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a fait remarquer qu'assurer aux villes l'eau de source nécessaire à leurs besoins était bien, mais que dans l'accomplissement de ce devoir, l'administration devait respecter le droit d'autrui. Or si, au moment de la dérivation, des agglomérations d'habitants ont besoin desdites eaux (art. 643, C. civ.) pour la satisfaction de leurs besoins, peut-on les sacrifier aux agglomérations expropriantes? Cela paraîtrait une souveraine injustice. Le législateur paraît entrer dans cette voie, car dans la loi du 5 avril 1890, il n'a autorisé la ville de Paris à capter les sources de la Vigne et de Verneuil qu'en limitant son droit à un chiffre de mètres cubes à jauger à la prise, réservant ainsi aux ayants droit de la vallée tout le restant du débit des sources.

B.

Droits attribués aux riverains des cours d'eau.

1197. Les droits des riverains sur les cours d'eau ont varié suivant les époques pendant la période intermédiaire, en vertu de la loi du 6 octobre 1791, tout riverain avait le droit de faire des prises d'eau aux rivières navigables et flottables « sans néanmoins en détourner ni em» barrasser le cours d'une manière nuisible au bien général et à la na»vigation » (tit. I, sect. I, art. 4). Mais cette loi eut, en pratique, des effets désastreux, et le Directoire, par arrêté du 9 ventôse an VI, dut prendre des mesures générales dans l'intérêt de la navigation.

Le Code civil a abandonné, en ce qui touche les rivières navigables et flottables, le principe de la loi de 1791; il n'en organise l'application qu'aux rivières non navigables ni flottables : c'est là l'objet de la restriction qui se trouve à l'article 644: « Celui dont la propriété borde une » eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine » public par l'article 538 au titre DE LA DISTINCTION DES BIENS...

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Donc, pour les eaux dépendant du domaine public, c'est-à-dire pour les rivières navigables et flottables, le riverain n'a d'aucune façon le droit de s'en servir; ces rivières sont affectées au service de la navigation; on craint que la concession d'un droit sur elles au profit du riverain ne puisse nuire à ce service, qui intéresse la prospérité de l'État.

Mais l'administration, qui est juge du point de savoir quelle quantité d'eau est nécessaire au service de la navigation, peut, à titre de concessions gracieuses, toujours révocables, autoriser des particuliers à prendre de l'eau aux rivières navigables ou flottables pour l'irrigation de leurs propriétés, à établir sur leur cours des usines et établissements industriels; ces concessions peuvent être une source de revenus pour l'État.

1198. Sur les rivières non navigables ni flottables on admet le principe de la loi de 1791, et chaque riverain a des droits étendus sur le cours d'eau ; mais leur situation est différente, suivant que leur fonds borde l'eau courante ou est traversé par elle. Cette différence s'explique,

parce que, dans le premier cas, le riverain ne peut user de l'eau qu'en respectant le droit du propriétaire d'en face, égal au sien propre, tandis que le propriétaire dont le fonds est traversé use sans avoir à subir cette restriction.

Pour les uns et les autres, leur droit ne peut s'exercer qu'à la condition de ne nuire (1) ni aux propriétaires inférieurs ni aux propriétaires supérieurs; c'est ainsi qu'ils ne peuvent pas absorber l'eau du ruisseau, ni par des barrages ou autrement la faire refluer dans son cours supérieur.

Ces principes posés, le propriétaire dont le fonds borde l'eau courante peut s'en servir à son passage pour l'irrigation de ses propriétés, et cela s'applique non seulement à la parcelle bordant l'eau courante, mais à ses propriétés en général (2). Pour faciliter cette opération, il peut établir des barrages qu'il peut appuyer sur le fonds d'autrui, conformément aux dispositions de la loi du 11 juillet 1847. Mais ce n'est pas à cette utilité que se borne le droit du propriétaire (3): il peut tirer de la rivière toute l'utilité dont elle est susceptible, et notamment y établir des usines (4), pourvu qu'il ne change pas le cours et ne nuise pas aux droits du propriétaire d'en face. Le propriétaire, dont la propriété est traversée par le cours d'eau, peut demander à l'eau tous les services dont elle est susceptible, pour les besoins de l'agriculture (irrigations), pour les besoins industriels (établissement d'usine), pour son agrément (établissement d'un lac, d'une pièce d'eau); il peut détourner le cours de l'eau et n'est obligé qu'à « la rendre, à la sortie du fonds, à son cours ordinaire» (art. 644, C. civ.).

Dans le projet de loi relatif au régime des eaux, le Sénat (5) a étudié ce qui est relatif aux droits des riverains sur les rivières en général et, tout en confirmant les solutions admises dans la pratique, il a formulé quelques principes nouveaux importants: notamment (art. 3 du projet) « le lit des cours d'eau non navigables et non flottables appartient aux propriétaires des deux rives.

