Page images
PDF
EPUB

être maintenue que si son exercice est compatible avec l'exercice de la servitude précédemment constituée.

Si le propriétaire du fonds servant grevait ce dernier d'hypothèque après la constitution de la servitude, les créanciers hypothécaires ne pourraient exercer leurs droits hypothécaires qu'à la charge de respecter la servitude, droit réel créé antérieurement à leur propre droit (1)..

Cette situation est celle de tous les détenteurs successifs du fonds servant, sous la condition que la servitude constituée leur soit opposable.

SECTION IV.

MODES D'EXTINCTION DES SERVITUDES.

1172. Dans les articles 703 à 710, le législateur prévoit trois causes d'extinction des servitudes : le non-usage pendant trente ans (art. 706, 707 et 708, C. civ.), l'impossibilité d'exercice (art. 703 et 704, C. civ.), la confusion (art. 705, C. civ.). Nous les étudierons successivement, sauf à ajouter à cette énumération les modes d'extinction laissés de côté par le législateur et qui, par la force des principes généraux, reçoivent application dans notre matière.

1° Non-usage pendant trente ans (706 et 707, C. civ.).

1173. « La servitude est éteinte par le non-usage pendant trente » ans » (art. 706, C. civ.). Le législateur, en présence de l'abstention du propriétaire du fonds dominant, titulaire de la servitude, suppose de sa part renonciation à son droit et proclame l'extinction de la servitude: c'est donc là une application de la prescription extinctive (art. 2262, C. civ.); de même que le créancier en ne poursuivant pas son débiteur perd sa créance, de même le titulaire de la servitude sera dépouillé de son droit par la longue abstention dans laquelle il s'est maintenu (2).

1174. Sera-ce toujours trente années que devra durer le non-usage? Au cas, par exemple, où le fonds servant, aliéné à non domino, à un acquéreur qui a juste titre et bonne foi (art. 2265, C. civ.), est devenu par dix à vingt ans la propriété du possesseur, celui-ci ne peut-il pas dire qu'il a acquis, libre et franc de toutes charges, l'immeuble, puisque c'est sa possession intégrale, non diminuée par l'exercice de la servitude, qui sert de base à son acquisition, et de même qu'il n'a pas à respecter les hypothèques constituées par le véritable propriétaire, au regard des créanciers qui ne les auraient pas conservées (art. 2180, C. civ.), il n'a pas davantage à respecter les servitudes, que leur usage contre lui n'a pas conservées? Il n'est pas ici question de non-usage, mais bien du

(1) Toutes ces solutions sont la conséquence du droit de préférence qu'implique tout droit réel concédé, au profit de son titulaire.

(2) Peu importe du reste que le non-usage provienne d'un cas de force majeure (Cass. 3 mars 1890, Sir., 90, 1, 245).

[ocr errors]

plus ou moins d'étendue à donner aux effets de la prescription acquisitive; or, ne voit-on pas qu'il y a quelque contradiction à décider que la possession suffit au regard du propriétaire, et ne suffit pas, quoique entière, au regard de personnes titulaires de droits réels du chef de ce dernier ? Aussi nous estimons que la prétention du possesseur est de nature à être acceptée: elle nous paraît imposée par les principes de la prescription acquisitive, par l'argument d'analogie tiré de l'article 2180 (C. civ.), et le législateur semble, en effet, mettre sur la même ligne la prescription des droits sur la chose et des hypothèques dans l'article 1665 (C. civ.). En dehors de cette hypothèse spéciale, le non-usage doit durer trente ans pour entraîner l'extinction des servitudes.

1175. L'extinction par le non-usage s'applique à toutes les servitudes, aux servitudes continues comme aux discontinues. Mais il y a lieu de tenir grand compte du caractère des servitudes pour fixer le point de départ du délai de non-usage.

Quant aux servitudes discontinues, le point de départ est le dernier acte d'exercice de la servitude.

Pour les servitudes continues qui s'exercent par elles-mêmes, sans le fait de l'homme, pour qu'il y ait non-usage, un acte a dû être fait, contraire à l'exercice de la servitude, soit de la part du propriétaire du fonds dominant, soit de la part du propriétaire du fonds servant (1).

