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celier Oxenstiern, Charles XI et mème Gustave III, en réorganisant successivement la constitution de leur pays, aient oublié d'y marquer la place d'une bourgeoisie véritable, cela se conçoit facilement; mais que les auteurs de la constitution de 1809, après avoir vu ce que le tiers état venait d'accomplir en France, n'aient pas reporté leurs regards sur leur patrie, et n'y aient pas vu un élément semblable avide de droits et d'existence politique; c'est ce qui est vraiment inexplicable. L'absence de la vie féodale, qui a tant contribué au développement des institutions municipales; la sévérité du climat, qui a toujours réprimé l'accroissement de la population; l'immense étendue de la Suède, où trois millions d'hommes se trouvent éparpillés sur une surface de seize mille lieues carrées toutes ces causes ont dû nécessairement retarder la formation d'une classe moyenne, riche, éclairée, compacte et indépendante. C'est peut-être à son absence prolongée que l'on peut attribuer la stérilité de la gloire militaire de la Suède. Mais enfin aujourd'hui elle s'est formée, et son développement, si naturel au temps où nous vivons, prend chaque jour un caractère plus imposant. Toutefois, elle ne possède encore aucun droit politique, et se trouve totalement exclue de la représentation nationale. Composée de tous les puînés des familles nobles, de tous ceux qui ne se sentent pas de goût pour les fonctions ecclésiastiques ou pour le négoce, et qui n'ont pas travaillé à la terre de leurs mains, on comprend facilement qu'elle forme la partie la plus éclairée de la nation; on comprend encore que tous ces hommes vivant de leurs rentes, propriétaires de mines, d'usines et de grands établissements industriels, ou voués aux sciences et aux arts, se sentent blessés au vif par un ordre de choses qui reproduit au sein de la diete cette scrupuleuse distinction de rangs et de castes, que l'esprit nouveau tend chaque jour à diminuer

dans le corps social lui-même. On comprend surtout qu'ils ne ressentent ni amour ni respect pour une constitution qui a refusé le pouvoir législatif à la nation entière pour ne le confier qu'à des fractions artificielles et incomplètes; qui appelle le citoyen à concourir au gouvernement de son pays, non pas parce qu'il est Suédois, mais parce qu'il est noble, prêtre, marchand ou paysan. C'est à réparer ce vice radical de la constitution, aussi dangereux qu'il est injuste, que devraient s'appliquer tous les efforts des législateurs suédois ; mais c'est à quoi ils n'ont guère songé pendant la diète de 1828 à 1830.

A ces causes premières de mort politique on peut en ajouter plusieurs autres secondaires. En faisant entretenir les députés aux trois ordres non nobles par leurs commettants, on a trouvé un excellent moyen d'inspirer au peuple une répugnance, au moins égale à celle de l'administration, pour les diètes extraordinaires, et de rendre la représentation nationale à charge au pays. La pauvreté de la masse vraiment indépendante des nobles les éloigne de la diète, qui se tient dans la capitale où la vie est chère, et où en revanche se trouvent une foule de nobles que leurs emplois y rendent stationnaires. De plus, que l'on se figure une presse périodique presque annulée par des lois oppressives; point de communications littéraires ni politiques avec l'étranger; presque point de relations intérieures à cause du petit nombre de villes et de la difficulté des transports; un aveugle respect pour tout ce qui émane de l'autorité; un inconcevable amour des places; enfin un manque de vie politique tellement complet qu'une organisation provinciale et municipale aussi libérale que possible est totalement négligée par les habitants, et livrée par pure insouciance aux mains de l'administration: que l'on se figure toutes ces circonstances,

et l'on aura une idée assez juste des obstacles qui s'opposent en Suède au développement d'un esprit public et d'une liberté constitutionnelle.

Si, après avoir parcouru cette triste énumération, on venait à apprendre que dans ce pays il existe cependant un esprit public, que l'amour d'une liberté séculaire y a survécu à toutes les révolutions, qu'au milieu de ces innombrables difficultés, qui semblent ne devoir inspirer que le silence et le découragement, tout n'est pas devenu la proie de ce découragement et de ce silence, certes on aurait lieu non-seulement de s'étonner, mais encore d'ouvrir son cœur à ce sentiment d'orgueil et de bien-être moral qu'inspire toujours un noble effort de nos semblables.

