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clamer des intérêts pour cette avance pendant sa durée, et supportera ainsi une diminution de jouissance du capital employé.

1121. L'usufruitier sur des objets particuliers ne peut, en général, être obligé aux dettes de son auteur; donc il n'a d'aucune manière, ni directe ni indirecte, à supporter le paiement de ces dernières ; mais si une dette du constituant était garantie par une hypothèque sur l'immeuble grevé d'usufruit, l'usufruitier, en qualité de tiers détenteur, pourrait être amené à la payer, il aurait dans ce cas un recours à exercer contre le débiteur, en général le nu-propriétaire, pour le capital et les intérêts (art. 1024, C. civ.).

Ces principes doivent-ils s'appliquer au cas où l'usufruit est constitué par testament et porte sur l'ensemble des biens du testateur ou sur une quote-part de ses biens? On a beaucoup discuté en théorie quel devait être le caractère de ces legs. Faut-il les considérer comme correspondant à la classification des legs donnée à l'article 1002, c'est-à-dire voir un legs universel dans un legs d'usufruit portant sur tous les biens, et un legs à titre universel dans un legs d'usufruit portant sur une quote-part des biens (1)? Ou bien ne faut-il voir dans tous ces legs que des legs particuliers? Nous pencherions pour ce dernier parti, car ces legs ont toujours un objet particulier : l'usufruit, le droit de jouissance : c'est là l'objet légué, ce legs laisse en dehors de lui la propriété. Comment donc pouvoir donner à un legs d'usufruit, portant sur tous les biens, le caractère de legs universel, où se trouve la vocation à l'universalité des biens? Mais, au reste, peu importe cette difficulté pour la question qui nous occupe, car le législateur donne dans les articles 610 et 612 des règles qu'il faudra toujours appliquer. Quelles sont ces règles?

Le législateur considère l'ensemble des dettes comme formant une charge du patrimoine tout entier; or, ces dettes grèvent la propriété pour le montant de leur capital, et la jouissance, pour les intérêts et revenus auxquels elles donnent lieu. Il faut donc faire supporter à l'usufruitier, dont le droit porte sur tout ou partie du patrimoine, l'obligation de payer tout ou partie des intérêts des dettes; et sur le nu-propriétaire, faire peser l'obligation de payer le capital. Ce principe, le législateur l'applique avec une certaine rigueur dans l'article 610: il suppose que le testateur a laissé une rente viagère ou pension alimentaire ; il en met les arrérages pour le tout à la charge de l'usufruitier universel et, pour une quotepart correspondante à l'étendue de son droit, pour l'usufruitier à titre universel (le tiers des arrérages, si son usufruit est du tiers des biens) (2). Cette solution éminemment équitable est la contre-partie de l'article 588. Si l'usufruit comprenait activement une rente viagère, l'usufruitier gagnerait définitivement tous les arrérages; si l'usufruit porte sur des biens (1) Comp. Pau, 22 avril 1884, Sir., 86, 2, 188.

(2) Comp. Cass. civ., 14 août 1889, Sir., 91, 1, 373.

grevés d'une rente viagère, les arrérages sont pour le tout à la charge de l'usufruitier: les règles du passif et de l'actif sont ainsi corrélatives. Ces principes posés, on comprend très bien les combinaisons diverses auxquelles fait allusion l'article 612 (C. civ.). Supposons le legs universel d'usufruit:

a) Ni l'usufruitier ni le propriétaire ne sont en état de payer les dettes; on fait vendre une portion des biens soumise à l'usufruit; par là le propriétaire perd une partie de son capital et l'usufruitier subit une diminution de jouissance, égale à celle que le nu-propriétaire subit pour la propriété.

b) Le nu-propriétaire pour éviter la vente des biens paie les dettes; il paie ce qu'il doit en capital, l'usufruitier lui doit les intérêts des sommes payées, jusqu'à l'extinction de son droit : cette diminution de jouissance est la conséquence de l'obligation où est l'usufruitier de supporter le paiement des dettes en jouissance.

c) L'usufruitier paie les dettes: il fait l'affaire du nu-propriétaire qu'il libère de ses obligations; mais comme il devait supporter les intérêts et revenus de ces dettes, il ne pourra réclamer au nu-propriétaire que le capital avancé et seulement à l'extinction de l'usufruit et sans intérêt jusque-là.

Les mêmes règles s'appliqueraient pour la quote-part correspondante à la quotité de son droit, au cas de legs à titre universel d'usufruit.

1122. Il faut encore considérer comme des charges de la jouissance les frais des procès relatifs au droit d'usufruit, et comme des charges de la propriété les frais des procès relatifs à la propriété (art. 613, C. civ.).