1176. Ce délai de trente ans doit être considéré comme opérant, par voie de prescription extinctive, l'extinction de la servitude; d'où il résulte que les règles relatives à la suspension et à l'interruption des prescriptions doivent s'appliquer en notre matière, et les articles 710 et 709 l'établiraient au besoin: ils combinent ces règles avec les conséquences de l'indivisibilité des servitudes; toute jouissance de la servitude interrompt le non-usage, et si la servitude appartient à un fonds indivis entre plusieurs, la jouissance de l'un empêche la prescription à l'égard de tous (art. 709, C. civ.); de même, s'il s'en trouve un, parmi les propriétaires du fonds dominant, au profit duquel la loi suspende la prescription, comme un mineur, un interdit (art. 2252, C. civ.), il aura conservé le droit de tous les autres. Ces règles s'appliquent par la généralité des termes de la loi à toute espèce de servitude: elles sont une conséquence de leur indivisibilité; mais une fois le partage consommé, chaque

(1) Ces règles s'appliquent au cas où le propriétaire du fonds servant a fait un travail contraire à l'exercice de la servitude, au vu et au su du propriétaire du fonds dominant: ce n'est que par le non-usage que la servitude s'éteindra. Si les travaux ont été faits par le propriétaire du fonds dominant, ces principes s'appliquent; mais il faudrait réserver les cas où les circonstances démontreraient que le propriétaire du fonds dominant, en faisant ces travaux ou en les tolérant, a renoncé tacitement au droit de servitude et où les parties pourraient établir cette renonciation. Comp., Cass. civ., 6 novembre 1889, Sir., 92, 1, 65.

lot est considéré comme jouissant d'une servitude particulière, dont la perte par non-usage peut s'appliquer à l'un des lots sans s'appliquer aux autres, et par suite, l'interruption et la suspension, qui se réalisent dans la personne de l'un des propriétaires loti, ne profitent pas aux autres propriétaires.

1177. Le non-usage entraîne donc l'extinction de la servitude; par voie de conséquence, le Droit français admet qu'un usage partiel, incomplet, ne conserve la servitude que dans la limite où elle a été exercée. En Droit romain, il en était autrement (fr. 2, fr. 8 § 1, fr. 9. Dig. Quemad. serv. amitt.): tout acte d'usage de la servitude conservait cette servitude dans son entier, sans diminution ni augmentation, et ce système s'appliquait sans soulever de difficultés dans la pratique. Il n'en est pas de même du principe nouveau de l'article 708 : si l'on a exercé le droit résultant de la servitude pour partie, et que cet exercice limité se soit maintenu trente années, le mode de la servitude se trouve modifié dans les limites où l'exercice s'est produit (1). Par exemple, on avait le droit d'ouvrir quatre vues de dimension x sur le fonds du voisin, on n'en a ouvert que deux ou bien on en a ouvert quatre, mais à dimension plus étroite la servitude au bout de trente ans a subi une diminution dans son étendue, conformément à l'exercice qui en a été fait. Et nous appliquerions ce principe à toute espèce de servitude. Par exemple, on avait le droit de passer, à pied, à cheval, en voiture; pendant trente années on n'a passé qu'à pied, on a perdu par non-usage le droit de passer en voiture ou à cheval.

Que décider, si l'on avait exercé la servitude de façon à en exagérer l'étendue; l'usage prolongé pendant trente années s'applique-t-il à une servitude continue et apparente, susceptible d'être acquise par prescription? Le mode de la servitude est étendu suivant l'exercice. C'est une acquisition par prescription de la servitude, possible suivant la nature de la servitude (art. 690 et 691, C. civ.). S'agit-il au contraire d'une servitude discontinue, on non apparente continue, la prescription ne pouvant s'appliquer à l'acquisition de ces servitudes ne peut servir à en augmenter le mode (arg. anal. art. 690, C. civ.).

2o Impossibilité d'exercer la servitude (art. 703 et 704, C. civ.).

1178. « Les servitudes cessent, lorsque les choses se trouvent en tel » état, qu'on ne peut plus en user (art. 703, C. civ.). Elles revivent » si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en user; à moins qu'il ne se soit déjà écoulé un espace de temps suffisant pour faire » présumer l'extinction de la servitude, ainsi qu'il est dit à l'article 707 » (art. 704, C. civ.). Il résulte de ces articles, que si un événement

>>

(1) Cass., 20 avril 1889, Sir., 90, 1, 214.

quelconque se produit, mettant les parties dans l'impossibilité d'exercer la servitude, celle-ci s'éteint; et si les choses ne sont pas rétablies dans les trente années, dans l'état antérieur, la servitude est à jamais perdue. Pour expliquer ce résultat, des auteurs ont dit qu'il y a une extinction immédiate de la servitude par l'impossibilité de l'exercer. Mais si dans les trente ans l'exercice redevient possible, le titulaire de la servitude recouvre son droit: ce délai de trente ans serait ici un délai préfixe, auquel ne s'appliqueraient pas les règles relatives à la suspension et à l'interruption des prescriptions.

