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sion de tous autres: il peut donc retenir les eaux, se les approprier, les utiliser, comme il lui plaira, les réunir dans des puits ou citernes, les céder à des tiers, etc. Le projet de loi sur le régime des eaux a cru nécessaire de poser le principe en tête de l'article 641 (C. civ.) : « Tout propriétaire a le droit d'user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds... » Et dans ce cas il perd le droit de forcer le voisin inférieur à les recevoir. S'il ne les utilise pas, il doit les laisser s'écouler naturellement sur le fonds inférieur; l'article 640 (C. civ.) s'applique pour déterminer les relations qui s'établissent, à l'occasion des eaux pluviales, entre le fonds sur lequel elles tombent, et le fonds inférieur.

§ 2.

Eaux pluviales tombées sur une chose du domaine public.

1206. Les questions auxquelles peuvent donner lieu les eaux, à propos des chemins, rues et places du domaine public, sont nombreuses et délicates, et il ne saurait y avoir lieu, dans un livre élémentaire comme le nôtre, de les aborder toutes et en détail; tout au moins sera-t-il intéressant d'en donner un aperçu.

1207. En premier lieu, l'administration, pour prévenir la dégradation des routes et des grands chemins, fait pratiquer des rigoles pour en dévoyer les eaux pluviales et les rejeter soit sur les fonds adjacents qui sont plus bas, soit dans les fossés latéraux qui sont construits à côté, et quel que soit le dommage qui puisse en résulter pour les propriétés voisines, leurs propriétaires ne sont point recevables à s'en plaindre. Il y a donc là, dans les rapports de la voie publique et de l'héritage voisin, dérogation à l'article 640 du Code civil.

1208. En second lieu, il n'est pas permis au propriétaire riverain d'un chemin, place ou voie publique de rejeter sur ceux-ci des eaux, qui ne découleraient pas naturellement de son sol; on applique ici, au profit du chemin, la disposition de l'article 640 du Code civil, en faisant remarquer combien ces règles sont de nature à assurer la bonne tenue du chemin et en éviter les dégradations; le maire, au nom de la commune, pourrait exercer une action contre tout propriétaire, qui prétendrait rejeter sur la voie publique des eaux autres que celles que l'article 640 (C. civ.) autorise tout propriétaire du fonds supérieur à laisser couler sur le fonds inférieur.

Malgré le principe ci-dessus posé, on a toujours admis, depuis le Droit romain, qu'une exception devait être faite dans l'intérêt des constructions qui longent la voie publique ; l'article 681 (C. civ.) reproduit dans notre législation la règle du fr. 1, § 24, Dig. Ne quid in loco publico (lib. 43, tit. 8): « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux » pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique..... »; cette règle s'applique aussi bien à la ville qu'à la campagne ; c'est en effet

la destination des voies publiques d'assurer à tous les édifices construits sur leurs bords les conditions d'une bonne construction. La règle de l'article 681 (C. civ.) se justifie donc; mais elle n'en est pas moins une exception à la règle générale de l'article 640 (C. civ.), et, dans son application, il faut que le constructeur se conforme aux règlements municipaux relatifs à la chute de l'eau, provenant des édifices construits le long de la voie publique (1).

1209. En troisième lieu, et c'est le point qui a donné lieu au plus grand nombre de difficultés, à quelles règles sont soumises les eaux coulant sur la voie publique ?

Les eaux, coulant sur les places et voies publiques, se chargent des boues et détritus de toute nature et peuvent présenter par leur abondance et leur nature de sérieux avantages; aussi dans les pays où les eaux sont rares, se les dispute-t-on avec un certain acharnement (2).

Les eaux pluviales étant, de leur nature, res nullius, il résulte de là une double conséquence: 1o le droit pour la commune de s'en emparer en les occupant; personne n'a jamais contesté aux municipalités le droit de capter les eaux pluviales, de prescrire et faire les travaux nécessaires, pour leur donner la direction la plus convenable; 2o le droit de les céder à autrui, en concédant par voie de cession ou de bail, à une personne déterminée, l'usage exclusif des eaux pluviales découlant des chemins publics et places. Cette solution, bien que contestée par certains auteurs (3) et par la jurisprudence (4), nous paraît se justifier par les principes généraux du droit: a) les eaux pluviales, étant res nullius, personne n'a qualité pour s'opposer à l'aliénation qu'en ferait la commune, puisque personne ne peut invoquer de droits sur elles; or, de même que tout propriétaire a le droit de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds, la commune doit avoir le même droit; b) ce droit de disposition des eaux pluviales des rues et places se combine très bien avec les pouvoirs reconnus aux municipalités, relativement à la propreté,

(1) Faut-il appliquer la règle de l'article 681 (C. civ.) au cas de vente de terrains à bâtir, détachés d'emplacement plus considérable, le propriétaire ayant découpé son terrain par des voies d'accès; nous serions porté à répondre affirmativement, car ces voies d'accès jouent le rôle de voie publique, jusqu'à ce qu'elles prennent ce caractère. Mais, comme la jurisprudence (Cass. req., 3 juin 1891, Sir., 92, 1, 257) parait accepter l'opinion contraire, il sera bon d'introduire dans les ventes de terrain, que l'on aura sur les voies d'accès toutes les servitudes que l'on aurait sur les voies publiques.

