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violence, elle ne peut servir de base à la prescription. Mais dès que la violence aura cessé, la possession sera paisible et pourra servir de base à la prescription.

d) La possession doit être publique c'est-à-dire se présenter dans les conditions normales de la possession, de façon à pouvoir être connue du propriétaire contre les droits duquel elle est dirigée.

e) Non équivoque et à titre de propriétaire: la possession doit manifester chez le possesseur l'intention d'exercer un droit de propriété ; le possesseur se croit ou se prétend investi du droit de propriété sur la chose, il ne reconnaît à personne sur la chose qu'il possède, un droit de propriété quelconque; dans ces conditions, sa possession est à titre de propriétaire, elle contredit directement les droits du propriétaire véritable; l'inaction de ce dernier ne se comprend pas, la prescription le dépouillera de ses droits.

Enfin la possession doit être non équivoque, c'est-à-dire présenter d'une manière certaine les caractères énumérés plus haut, les seuls de nature à la qualifier suffisamment, et en même temps se présenter, comme l'exercice d'un droit exclusif de propriété. Si par exemple un communiste exerçait des actes de possession sur la chose commune: sa possession serait équivoque, car, par elle-même, elle ne démontrerait pas, s'il agit dans son intérêt exclusif ou dans l'intérêt des divers communistes.

La question de savoir si la possession, invoquée comme base à la prescription, présente ou non les caractères légaux, est une question de fait que les tribunaux doivent toujours décider d'après les circonstances et en fait leurs décisions sont souveraines et ne relèvent pas du contrôle de la Cour de cassation.

1067. Enfin, pour permettre la prescription, la possession doit avoir duré un certain temps. Si la simple possession peut faire acquérir la propriété d'un objet mobilier corporel, de façon à ce que la prescription s'accomplisse sans laps de temps, au moment même où la possession a pris naissance (art. 2279, C. civ.): cela tient à la nature même des objets possédés, dont il faut assurer la transmission rapide et aussi à la nécessité d'assurer la sécurité des transactions; mais pour les immeubles, la simple possession ne peut faire acquérir la propriété, il faut qu'elle ait duré un certain temps pour qu'en présence de l'inaction prolongée du véritable propriétaire, la loi puisse lui enlever sa propriété.

Ce laps de temps sera de trente années (art. 2262, C. civ.), ou de dix à vingt ans (art. 2265, C. civ.); et, pour établir ces délais différents, le législateur ne se préoccupe pas du véritable propriétaire, mais de la situation du possesseur. Si celui-ci est possesseur en vertu d'un juste titre et possède de bonne foi, il deviendra propriétaire par une possession de dix à vingt ans. Si l'une de ces conditions ou toutes deux font défaut, il n'acquerra la propriété que par une possession trentenaire.

1068. Le laps de temps sera de dix à vingt ans, suivant que l'immeuble possédé et le propriétaire sont dans le même ressort de la Cour d'appel ou dans des ressorts différents; si le propriétaire habite un ressort de cour, autre que celui de la situation de l'immeuble, il est dit absent et les délais, par chaque année de séjour, sont doublés (art. 2266, C. civ.).

1069. Pour invoquer la prescription de dix à vingt ans, le possesseur doit avoir un juste titre et être de bonne foi.

Io Le possesseur doit avoir un juste titre.

On appelle juste titre en notre matière un fait juridique qui manifeste chez les parties l'intention de transférer la propriété, et qui l'aurait réellement transmise, si l'aliénateur eût été véritable propriétaire. Le tradens, l'aliénateur, étant non dominus, ne peut pas transmettre sur la chose plus de droits qu'il n'en a lui-même ; il n'a donc pas pu transférer la propriété, puisque celle-ci ne lui appartenait pas, mais dans ce cas l'acquéreur peut assurer les effets de son titre d'acquisition, au moyen de la prescription de dix à vingt ans.