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» Si les deux rives appartiennent à des propriétaires différents, cha»cun d'eux a la propriété de la moitié du lit, suivant une ligne que l'on

(1) Cass., 19 mars 1890, Sir., 90, 1, 220. Comp. Cass., 20 avril 1886, Sir., 90, 1, 343.

(2) Son droit à l'usage de l'eau est absolu : il lui permet d'irriguer un fonds ne bordant pas l'eau courante, même de faire mouvoir une usine sur un fonds éloigné: Cass., 17 janv. 1888, Sir., 88, 1, 149.

(3) Faudrait-il lui reconnaitre le droit exclusif de tirer de la rivière, le limon, les sables, les galets et graviers? Nous serions assez porté à l'admettre; Contrà jurisprudence Pau, 13 juin 1890, Sir., 91, 2, 210.

(4) Cass., 4 mai 1887, Sir., 87, 1, 321.

(3) Comparez le texte du projet voté par le Sénat en 2e lecture: Journal officiel, 1883, p. 868 et suiv., 899 et suiv., 922 et suiv., 1217 à 1220.

» suppose tracée au milieu du cours d'eau, sauf titre ou prescription » contraire.

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Chaque riverain a le droit de prendre dans la partie du lit qui lui » appartient tous les produits naturels et d'en extraire de la vase, du »sable et des pierres, à la condition de ne pas modifier le régime des »eaux et d'en exécuter le curage conformément aux règles établies par » le chapitre 3 du présent titre ».

1199. La rivière, prise dans l'ensemble de son cours, présente utilité à tous les propriétaires dont elle traverse ou borde les propriétés, en même temps qu'elle sert comme force motrice à un grand nombre d'industriels; de là des conflits d'intérêts s'élevant très souvent entre ces diverses classes de personnes. Le soin de les prévenir revient à l'autorité administrative, de qui relève la police de tous les cours d'eau et qui peut prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter le libre écoulement des eaux; elle peut faire des règlements destinés à assurer le meilleur mode de jouissance et de distribution de l'eau, en respectant les droits acquis des intéressés.

Quand des difficultés se produisent entre les divers intéressés sur l'étendue de leurs droits respectifs, c'est à l'autorité judiciaire qu'il appartient de les trancher; les tribunaux doivent se guider dans cette mission d'après les conventions particulières (1) s'il en existe, d'après les décisions judiciaires, les règlements d'eau et, à défaut, ils doivent toujours chercher «... à concilier l'intérêt de l'agriculture avec le respect dû à » la propriété... » (art. 645, C. civ.).

C. De la servitude organisée par l'article 640 du Code civil et des eaux pluviales.

1200. « Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus » élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la » main de l'homme y ait contribué..... » (art. 640, C. civ.). Le législateur s'occupe ici des eaux naturelles, c'est-à-dire de celles à la production desquelles l'homme reste étranger: ce sont les eaux de source, de pluie et d'infiltrations. Le propriétaire du fonds supérieur peut les laisser couler naturellement sur le fonds inférieur, et la nature des lieux établit entre ces fonds des relations analogues à celles qu'une véritable servitude ferait naître.

1201. Les eaux de pluie sont des res nullius; tout propriétaire a le droit de réunir, de rassembler chez lui les eaux de pluie et eaux natu

(1) Si l'usage de l'eau repose sur des titres, sur une possession légale ou sur des règlements, les juges qui le modifieraient commettraient un excès de pouvoirs, Cass., 19 déc. 1887, Sir., 88, 1, 149. Comp. Cass. req., 23 mars 1891, Dall. pér., 91, table générale. Vo Servit., no 12.

relles, pour les affecter aux besoins de l'agriculture et de l'industrie. En se les appropriant, il les transforme, elles deviennent sa propriété, il peut en user à sa volonté, les céder à un tiers. Mais alors ce ne sont plus des eaux naturelles, et il ne peut forcer le voisin, le propriétaire du fonds inférieur, à les recevoir.

Ce dernier, en effet, n'est astreint à recevoir que les eaux naturelles qui s'écoulent naturellement du fonds supérieur, c'est-à-dire les eaux provenant de sources, pluie ou infiltrations; s'il s'agit d'eaux à la réunion ou à la production desquelles l'homme a pris part, par exemple, l'eau provenant de citernes, étangs creusés de main d'homme, puits artésiens (1), l'obligation de les recevoir cesse pour le propriétaire du fonds inférieur, au moins comme conséquence de l'article 640 (C. civ.). Obliger un propriétaire à retenir et à garder chez lui les eaux s'écoulant naturellement sur son sol, provenant de pluies, ou des fontes de neige, était impossible; aussi fallait-il créer la servitude que nous expliquons, mais il était juste de la restreindre aux eaux à la production ou à la réunion desquelles l'homme était resté étranger; pour ces dernières, le propriétaire qui les a réunies doit en supporter les inconvénients: il n'avait qu'à ne pas les réunir ou, les réunissant, à les absorber. Légalement le propriétaire du fonds inférieur n'est pas obligé de les recevoir, à moins qu'il n'y soit tenu comme conséquence d'une servitude à sa charge constituée par le fait de l'homme, ou qu'il n'y ait droit en vertu d'une servitude active stipulée à son profit.

