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1023. « La propriété d'une chose, soit mobilière, soit immobilière, » donne droit sur tout ce qu'elle produit et sur ce qui s'y unit accessoi»rement, soit naturellement, soit artificiellement. - Ce droit s'appelle » droit d'accession » (art. 546, C. civ.).

Les rédacteurs du Code civil, en acceptant, sans la contrôler, l'opinion des interprètes du Droit romain, ont rangé l'accession parmi les modes d'acquérir la propriété (art. 712, C. civ.): le droit du propriétaire frappe toute la chose, il s'étend par voie de conséquence à tout ce qui est considéré comme accessoire de cette dernière; c'est par ce principe qu'on explique les droits du propriétaire sur les fruits et les produits, et sur ce qui s'incorpore à la chose.

CHAPITRE PREMIER

DU DROIT D'Accession sur ce qui est produit par la chose.

1024. La propriété est le droit de jouir des choses (art. 544, C. civ.), c'est-à-dire le droit d'en percevoir les fruits et les produits; c'est souvent le seul moyen de tirer un parti quelconque des objets sur lesquels s'exerce l'activité humaine.

Les fruits d'une chose sont les avantages qu'il est de la nature de cette dernière de procurer et qui reviennent périodiquement. On les oppose aux produits, avantages exceptionnels, qu'il n'est pas de la nature de la chose de donner périodiquement. Si le propriétaire a droit aux uns et aux autres, il est d'autres personnes, comme l'usufruitier, le possesseur de bonne foi, qui ont droit aux fruits et non pas aux produits (comp. art. 549, 582, 583 et 598, C. civ.).

Les fruits se divisent en fruits naturels et en fruits industriels: les premiers viennent spontanément, les autres exigent l'industrie de l'homme. Il n'y a aucun intérêt pratique à rappeler cette distinction, bien que le Code la formule dans l'article 547 (C. civ.).

Aux fruits naturels ou industriels on oppose les fruits civils: il faut entendre par là des prestations en argent auxquelles le propriétaire a droit à la suite de la cession de la jouissance de sa chose. Les intérêts d'une somme d'argent, le prix du loyer d'une maison, d'une ferme, sont des fruits civils; cette distinction entre les fruits ordinaires et les fruits

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civils, sans intérêt au regard du propriétaire, a une grande importance pour l'usufruitier (art. 585 et 586, C. civ.) et pour le possesseur de bonne foi (art. 549, C. civ.).

Les fruits provenant de la chose appartiennent donc au propriétaire, comme conséquence naturelle de son droit de propriété; et comme nul ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui, si les frais nécessités pour assurer la récolte n'avaient pas été faits par le propriétaire, celui-ci en devrait le remboursement aux personnes qui les auraient exposés (art. 548, C. civ.).

1025. Le propriétaire a-t-il toujours droit aux fruits?

Il est des cas où ces fruits ne lui appartiennent pas, lorsque par exemple, la propriété a été démembrée et que le droit de jouir a été concédé à un tiers: il y a alors un nu-propriétaire et un usufruitier ou usager, et l'article 546 ne s'applique plus.

Que décider lorsque le propriétaire n'aura pas la possession? Son droit aux fruits et produits n'est-il pas compromis? Les articles 549 et 550 (C. civ.) répondent à ces questions.

Pour que cette difficulté se présente, il faut supposer que, tandis que la propriété d'une chose repose sur la tête d'une personne, une autre que le propriétaire en ait de fait la possession. Dans cette situation, le propriétaire exercera contre le possesseur l'action en revendication; en affirmant que la propriété lui appartient, il réclamera la remise de l'objet. S'il peut faire la preuve de son droit et triompher dans ce procès, dans quelle mesure pourra-t-il réclamer au possesseur, avec sa chose, les fruits et produits qu'elle aura donnés ? Cela dépend de la situation du possesseur, dont les obligations seront différentes suivant qu'il sera de bonne ou de mauvaise foi.

Ceci établi, étudions les trois points suivants :

§ 1. Quelles conditions doit revêtir une possession pour être de bonne foi;

§ 2. Quels sont les droits d'un possesseur de bonne foi;

§ 3. Quelle est la situation du possesseur de mauvaise foi.

§ 1.

Quelles conditions doit revêtir une possession pour être de bonne foi.

1026. Les articles 549 et 550 du Code civil servent à résoudre cette question, mais les formules employées par le législateur sont obscures, au point que les auteurs sont divisés sur les conditions que la possession doit présenter pour être une possession de bonne foi.