Le fait juridique, invoqué comme juste titre, doit présenter certains caractères particuliers, sur lesquels il faut insister:

1° L'acte doit étre de sa nature un acte translatif de propriété, ainsi la vente, la donation, le legs, la dation en payement, l'échange, émanés a non domino, forment des justes titres; mais les actes qui de leur nature sont simplement déclaratifs de droits comme le jugement, le partage, la transaction ne changent en rien la situation des parties et ne forment pas des justes titres, susceptibles d'être confirmés par la prescription de dix à vingt ans;

2o L'acte doit être constaté dans les formes légales (art. 2267, C. civ.); cette règle ne peut s'appliquer qu'aux faits juridiques, qui constituent des actes solennels, pour l'existence desquels des formes particulières sont imposées par la loi ; si ces formes n'ont pas été suivies, l'acte n'est pas un juste titre; il faut appliquer cette théorie aux donations entre vifs et aux legs (art. 1339, C. civ.). Si ces actes, émanés a non domino, ne sont pas constitués dans les formes légales, ils ne forment pas des justes titres;

3o L'acte doit être autorisé par la loi; ni un acte entaché de substitution (art. 896, C. civ.), ni un acte sur cause illicite ne pourraient servir de juste titre, la loi ne doit aucun effet ni direct, ni indirect aux actes de cette nature (1).

IIo Le possesseur doit être de bonne foi; la bonne foi consiste dans la croyance où est le possesseur que l'aliénateur était propriétaire; la bonne

(1) Comp. pour les conséquences: Cours élém., t. III, no 1602.

foi se présume (art. 2268, C. civ.); le juste titre doit être établi par le possesseur suivant les règles de preuve.

1070. Ces deux conditions ne doivent pas être confondues, elles forment deux conditions distinctes; on peut avoir un juste titre, et n'être pas de bonne foi; on est de bonne foi, si on croit à l'existence d'un juste titre, bien que celui-ci fasse défaut; mais la cryoance à un juste titre n'équivalant pas à juste titre : l'une des conditions de la prescription fait défaut.

A ce premier point de vue, on voit la différence qui sépare les règles relatives à l'acquisition des fruits et à l'acquisition de la propriété par prescription; dans le premier cas, tout possesseur de bonne foi fait les fruits siens par cela seul qu'il est de bonne foi, n'aurait-il pas de juste titre, dans les cas où la bonne foi n'est pas incompatible avec l'absence de titre, au contraire, en cas de prescription, la bonne foi et le juste titre doivent exister, comme conditions distinctes.

En matière de prescription acquisitive, la bonne foi doit exister au moment de la prise de possession, et il suffit qu'elle existe à ce moment, mala fides superveniens non impedit usucapionem (art. 2260, C. civ.); au cas d'acquisition de fruits par le possesseur de bonne foi, la bonne foi doit exister à chaque perception, et les fruits ne deviennent la propriété du possesseur que tant que sa bonne foi se maintient.

Telles sont les règles relatives à l'acquisition de la propriété immobilière sur lesquelles nous devions insister pour la saine intelligence des titres qui suivent.

TITRE III

DE L'USUFRUIT, DE L'USAGE ET DE L'HABITATION (1)

(Décr. le 30 janvier 1804, promul. le 9 février.)

1071. L'usufruit est le droit appartenant à une personne de jouir d'une chose dont une autre a la propriété. Pour expliquer les règles relatives à ce droit, nous suivrons l'ordre suivant :

Chap. Ier. Notions générales sur l'usufruit, sa nature.

Chap. II. Comment l'usufruit s'acquiert.

Chap. III. Sur quels objets l'usufruit porte.

Chap. IV. Droits et obligations de l'usufruitier.
Chap. V. Extinction de l'usufruit.
Appendice: De l'usage et de l'habitation.

CHAPITRE PREMIER

NOTIONS GÉNÉRALES SUR L'USUFRUIT; SA NATURE

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1072. L'article 578 donne de l'usufruit la définition suivante : « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, » comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la » substance. » Cette définition emprunte la plupart de ses éléments au fragment de Paul, au Digeste (livre 7, tit. 1).