1202. « ... Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue » qui empêche cet écoulement... » (art. 640, C. civ.). Le propriétaire du fonds inférieur doit, avec les eaux, recevoir les sables, terres que les eaux entraînent, et s'abstenir de tout travail de nature à entraver l'exercice normal de la servitude. Il faut, en effet, généraliser la solution de notre article tous travaux, de quelque nature qu'ils soient et qui auraient pour objet d'arrêter ou d'entraver le libre écoulement des eaux du fonds supérieur, sont interdits au propriétaire du fonds inférieur (comp. art. 701, C. civ.), et le propriétaire du fonds supérieur aurait action pour les faire enlever (action réelle ou action possessoire). «... Le proprié»taire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds » inférieur » (art. 640, C. civ.). Ce principe est de Droit commun en matière de servitude, et il a été posé par l'article 702, à propos des ser

(1) Suivant le projet relatif au régime des eaux voté par le Sénat, ce principe se trouverait modifié: «< lorsque par des sondages ou par des travaux souterrains » un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir, mais ils ont droit à une indemnité en cas de dom»mage résultant de leur écoulement; les maisons, cours et jardins, parcs, enclos » attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la » servitude d'écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents ».

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vitudes résultant du fait de l'homme. Si le principe est certain, comment faut-il l'appliquer? Il ne faut pas hésiter à interdire au propriétaire supérieur tout travail qui aurait pour objet exclusif de modifier l'écoulement naturel des eaux, comme de faire des fossés réunissant l'eau en un point donné avec le caractère de flumen. Mais, comme son droit de propriété lui confère la libre administration de sa chose, tout travail qui aura pour objet la perception des fruits, et sera dans ce but indispensable, aurait-il pour objet de modifier le libre écoulement des eaux, sera permis, et ne tombera pas sous le coup de notre article (1). C'était là la distinction acceptée par les jurisconsultes romains: elle est trop en rapport avec la nature même des choses et l'équité pour ne pas l'accepter (2).

1203. Deux lois particulières ont apporté au principe de l'article 640 des dérogations: 1o la loi du 29 avril 1845, article 2, autorise le propriétaire qui a irrigué ses propriétés à faire écouler les eaux provenant de l'irrigation à travers les fonds inférieurs. Cette servitude existe au regard de tous les fonds inférieurs, à l'exception des cours, bâtiments, jardins et enclos; elle donne lieu à leur profit à une indemnité pour la fixation de laquelle il faut tenir compte de l'avantage que l'eau peut procurer à ces fonds; 2o une loi du 15 juin 1854 sur le drainage contient une exception de même nature à l'article 640, en autorisant tout propriétaire qui a drainé ses propriétés à obtenir, moyennant indemnité, des fonds inférieurs, le droit de faire passer les eaux provenant des drains établis sur son fonds.

1204. En étudiant la portée de la servitude organisée par l'article 640 (C. civ.) entre le fonds supérieur et le fonds inférieur, nous avons dit un mot des Eaux pluviales: il est bon d'insister un peu sur ces eaux et sur les droits qui peuvent être constitués à leur occasion.

Les eaux pluviales sont celles qui tombent du ciel, et qui, n'étant pas absorbées par les terres, coulent à la surface du sol « aquam pluviam dicimus quæ de cœlo cadit, atque ex imbre excrescit » (3). Ces eaux ne sont départies à nul individu plutôt qu'à d'autres; leur usage appartient à celui qui les fera siennes par l'occupation.

Distinguons, pour étudier les conséquences de ce principe, les cas où les eaux sont tombées sur un terrain particulier, ou bien sur une chose du domaine public.

§ 1.

Eaux pluviales tombées sur le sol d'un particulier.

1205. Si les eaux pluviales sont tombées sur un sol privé, le propriétaire de l'héritage qui les a reçues est le premier occupant, à l'exclu

(1) Cass. req., 19 avril 1886, Sir., 90, 1, 467 et jurisprud. antérieure.

(2) Comp. fr. 1, §§ 3, 4, 5, 6, 7 et 8, Dig. liv. 39, tit. 3, de aqua et aquæ pluviæ arcendæ.

(3) Fr. 1 prin. Dig. De aquâ et aquæ pluviæ arcendæ (lib. 39, tit. 3).

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