Cette règle s'applique sans difficulté au cas où l'usufruit a été constitué à titre gratuit. Mais si l'usufruit a été constitué à titre onéreux, il faut la combiner avec le principe de l'article 1626 du Code civil, et dans bien des cas, notamment si le droit d'usufruit est contesté parce qu'il aurait été constitué a non domino, le nu-propriétaire, qui doit garantie à l'usufruitier, doit lui rembourser les frais du procès, même portant sur la jouissance.

1123. Si l'usufruit durait toujours un nombre d'années déterminé, l'usufruitier aurait perçu pendant ce temps les fruits et revenus et supporterait les charges dont nous venons de parler pour le même temps. Mais si l'usufruit dure moins d'une année, que décider pour cette fraction ? Il ne faut pas hésiter à dire que les fruits civils, qui activement s'acquièrent par jour (art. 586, C. civ.), au point de vue passif, doivent être supportés par jour, c'est-à-dire eu égard à la durée de la jouissance de l'usufruitier, sans que l'on ait à distinguer si dans l'usufruit se rencontrent des fruits civils en même temps à l'actif et au passif (comp. art. 588-611, C. civ.).

SECTION III.

OBLIGATIONS DE L'USUFRUITIER A LA FIN DE L'USUFRUIT

1124. A l'extinction de l'usufruit pèsent sur l'usufruitier ou ses héritiers deux obligations principales: 1° restituer les choses grevées d'usufruit, et à défaut de restitution en nature, rendre leur valeur (quasiusufruit, destruction de la chose grevée avec faute). Cette restitution est due, au moment même où l'usufruit cesse, et les héritiers de l'usufruitier ne pourraient en rien et sous aucun prétexte prolonger leur détention; 20 indemniser le propriétaire toutes les fois que, par sa faute, l'usufruitier lui aurait porté préjudice: par exemple, si l'usufruitier n'avait pas fait les réparations d'entretien dont il était tenu, ou s'il n'avait pas apporté à la conservation de la chose les soins d'un bon père de famille. Mais à ces obligations correspondent des droits importants pour l'usufruitier et dont nous devons dire quelques mots.

1o L'usufruitier ou ses héritiers ont le droit de se faire restituer les avances faites pour le compte du propriétaire : par exemple, au cas des articles 609 et 612 du Code civil et dans l'hypothèse où l'usufruitier aurait fait les grosses réparations (renvoi aux explications antérieures). 2o Il peut enlever tous les objets mobiliers qu'il aurait placés sur le fonds pour son ornement ou son exploitation: il s'agit ici de ces objets mobiliers susceptibles de devenir immeubles par destination (voir no 873), s'ils avaient été placés par le propriétaire à perpétuelle demeure; mais placés par l'usufruitier, ils ont conservé leur qualité d'objets mobiliers. En conséquence, l'usufruitier a le droit de les retirer; mais, si en les retirant il dégrade l'immeuble, il doit rétablir les lieux dans leur premier état. Nous considérons donc le dernier alinéa de l'article 599 comme posant un principe général, dont il faut étendre l'application à tous les objets mobiliers rattachés à l'immeuble, et susceptibles de former des immeubles par destination, s'ils avaient été placés par le propriétaire.

1125. Si l'usufruitier avait fait plus, par exemple, s'il avait fait des modifications dans l'immeuble, élevé des constructions nouvelles, des plantations, que décider dans ces cas?

L'article 599 contient une disposition importante: «<... — De son côté, » l'usufruitier ne peut, à la cessation de l'usufruit, réclamer aucune in»demnité pour les améliorations qu'il prétendrait avoir faites, encore » que la valeur de la chose en fût augmentée... » (art. 599, C. civ.). Quelle valeur faut-il donner à cette disposition?

En la rédigeant, nous pensons que le législateur, comme il l'a dit formellement, a voulu « prévenir les difficultés qui pourraient s'élever » lors de la cessation de l'usufruit » ; il a craint que l'usufruitier ne prétendît, par sa gestion, par ses actes, avoir donné au fond une plusvalue; et pour couper dans leur racine tous les procès relatifs aux questions de ce genre, il a rédigé l'article 599, alin. 2. Cet article s'ap

pliquera donc toutes les fois que l'usufruitier prétendra, par sa gestion, par ses travaux exécutés sur le fonds, par sa manière de l'exploiter, en avoir augmenté la valeur, l'agrément ou les revenus; il y aura lieu de lui dire ce sont là des améliorations à l'occasion desquelles vous ne pouvez réclamer aucune indemnité. S'il en eût été autrement, n'auraiton pas pu craindre que l'usufruitier n'imposât au propriétaire des charges fort lourdes, et l'obligeât à des actes que ce dernier n'aurait jamais faits?