Pour les uns, la possession ne peut être de bonne foi que si elle repose sur un titre de sa nature translatif de propriété, mais qui n'a pas atteint son but, parce que la personne de qui il émanait n'était pas propriétaire.

Ce titre qu'on exige n'est pas la production d'un écrit, mais l'existence d'un fait juridique qui manifeste chez les parties l'intention de faire une transmission de propriété par exemple, une vente, une donation, un testament, etc. La croyance dans la bonté du titre, de la part du bénéficiaire, donne à sa possession le caractère de possession de bonne foi. En résumé donc, il faudrait une double condition pour que le possesseur fût de bonne foi: 1o un titre de possession, translatif de propriété de sa nature, et 20 la croyance en la valeur du titre.

Pour faire accepter cette opinion, on invoque l'article 550 (C. civ.), qui paraît donner une définition du possesseur de bonne foi. En même temps on établit un rapprochement entre les règles de la prescription acquisitive et celles de notre matière. Dans l'un comme dans l'autre cas, soit pour l'acquisition des fruits, soit pour arriver à la prescription, le législateur aurait exigé: 1o le titre translatif et 2o la croyance en la valeur du titre (bonne foi) (art. 2265, C. civ.).

Cette opinion, d'après nous, n'est pas fondée; nous estimons qu'il est plus conforme aux précédents historiques, comme au texte de la loi, de dire qu'une seule condition donne à la possession le caractère de possession de bonne foi: c'est la croyance au caractère légitime de la possession. Le possesseur se croit-il propriétaire, son erreur est-elle excusable? Il est possesseur de bonne foi. N'est-ce pas là la seule solution qui cadre avec le texte de l'article 549: « Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans les cas où il possède de bonne foi..... » Voilà la seule condition exigée; or, il sera possesseur de bonne foi, quand il aura cru à la légitimité de sa possession, et que son erreur sera excusable.

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Déterminer si un possesseur est de bonne foi, c'est poser une question qui ne peut être résolue qu'en fait et suivant les circonstances; et dans cette interprétation, l'article 550 intervient pour donner quelques exemples de possession de bonne foi, sans déterminer limitativement les caractères de cette possession: « Le possesseur est de bonne foi » quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices... » (art. 550, C. civ.). Ce qui s'applique sans difficultés, et d'après les deux théories, aux cas où il y a un acte, translatif de sa nature, émané d'une personne non propriétaire. La généralité des termes employés nous permet d'étendre ce texte au cas où l'acte, émané d'une personne incapable d'aliéner (mineur, interdit), est nul en la forme (vente amiable d'immeubles); et nous pensons que cet article doit s'appliquer aussi à des hypothèses favorables, dans lesquelles le possesseur a pu croire à l'existence d'un titre, bien qu'en fait il n'en eût aucun sa bonne foi le protège et lui permet de faire les fruits siens; par exemple, s'il a recueilli un legs, en vertu d'un testament faux, non émané du testateur, d'un testament révoqué (la révoca

tion n'étant pas connue), d'un acte translatif faux. En fait, pourquoi traiter différemment celui qui a contracté avec un non dominus et a acheté de lui, et celui qui a cru valablement recueillir du de cujus, en vertu d'un testament faux, d'un testament révoqué dont le légataire ignorait la révocation? Et surtout, comment arriver à l'interprétation restrictive en présence des articles 138 et 1378 (C. civ.), qui reconnaissent l'existence d'une possession de bonne foi dans des hypothèses dans lesquelles on ne peut pas dire qu'il y ait un titre translatif, n'ayant manqué son effet que parce que l'aliénateur n'était pas propriétaire, mais simplement des faits contraires à la vérité, et permettant au possesseur de justifier de sa bonne foi?

En résumé donc, il y aura possession de bonne foi toutes les fois que le possesseur aura pu croire raisonnablement et aura cru, en fait, à la légitimité de sa possession. Cette question se décide d'après les circonstances sans qu'il y ait à distinguer s'il y a titre translatif émané a non domino, ou titre émané du propriétaire lui-même, mais incapable d'aliéner, et sans les formes légales; si le titre existe ou s'il n'y a qu'apparence de titre; s'il y a simple erreur de fait ou de droit. La seule question à vider est de voir si, en fait, le possesseur, en tenant compte de toutes les circonstances, a été excusable dans son erreur en se croyant propriétaire.

§ 2.