Le propriétaire a, comme conséquence de son droit de propriété, le droit de jouir de sa chose; si ce droit de jouissance est séparé de la propriété au profit d'un tiers, alors apparaît le droit d'usufruit. Il y a démembrement de la propriété, chacun des deux intéressés, nu-propriétaire et usufruitier, se partageant les avantages de la propriété (comp., art. 543, 526 et 578, C. civ.): la propriété, avec le jus abutendi, repose

(1) Voir Demante, Cours analytique de Droit français, t. II, nos 413 à 481; Demolombe, Cours du Code Napoléon, t. X, page 166 à la fin du volume; Aubry et Rau, Cours de Droit civil français, 4e édit., t. II, §§ 226 à 237; Laurent, Principes de Droit civil français, t. VI, page 407 à la fin du volume et tome VII, p. 31 à 1íí.

sur la tête du nu-propriétaire; la jouissance, sur la tête de l'usufruitier. Dans notre Droit, on ne distingue pas le jus utendi du jus fruendi; ces droits forment le droit de jouir dont l'usufruitier est investi.

Ce droit porte sur la chose; il permet à l'usufruitier d'en tirer des avantages déterminés, la perception des fruits; c'est un droit réel, qui est distinct du droit de propriété et en est complètement indépendant; il ne faut donc pas considérer le nu-propriétaire et l'usufruitier comme des personnes que rattacheraient des rapports obligatoires, ils sont étrangers l'un à l'autre, et les changements et modifications qui se produiraient à l'occasion de l'un des deux droits ne réagiraient pas sur l'autre (comp., art. 621 et 595, C. civ.).

De même l'usufruitier et le nu-propriétaire ayant chacun un droit distinct et particulier sur la chose, il ne faut pas les considérer comme en état d'indivision entr'eux ; l'indivision suppose sur une chose des droits de même nature, dont deux ou plusieurs personnes ont une quote-part; et partant on ne peut pas admettre une action en partage entre l'usufruitier et le nu-propriétaire (1).

1073. Ce droit réel peut porter sur toute espèce de biens, meubles ou immeubles (art. 581, C. civ.), et il prend leur nature; il est donc mobilier ou immobilier suivant la nature de l'objet sur lequel il porte (art. 526, C. civ.). Le titulaire a une action réelle en revendication pour faire reconnaître son droit en justice: c'est l'action confessoire d'usufruit.

Ce droit réel appartient à une personne autre que le propriétaire; temporaire de sa nature, il s'éteint avec la personne qui en est investie (art. 617, C. civ.). On le désignait autrefois sous le nom de servitude personnelle, pour indiquer ses caractères; le législateur n'a pas voulu employer ces expressions: il a craint, par un excès de scrupule, qu'elles n'éveillassent dans l'esprit le souvenir de dépendances de personne à personne avec lesquelles il avait définitivement rompu. Il n'y a aucun inconvénient à les employer aujourd'hui.

Mais un caractère de ce droit qu'il faut mettre en relief, c'est qu'il est essentiellement temporaire. Un droit de jouissance perpétuel serait la destruction du droit de propriété ; quel avantage appréciable resterait-il au nu-propriétaire ? Le bien grevé d'un usufruit perpétuel serait ainsi mis hors du commerce, puisque l'usufruitier ne pourrait pas l'aliéner et que le nu-propriétaire ne trouverait pas à le faire. Aussi le législateur a-t-il voulu que ce droit s'éteignît avec la personne du titulaire, et si le titulaire a une existence telle que la mort naturelle ne puisse l'atteindre (comme les personnes morales), l'usufruit ne peut durer que trente années (art. 619, C. civ.): disposition qui démontre bien la tendance du

(1) Cass., 11 janvier 1888, Sir., 90, 1, 499 et 10 décembre 1889, Sir., 90, 1, 497, et Cours élémentaire de Droit civil, t. II, nos 258 et suiv.

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