Nous pensons que notre principe s'appliquera encore aux changements, additions, modifications apportés au fonds grevé, sol ou bâtiment. Par exemple, l'usufruitier aura ajouté un étage à une maison, mis sur un plancher un parquet, placé des volets où il n'y en avait pas : ces objets forment des immeubles par nature, il ne pourrait appartenir à l'usufruitier d'émettre la prétention de les enlever et l'article 599, 3o alinéa, ne saurait les viser; ils font partie intégrante du bâtiment, restent par suite au nu-propriétaire, et ce dernier ne doit à leur occasion aucune indemnité; ils constituent pour l'immeuble grevé des améliorations et rentrent dans les prévisions du législateur (art. 599, 2e ali., C. civ.). Mais si l'usufruitier avait fait une construction nouvelle, faudrait-il appliquer les mêmes principes? On a soutenu qu'il était difficile d'admettre que ces constructions nouvelles fussent traitées comme de simples améliorations. Si l'on remarque que le législateur, dans l'article 555, a voulu que le constructeur de mauvaise foi pùt enlever les constructions, au cas où le propriétaire ne voudrait pas lui payer d'indemnité, abandonnant ainsi la théorie romaine, celle de Pothier, le législateur n'a-t-il pas abandonné en même temps l'application qu'on en faisait à l'usufruitier? Remarquons que l'article 555 donne une solution générale basée sur l'équité, et qu'on ne saurait y faire échec qu'au nom d'une exception formelle; or, peut-on la trouver dans l'article 599, 2o alinéa ? On ne le pense pas, on distingue ainsi entre les améliorations et les constructions nouvelles et l'on applique à ces dernières le Droit commun.

Cependant, malgré ces arguments, nous préférons l'opinion contraire; elle est plus conforme à la théorie romaine, à la théorie de notre ancienne jurisprudence, or, on sait que dans notre matière le législateur a tenu grand compte des précédents historiques; elle s'accorde mieux avec la généralité des termes de l'article 599 et avec le sens du mot améliorations, expression vague s'appliquant dans d'autres articles, aux constructions elles-mêmes (comp. art. 861 et 1437, C. civ.). En outre, l'assimilation entre le possesseur de mauvaise foi et l'usufruitier ne nous paraît pas justifiée : l'un construit pour lui, l'autre en vue de son usufruit sachant qu'il s'éteindra fatalement. De plus cette distinction ferait renaître des procès que l'on a voulu éteindre dans leur germe (1).

(1) Cass. req., 4 nov. 1885, Sir., 86, 1, 113; Besançon, 5 avril 1887, Sir., 89, 2, 62,

Tels sont les droits et les obligations de l'usufruitier; il a en face de lui le nu-propriétaire, obligé de souffrir l'exercice du droit d'usufruit; comme propriétaire, ce dernier conserve des prérogatives importantes: le droit d'abusus dans toute son étendue, mais il doit s'abstenir de tout fait de nature à nuire aux droits de l'usufruitier (art. 599, 1er ali., C. civ.).

CHAPITRE V

EXTINCTION DE L'USUFRUIT

1126. Les modes d'extinction de l'usufruit sont énumérés dans l'article 617 du Code civil; les articles suivants s'occupent de quelques règles particulières pour quelques-uns de ces modes d'extinction. Nous allons les étudier successivement, en rattachant à chacun d'eux les règles spéciales données par le Code.

Art. 617. « L'usufruit s'éteint: 1o Par la mort naturelle et par la » mort civile de l'usufruitier »;

L'usufruit est un droit constitué en faveur de la personne; il est donc naturel d'admettre que la mort naturelle de l'usufruitier entraîne l'extinction de l'usufruit. Le Code assimilait à la mort naturelle la mort civile subie par l'usufruitier, solution contradictoire avec celle que donnait l'article 1982 (C. civ.) à propos de la rente viagère; mais la mort civile a été abolie par la loi du 31 mai 1854 et ce cas d'extinction n'existe plus dans notre législation.

Pour les personnes morales dont l'existence dépend de la loi, on a fixé pour l'usufruit une durée maximum de 30 années, au cas où les parties ne s'en seraient pas exprimées autrement (art. 619, C. civ.). Le législateur montre par là combien il est peu favorable au dédoublement prolongé de la propriété.

La suppression des personnes morales par l'État, le retrait de l'autorisation donnée, formant pour ces personnes la mort normale, entraîneraient l'extinction de l'usufruit dès qu'ils se produiraient.

Le principe que l'usufruit s'éteint à la mort de l'usufruitier est-il absolu, et les parties ne pourraient-elles pas y déroger?

Certains auteurs, voyant dans la règle de l'article 617 (C. civ.) une interprétation présumée de la volonté des parties, admettent que l'on peut créer valablement un usufruit pour une personne, de sorte qu'à sa mort cet usufruit continuât pour les héritiers. Cette solution ne nous paraît pas exacte, la volonté du législateur a été de restreindre le droit

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