(2) C'est ce qui explique les nombreuses décisions de jurisprudence rendues sur cette matière.

(3) Notamment Demolombe, Servitudes, t. I, no 116.

(4) La jurisprudence paraît ne reconnaître aux communes le droit de concéder les eaux pluviales découlant des voies publiques, que si celles-ci ont été préalablement captées. Comp. dans ce sens, Limoges, 1er juin 1870, Sir, 71, 2, 4 et arrêts antérieurs.

au nettoiement, à la salubrité et à la sûreté des passages, rues, places et voies publiques; c) enfin, l'entretien des voies publiques, étant dans bien des cas à la charge de la commune, il paraît équitable de lui laisser la faculté par la concession des eaux en découlant de se procurer quelques ressources particulières (1).

1210. Mais, dans la plupart des cas, l'administration ne fait aucune cession relativement aux eaux découlant des voies publiques; celles-ci se déversent des deux côtés de la voie et se rassemblent dans les fossés et rigoles qui la longent.

Quel est, dans ce cas, le droit des propriétaires riverains? Les eaux pluviales, étant res nullius, appartiennent au premier occupant; chacun des propriétaires riverains peut s'en saisir, à mesure qu'elles passent vis-à-vis de son fonds, pour les y attirer et les faire servir à son irrigation. Il faut considérer les rigoles latérales de la voie publique, comme de véritables cours d'eau, sur lesquels les propriétaires riverains seuls ont des droits à exercer (art. 644, C. civ. arg. anal.).

1211. Qu'arriverait-il, au cas où des riverains supérieurs n'auraient pas usé de la faculté légale de prendre les eaux à leur passage, et où des propriétaires inférieurs auraient fait des travaux sur les bords du chemin pour s'assurer l'usage des eaux pluviales, le maintien de cet état de fait pourrait-il être invoqué par le riverain inférieur, comme de nature à lui assurer à titre privatif l'usage desdites eaux? Il faut remarquer que lorsque la loi ouvre une faculté légale à une personne, celle-ci ne compromet en rien ces droits en n'en usant pas, lors même qu'à côté d'elle une autre personne, au profit de laquelle la même faculté légale existerait, se fùt empressée d'en user. Ainsi les choses se passent pour les droits des riverains sur les eaux courantes. D'un autre côté faire une emprise sur les rigoles longeant le chemin public et s'assurer par là le bénéfice de l'usage de l'eau ne saurait être, au regard de l'administration, qu'un acte précaire et de tolérance, ne pouvant créer aucun droit à son auteur, et n'en enlevant aucun à l'administration (art. 2232, C. civ.); de là il nous paraît résulter: que le propriétaire riverain d'une voie publique qui capte au passage les eaux en découlant n'acquiert, par les travaux faits sur la voie publique, aucun droit privatif aux dites eaux, au détriment des propriétaires supérieurs: sa possession ne peut servir de base, ni aux actions possessoires ni aux actions en revendication d'un droit exclusif de propriété ou de servitude (2).

Cette situation serait changée et l'usager pourrait se protéger contre les tiers par action possessoire ou en revendication de l'usage de l'eau:

(1) Proudhon, Traité du domaine public, tome IV, no 1336 à 1338. Daviel, Des cours d'eau, t. III, no 802. Pardessus, Traité des servitudes, t. VII, no 79.

(2) Cass. civ., 13 janvier 1891, Sir., 91, 1, 302 et Cass. req., 18 déc. 1866, Sir., 68, 1, 28 et nombreux documents de jurisprudence antérieurs.

1° si son droit reposait sur une concession desdites eaux à lui faite par la commune (1); et 2o au cas où entre les riverains serait intervenu un accord sur l'usage des eaux pluviales découlant de la voie publique (2) ; cet accord ne peut être opposable, à aucun titre, à la commune, mais il fixe la situation respective des riverains.

Telles sont les seules explications relativement à cette matière des eaux qu'il nous a paru utile de fournir, renvoyant aux ouvrages spéciaux pour des détails plus complets.

