérable; les acquéreurs à titre particulier ne succédant à leur auteur qu'à l'occasion des objets acquis, ne sont pas les continuateurs de sa personne juridique, considérée dans son ensemble, et ne sont pas tenus des dettes de l'auteur; au contraire, les acquéreurs universels ou à titre universel succèdent au patrimoine de l'auteur, ils sont tenus des dettes, qui du chef de l'auteur grèvent le patrimoine (art. 870 et suiv., C. civ.).

Nous pouvons négliger les autres classifications des modes d'acquérir (comp. t. II, Cours élémentaire de Droit civil, no 4).

992. Quels sont les modes d'acquérir la propriété? « La propriété » des biens s'acquiert et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire et par l'effet des obligations » (art. 711, C. civ.). » La propriété s'acquiert aussi par accession ou incorporation et par prescription» (art. 712, C. civ.).

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Reprenons chacun des modes d'acquérir énumérés par la loi, et donnons-en la définition :

1o La propriété des biens se transmet par succession. Le législateur vise ici la succession ab intestat; un propriétaire venant à mourir, que devient son patrimoine, à qui passe la propriété dont il était investi? S'il a indiqué lui-même, dans les formes légales du testament ou de la donation par contrat de mariage, à quelles personnes ses biens devaient être transmis, on suit sa volonté; ses successeurs sont les personnes qu'il a désignées. N'a-t-il pas laissé de testament, ni fait de donation par contrat de mariage, la loi choisit parmi les parents les plus proches ceux qui recueilleront le patrimoine; elle cherche à réaliser la volonté probable du défunt, en désignant ceux qui dans l'affection du défunt tenaient la première place. Les parents, ainsi désignés par la loi, recueillent le patrimoine du défunt, la propriété est acquise à leur profit par succession. Les héritiers appelés par la succession ab intestat sont des successeurs universels, continuateurs de la personne du défunt et tenus de toutes les obligations dont le défunt lui-même était tenu;

2 Par donation entre vifs. La donation entre vifs constitue un mode d'acquérir à titre particulier: c'est un contrat par lequel une partie, appelée donateur, se dépouille gratuitement d'un ou plusieurs objets, au

» transmet à l'acquéreur que la propriété et les droits qu'il avait lui-même sur la » chose vendue.. ».

profit d'une autre personne appelée donataire, qui accepte. La donation est un mode translatif de propriété à titre gratuit, le donateur ne reçoit rien en échange des choses qu'il transmet au donataire ;

3° Par donation testamentaire. Il faut entendre par là la disposition que fait une personne pour le temps où elle ne sera plus; l'effet des dispositions testamentaires ou donations de biens à venir, qui leur sont assimilées, ne se produit qu'au décès du disposant, et forme un mode d'acquérir à titre gratuit;

4° Par l'effet des obligations. En Droit romain, la convention, accord de deux volontés pour produire un effet juridique, ne faisait jamais naître la propriété, elle n'était pas un mode d'acquérir, mais un juste titre d'acquisition, pouvant justifier l'accomplissement d'un mode d'acquérir (mancipatio, traditio, in jure cessio). Le législateur moderne a suivi un autre système; d'après le Code civil, la convention, l'accord des volontés, si telle a été l'intention des parties, peut transférer la propriété; ainsi la vente, l'échange, etc. font passer l'objet transmis de la tête de l'une des parties sur la tête de l'autre, par cela seul qu'ils existent légalement, c'est-à-dire par le seul effet des consentements; ces contrats ne font donc pas naitre seulement des rapports obligatoires, mais ils opè rent par eux-mêmes translation de la propriété, s'ils ont pour objet un corps certain et déterminé (art. 1538 et 1583, C. civ.).

Ce principe que la simple convention, le simple consentement, transfère la propriété, est susceptible de deux interprétations; on peut l'entendre d'une manière absolue, à l'encontre de toute personne, tant des parties contractantes que des tiers, ou seulement d'une manière relative, à l'encontre des parties contractantes (1) seulement.

993. En matière mobilière on admet que la propriété d'un meuble est transférée d'une manière absolue, à l'encontre de tous, des parties et des tiers, par le seul consentement; ce qui revient à dire qu'entre deux acquéreurs successifs d'un même meuble, ayant traité avec la même personne, celui-là doit l'emporter dont le titre d'acquisition est le premier en date; car au moment où l'aliénateur aliénerait, à nouveau, un objet par lui antérieurement aliéné, il aliénerait la chose dont il ne serait plus propriétaire nul ne peut céder à autrui plus de droits qu'il n'en a luimême (2).

994. En matière immobilière, dans la législation actuelle, la simple

(1) Par parties contractantes, il faut entendre celles qui figurent au contrat, comme aliénateurs ou acquéreurs, et leurs héritiers et successeurs universels, ceux-ci ne font que continuer la personne du défunt lui-même, ils sont tenus de toutes les obligations dont le défunt était tenu.

(2) Mais pour les meubles corporels ce résultat est modifié, si le second acquéreur étant de bonne foi, peut invoquer à son profit la maxime: en fait de meubles la possession vaut titre (art. 2279, C, civ, et art. 1141, C. civ.),

convention translative ne produit ses effets qu'entre parties contractantes; à l'égard des tiers, c'est-à-dire de personnes ayant acquis des droits réels sur l'immeuble aliéné et les tenant du même aliénateur, la convention n'opèrera translation de propriété, que si la convention est rendue publique par la transcription: ce qui revient à dire qu'entre deux acquéreurs, ayant acquis successivement le même immeuble de la même personne, celui-là l'emportera dont le titre aura été transcrit le premier, quelle qu'en soit la date (1).

995. 5o Par accession ou incorporation... Suivant l'opinion acceptée par les commentateurs du Droit romain, les rédacteurs du Code civil ont vu une acquisition de la propriété dans ce fait qu'un objet, accessoire d'un autre objet, se trouve rattaché à celui-ci (2).

6o La propriété s'acquiert par la prescription, la possession d'une chose, prolongée un certain temps, fait acquérir au possesseur la propriété de la chose possédée (3).

7° Enfin, il faut ajouter, aux modes d'acquérir énumérés par les articles 711 et 712 (C. civ.) les acquisitions par l'effet de la loi, par l'occupation (comp. Cours élémentaire de Droit civil, t. II, no 6).

CHAPITRE III

POSSESSION ET PROPRIÉTÉ; AVANTAGES ATTACHÉS A L'UNE ET A
L'AUTRE SANCTION DE CES DROITS

996. La propriété n'a rien de commun avec la possession et il peut arriver que l'un soit propriétaire, sans avoir la possession et qu'un autre ait la possession, sans aucun droit à la propriété (4); la propriété est le droit appartenant à une personne de tirer d'une chose toute l'utilité dont celle-ci est susceptible; elle ne peut exister qu'à la suite de l'accomplissement, à son profit, d'un des modes d'acquérir reconnu par la loi, et dans les conditions légales. La possession est le fait d'exercer sur une chose des actes matériels d'usage, de jouissance ou de transformation; la possession s'apprécie en fait sans que l'on ait à rechercher

(1) Comp. art. 1138, 1583, C. civ., 939 et 941, C. civ., loi du 23 mars 1855, art. 1 et 2, et Cours élément. de Droit civil, t. II, nos 1222 et suivants.

(2) Nous étudierons en détail bientôt, tout ce qui a trait à l'accession, dans l'appendice I.

(3) Renvoi à l'appendice II.

(4) Fr. 12 Ulpianus § 1, de acquirenda vel amittenda possessione, Dig. (41, 2). Comp. fr. I, § 2, Uti possidetis, Dig. (43, 16).

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