Nous ne pouvons pas admettre cette opinion: elle nous paraît contraire à l'histoire de notre article; la Cour de Grenoble avait demandé que l'on mît sur la même ligne l'impossibilité d'exercice et l'abstention; le renvoi à l'article 707 (C. civ.) démontre qu'on a accepté cette idée, car on ne peut pas l'expliquer seulement par l'adoption d'un seul et même délai pour les deux cas il faut y voir l'intention de soumettre à une même théorie les deux hypothèses; aussi admettons-nous que, dans le cas des articles 703 et 704 (C. civ.), il faut assimiler à l'abstention l'impossibilité d'exercice, et dans l'un et l'autre cas dire que la servitude s'éteint par non-usage, c'est-à-dire par prescription libératoire; le point de départ de la prescription est, dans le premier cas, le moment où commence l'abstention du titulaire (art. 707, C. civ.); dans l'autre cas, le fait matériel, constitutif d'impossibilité d'exercice. C'est cette théorie que paraît appliquer l'article 665 du Code civil, où il est question de prescription, et en conséquence nous appliquerions ici la théorie de la suspension et de l'interruption.

3o Confusion (art. 705, C. civ.).

1179. La confusion est le troisième mode d'extinction de la servitude: « Toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due et ce» lui qui la doit sont réunis dans la même main » (art. 705, C. civ.). La réunion sur la même tête du fonds dominant et du fonds servant amène l'extinction de la servitude par voie de confusion; un des éléments essentiels à l'existence de la servitude a, en effet, disparu; les choses entre lesquelles s'exerce la servitude n'appartiennent plus à deux maîtres différents; que le propriétaire unique maintienne ou non l'état antérieur, il n'y a plus servitude, res nemini sua servit.

Pour que la confusion produise ses effets, il faut que l'acte opérant réunion des deux fonds soit valable, car s'il était entaché de nullité ou présentait quelque cause de résolution, son anéantissement ferait apparaître à nouveau la servitude éteinte par confusion (comp. 2177, § 1, C. civ.). Mais si le nouveau propriétaire aliénait volontairement l'un des deux fonds, ce fait ne ferait pas renaître la servitude éteinte, à moins que les circonstances ne permissent d'invoquer le maintien de la servitude par

la destination du père de famille (voir art. 692 à 694, C. civ., no 1049). 1180. En outre de ces modes d'extinction prévus par la loi, il en est d'autres que le législateur a pu laisser de côté, parce qu'ils sont la conséquence des principes généraux. C'est ainsi que les servitudes, constituées sur un fonds par un propriétaire, s'éteignent dès que le droit de propriété de ce dernier est anéanti rétroactivement, resoluto jure dantis, resolvitur jus accipientis: comment pourrait-il transmettre à autrui plus de droits qu'il n'en a lui-même ? (art. 1673, 2e al., C. civ.).

De même, il faut admettre que le propriétaire du fonds dominant puisse abdiquer le droit qui lui appartient et y renoncer. Tandis que l'usufruit est susceptible d'une renonciation au profit du nu-propriétaire, et d'une cession ou transmission à un tiers, la servitude ne peut donner lieu qu'à une renonciation purement abdicative, dont le propriétaire du fonds servant, seul, peut profiter; ce droit est, en effet, une qualité de l'immeuble dominant, et ne peut en être séparé pour faire le sujet d'une cession. Pour produire effet au regard des tiers, cette renonciation doit être transcrite (art. 2, loi du 23 mars 1855).

Il faut admettre que la servitude, de même que la propriété, peut être constituée à terme extinctif et sous condition résolutoire; dans ce cas, l'échéance du terme, l'arrivée de la condition entraînent l'extinction du droit de servitude. (Comparez en Droit romain une théorie différente.)

Enfin l'expropriation pour cause d'utilité publique du fonds servant entraîne l'extinction de la servitude: il y a lieu de procéder pour ce cas conformément aux articles 21, 25 et 39 de la loi du 3 mai 1841, et le propriétaire du fonds dominant recevra une indemnité préalable à la prise de possession du fonds servant, pour l'indemniser de la perte de son droit de servitude, élément quelquefois important de son patrimoine.

1181. Tous ces modes d'extinction, nous les avons trouvés en matière d'usufruit; il faut cependant remarquer relativement aux deux droits une différence: l'usufruit peut s'éteindre à la suite de l'abus de jouissance, parce qu'il confère à l'usufruitier un droit de jouissance sous la condition de conserver la substance de la chose; aucune obligation de ce genre n'est imposée au propriétaire du fonds dominant, quant à l'exercice de son droit de servitude. S'il y avait abus de sa part, il pourrait encourir des dommages-intérêts, mais jamais on ne pourrait conclure à l'extinction de son droit de servitude.

« PreviousContinue »