II. DU BORNAGE (art. 646, 647 et 648, C. ciy.).

1212. La loi range ici parmi les servitudes les obligations que le voisinage fait naître entre propriétaires, et parmi ces obligations l'une des plus importantes est de ne pouvoir refuser le bornage. Le bornage est le fait de fixer par des signes apparents la limite entre deux propriétés contiguës; il se présente alors comme un acte de bonne administration, ne fait que prévenir des empiétements possibles et souvent s'établit suivant la possession des propriétaires voisins ou de leur consentement réciproque. L'action destinée à arriver au bornage est une action réelle, puisqu'elle sert de sanction à un droit que le législateur place parmi les services fonciers (art. 526, C. civ.). Il en résulte qu'il faut la porter devant le Tribunal de la situation des biens; et la loi du 25 mai 1838, sur la compétence des juges de paix (art. 6, ali. 2o), en a formellement attribué la connaissance au juge de paix. Mais cette compétence n'est maintenue que lorsque le bornage se fait suivant la possession des parties, ou sur des titres à appliquer, non contestés. La difficulté à résoudre est simple dans ce cas, et l'on s'explique que l'on ait proclamé la compétence du juge de paix. Cette action peut être intentée par le propriétaire lui-même et par tous ceux qui ont sur la chose des droits de jouissance ou d'administration. L'usufruitier, le tuteur pour les biens du pupille, le mari pour les biens de sa femme sous le régime de communauté peuvent exercer l'action en bornage.

Mais souvent cette action cache une véritable action en revendication; il s'agit alors de rechercher qui est propriétaire et de fixer les limites de deux propriétés limitrophes : les titres à appliquer sont contestés. L'action en bornage doit être assimilée à une véritable action en revendication; elle est de la compétence du Tribunal civil et n'appartient qu'au propriétaire ayant la disposition de sa chose. Ce n'est pas de celle-ci qu'il est question dans les articles 646 à 648 (C. civ.).

1213. « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de » leurs propriétés contiguës... » (art. 646, C. civ.). C'est là une obliga

(1) Cass. req., 21 mars 1876, Sir., 76, 1, 359.

(2) Cass., 7 juillet 1845, Sir., 46, 1, 33.

tion que le voisinage fait naître; elle n'existe qu'à l'occasion de propriétés contiguës, c'est-à-dire se touchant par leurs extrémités; si elles étaient séparées par un chemin ou un ruisseau, il n'y aurait pas lieu au bornage. Il est des biens à l'occasion desquels on suit des règles spéciales, par exemple pour les forêts (comp. art. 8 à 14, C. for.).

«... Le bornage se fait à frais communs » (art. 646, C. civ.); il n'y aura donc pas à proportionner les frais à l'importance des propriétés voisines. Le bornage présente à chaque propriétaire les mêmes avantages prévenir les empiétements; il est donc juste d'en partager les frais entre eux; ces frais sont ceux auxquels le bornage proprement dit donne lieu, c'est-à-dire les frais pour achat ou fabrication de bornes, pour leur plantation, pour l'arpentage quelquefois nécessaire, etc. Mais quant aux autres frais de l'instance, il faut les faire supporter conformément à la règle de l'article 130 du Code de procédure civile: la partie qui succombe est condamnée aux dépens.

1214. Le législateur proclame ensuite pour chaque propriétaire le droit de se clore; ce droit est une conséquence du droit de propriété dont il est investi; il doit avoir le pouvoir de se protéger contre les dommages de toute nature. Ce droit ne cesse que si le propriétaire l'a abandonné directement ou indirectement: on peut avoir pris, vis-à-vis d'un autre fonds l'engagement, à titre de servitude réelle, de ne pas se clore (art. 686, C. civ.). Dans ce cas, les droits de la propriété ne sont plus intacts dans les mains du propriétaire : il ne peut pas se clore au mépris de la servitude réelle qui frappe son fonds.

L'abandon indirect résulte de l'obligation où l'on est de fournir un passage à une personne déterminée (art. 682, C. civ.) «...... sauf l'ex» ception portée en l'article 682 » (art. 647, C. civ.); ce qu'il faut entendre en ce sens que l'on peut se clore, mais en laissant un libre accès au titulaire du droit de passage pour l'exercice de la servitude dont il est investi. (Porte, avec clé à remettre au voisin enclavé, etc.)

1215. N'en sera-t-il pas de même au cas où existent des droits de parcours et vaine pâture, et le propriétaire de la commune où ces droits existent ne perd-il pas le droit de se clore?

Dans l'ancien Droit, il en était ainsi, et aussi à cause du droit de chasse dont était investi le seigneur; mais aujourd'hui ces principes sont

modifiés.

Le droit de chasse n'existe plus; on n'a le droit de chasser que sur le fonds dont on a la propriété ou sur le fonds d'autrui avec assentiment du propriétaire.

Quant aux droits de vaine pâture et parcours, ils ne portent aucune atteinte au droit de se clore: « Le propriétaire qui veut se clore perd » son droit au parcours et vaine pâture, en proportion du terrain qu'il »y soustrait... » (art. 648, C. civ.).

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