Ce sentiment, ceux qui s'intéressent à la Suède peuvent se le permettre l'amour du bien public s'est maintenu plein de vie et de force dans quelques cœurs intrépides; le zèle du progrès, l'attachement à l'intérêt moral de la patrie n'ont point succombé sous l'influence réunie des lois et des mœurs. Il est en Suède un groupe de paysans et de nobles fidèles depuis longtemps à ce qu'ils regardent comme le bien de leur pays, fidèles surtout à l'esprit de régénération et de perfectionnement qui dut, selon eux, présider à la révolution de 1809. De nombreuses défections ont éclairci leurs rangs; le dégoût et le découragement diminuent tous les jours leur nombre. Dans la masse de la nation, ils ne trouvent point d'appui; leurs propositions sont toujours rejetées, leurs espérances toujours trompées; mais à chaque diète ils reparaissent avec la même tristesse et la même constance. Dans un pays où l'influence de la cour et de l'administration enlace dans ses ramifications immenses tous les rangs et toutes les professions, où il n'y a ni journaux estimés, ni réunions politiques, ni encouragements quelconques; où nulle part ne retentissent ces témoignages de la publique reconnaissance

qui consolent quelquefois d'une opposition stérile; où l'on en est encore à regarder comme des perturbateurs de la paix et de l'ordre ceux qui tiennent l'oeil ouvert sur la marche du gouvernement; où la silencieuse estime du peuple proteste à peine contre des mépris officiels : dans un tel pays, il y a vraiment du mérite à persévérer dans la pénible carrière des fonctions législatives. C'est donc à juste titre que nous croyons pouvoir réclamer un peu de bienveillance et d'intérêt pour quelques Suédois intègres, qui ont su braver les innombrables difficultés de leur position, et sacrifier mille considérations personnelles au devoir de venir tous les cinq ans élever une voix isolée et à peine écoutée contre la marche du pouvoir. En France, où l'opposition offre maintenant tant d'attraits, mais où elle a vu mainte fois aussi ses intentions. calomniées, ses efforts méconnus, un sentiment à la fois de générosité et de douloureuse sympathie doit faire battre nos cœurs en songeant à ces patriotes du Nord, dont la gloire est peut-être d'autant plus pure qu'elle est moins appréciée, et qui travaillent avec nos idées nouvelles à rendre au nom suédois son antique éclat.

Au premier rang de ces hommes remarquables est sans contredit Charles Henri, baron d'Anckarswærd. Fils du maréchal de la diète, qui présida à la révolution de 1809, il a défendu sans cesse les principes de cette révolution comme un héritage sacré; on l'a toujours vu, le. premier sur la brèche, quand il s'est agi de défendre les libertés ou l'honneur de la Suède, soutenir avec une rare éloquence une lutte qui ne lui offrait pas la plus faible perspective de succès, et s'associer autant par ses écrits que par ses discours aux intérêts méconnus et oubliés qu'il s'est chargé de revendiquer. Ce n'est pas sans émotion que nous entreprenons de faire connaître ici cet orateur, qui nous a quelquefois rap

pelé les grandes illustrations du parlement britannique. Il est possible que nous soyons coupables de partialité à son égard tout Français doit ressentir un intérêt particulier pour celui qui en 1813 encourut une disgrâce qui n'a point cessé, pour avoir plaidé avec trop de chaleur la cause de la France menacée par l'Europe. Et puis, il se peut que nous ayons conservé une affection spéciale pour celui qui le premier nous offrit à Stockholm le spectacle d'un caractère intrépide et prononcé, et dissipa ainsi la tristesse que nous avait inspirée un premier coup d'œil jeté sur la Suède politique. Le lecteur pourra modifier son jugement sur ces aveux; mais, quant à nous, nous ne saurions nous interdire ce faible hommage à des talents qui ont commandé notre admiration, à des vertus qui ont droit à notre sympathie.

Malheureusement l'opposition, quel que soit son courage et son talent, n'est que fort peu redoutable pour le gouvernement. L'administration de la Suède n'a changé ni de principes, ni de chefs depuis 1812, quand éclata la rupture entre Napoléon et Bernadotte. Depuis cette époque, ses adversaires lui reprochent dans sa politique extérieure une tendance exclusive à se laisser guider par la Russie; dans sa marche intérieure, une aversion constante pour tout ce qui tient à l'esprit nouveau, pour tous les changements propres à développer et appliquer l'ordre d'idées qui produisit l'incomplète réaction de 1809. Mais toutes les diètes qui se sont succédé depuis lors se sont montrées plus ou moins favorables à ses intentions, et les tentatives d'opposition d'une apparence assez énergique ont presque toujours fait place à une complaisance habituelle.

La diète de 1828 semblait surtout promettre au ministère une alliée fidèle. L'administration avait, disait-on, entre les mains des ressources qui devaient lui assurer une domination.

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