Quels sont les droits du possesseur de bonne foi.

1027. La possession de bonne foi confère au possesseur plusieurs prérogatives (comp. art. 555, C. civ.); nous avons à étudier une des plus importantes: « Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans » le cas où il possède de bonne foi.... » (art. 549, C. civ.).

Le possesseur de bonne foi fait les fruits siens, qu'est-ce que cela veut dire? Le législateur, au titre de l'usufruit, distingue les fruits et les produits de la chose (art. 591, 592 et 398, C. civ.), et tandis qu'il attribue les fruits à l'usufruitier qui a le droit de jouir, il laisse les produits de la chose au nu-propriétaire; il regarde ces derniers comme constituant des avantages exceptionnels; leur réalisation porte atteinte à la valeur de la chose; c'est comme un capital constitué qui disparaît: voilà pourquoi on les accorde au nu-propriétaire. Or, si cette solution est vraie pour l'usufruitier, investi d'un droit réel de jouissance que le propriétaire est obligé de respecter, comment ne pas admettre qu'elle doive a fortiori s'appliquer au possesseur de bonne foi qui a une situation moins favorable? Donc le possesseur de bonne foi actionné par le propriétaire sera toujours obligé de rendre les produits, mais il gardera les fruits.

1028. Les motifs qui font attribuer les fruits au possesseur de bonne foi peuvent être ramenés à deux principaux : 1o l'indemniser des soins

qu'il a donnés à la chose et l'en récompenser, en présence d'un propriétaire quelque peu négligent: les fruits lui sont donnés pro cultura et cura comme disaient les jurisconsultes romains; 2o ne pas enlever au possesseur des fruits sur lesquels il a compté.

Ces motifs existent quel que soit le titre du possesseur : qu'il soit possesseur à titre particulier ou à titre universel, qu'importe ! N'est-il pas dans une situation favorable, au regard du propriétaire négligent? Aussi l'article 138 (C. civ.) qui, en matière de possession d'hérédité, confère les fruits au possesseur de bonne foi, doit-il être considéré comme l'application d'une règle générale, et être étendu à des cas pour lesquels il n'a pas été écrit.

1029. Mais pour que le possesseur de bonne foi fasse les fruits siens, il faut qu'il les ait perçus de bonne foi.

a) Qu'il les ait perçus: ce qui veut dire que les fruits aient été détachés du sol pendant la possession. En effet, tant qu'ils pendent par branches ou par racines, ils sont accessoires de l'immeuble et comme tels doivent, avec le fonds, être rendus au propriétaire; détachés du sol, ils acquièrent la qualité mobilière et appartiennent au possesseur de bonne foi. Peu importe au reste qu'ils aient été réellement perçus par le possesseur lui-même ou par quelqu'un en son nom, ou aient été séparés du sol par un événement fortuit.

1030. En ce qui touche les fruits naturels et industriels, la séparation du sol en constitue la perception. Mais que décider pour les fruits civils? Ceux-ci sont pour le propriétaire la représentation de la jouissance qu'il a conférée à un tiers; l'usufruitier, qui n'acquiert les fruits naturels que par la perception réelle, acquiert jour à jour les fruits civils (art. 586, C. civ.). Faut-il appliquer une règle analogue au possesseur de bonne foi? Il y a doute: les uns, partant de cette idée qu'on ne doit que respecter les faits acquis, c'est-à-dire se borner à ne pas enlever au possesseur de bonne foi les fruits qu'il a perçus et sur lesquels il a pu compter, estiment que c'est aller trop loin que de lui reconnaître des droits à des fruits civils, qui n'ont pas été touchés par lui; n'est-ce pas en outre violer la disposition formelle de l'article 549 (C. civ.), suivant laquelle, le possesseur de bonne foi ne fait les fruits siens que par la perception? Or, peut-on dire qu'il y a eu perception, pour des fruits civils, non touchés par le possesseur? Nous serions cependant porté à accepter l'opinion contraire, et nous attribuerions au possesseur de bonne foi une part des fruits civils, correspondante à la durée de sa possession: ce qui nous décide, c'est que cette solution est donnée pour l'usufruitier et que dans l'Ancien Droit on traitait le possesseur et l'usufruitier de la même façon à ce point de vue (1); en outre, n'est-il pas vrai qu'en fai

(1) Domat, Lois civiles, 1. III, t. V, sect. III, art. 8 et Dumoulin (Cons. Par. des fiefs, § 1, gl. 1, no 52).

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