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paisible et certaine sur chacun des quatre ordres en particulier. A la noblesse, elle pouvait offrir pour appât un plan formé depuis longtemps pour augmenter les traitements de tous les fonctionnaires, ce qui lui assurait le suffrage de tous ceux dont elle ne disposait pas déjà par l'amovibilité. Si le clergé s'était avisé, contre ses anciennes habitudes, de se roidir contre les volontés du pouvoir, on n'avait qu'à se montrer un peu enclin à admettre un changement, réclamé par certains novateurs, et qui tendait à substituer un traitement fixe soldé par le trésor, aux dîmes et aux rentes foncières dont jouit l'église de Suède. De même l'on avait pour contenir les bourgeois-négociants le grand épouvantail de la liberté commerciale et industrielle, et l'abolition possible des prohibitions et des corporations, réformes excessivement redoutées par la majorité de cet ordre. Enfin quant aux paysans, il y avait eu fort peu d'anciens membres réélus et l'on pouvait compter assez sur l'inexpérience des nouveaux venus pour gagner les uns et fatiguer les autres; de sorte que quand même le gouvernement ne se fût pas assez fié à son influence morale et à la conscience du bien qu'il disait avoir fait au pays, il avait le droit de concevoir d'autres espérances. Nous terminons ici ces réflexions préliminaires pour entamer la narration des principaux événements de la diète.

Le 4 novembre 1828, jour fixé par le récès de la diète de 1823, le roi d'armes de Suède, escorté de quatre hérauts d'armes et d'un détachement de cavalerie, parcourut à cheval les rues de Stockholm, et à chaque carrefour il proclama, à son de trompe, que les quatre États du royaume étaient convoqués au château royal le 15 du même mois, pour assister à la séance royale d'ouverture.

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Riksdagsbeslut, c'est-à-dire résumé officiel des principales mesures adop tées par les États.'

Le même jour le roi, en vertu du droit qui lui est conféré par la loi fondamentale, déposa entre les mains de M. le comte de Geer le bâton d'argent de maréchal de la diète, ou orateur de l'ordre des nobles. Ce seigneur, qui avait déjà rempli ces hautes fonctions à la diète de 1823, se rendit aussitôt au palais des nobles où il se réunit à six de ses collègues, fit avec eux l'appel nominal de toutes les familles nobles existantes, et dressa une liste des chefs de famille et fondés de pouvoir qui se présentaient pour siéger à la diète actuelle.

La vérification des pouvoirs des trois autres ordres, dont les députés avaient été élus six semaines avant le jour fixé pour la convocation, se fit en même temps par le ministre d'État de la justice, fonctionnaire inamovible, assisté des commissaires permanents de chaque ordre auprès de la banque et du comptoir de la dette publique. On reconnut que le nombre des députés présents était fort inférieur au nombre fixé par la loi. L'ordre du clergé n'avait que cinquante-huit membres au lieu de soixante-seize; celui des bourgeois quarante-cinq au lieu de cent cinq; celui des paysans cent dixneuf au lieu de deux cent trente-six. Pour les deux derniers ordres, cette différence provenait du grand nombre de villes et de cantons qui s'étaient réunis pour nommer un seul député. Anders Danielson, paysan célèbre par son éloquence et son indépendance, avait été élu à la fois par vingt et un cantons 2.

Quant à la noblesse, il ne s'y trouvait que quarante-huit comtes, quatre-vingt-neuf barons et trois cent cinquante

'Dont trente et un bourgmestres et conseillers municipaux nommés par le roi sur la présentation des villes, et quatorze négociants non revêtus de charges municipales.

2 Comme ces diverses assemblées électorales, en réunissant leurs suffrages sur un même individu, ne sont pas dispensées du payement des frais d'entre

quatre simples gentilshommes. Ce nombre resta à peu près le même pendant toute la durée de la diète. Ceux d'entre les membres qui, fatigués par la longueur et l'inutilité de la session, repartaient pour leurs terres, étaient remplacés par d'autres nobles qui venaient passer quelques semaines dans la capitale, faisaient acte de présence à la chambre, et s'éclipsaient bientôt en cédant leur place à de nouveaux collègues.

Les employés du gouvernement sont naturellement les plus fidèles à leur poste, et sur ce total de quatre cent quatrevingt-un membres, cent quatre-vingt-deux étaient revêtus de fonctions amovibles. Des trois cents autres on peut hardiment affirmer qu'il n'y en avait pas cinquante qui ne fussent pas revêtus de quelque fonction civile ou militaire. Il est vrai qu'en Suède tous les employés au-dessous du rang de colonel et de gouverneur de province sont inamovibles, mais l'espoir de l'avancement et l'influence des chefs amovibles doit nécessairement agir sur tous.

Le 15 novembre, le roi et les quatre ordres, après avoir entendu un service solennel et un sermon à la cathédrale, se rendirent processionnellement à la salle des États, au château. Charles-Jean, vêtu d'un manteau royal, l'antique couronne des Wasa sur la tête et le sceptre à la main, alla s'asseoir sur un trône d'argent, cadeau fait à la reine Christine par son amant Lagardie. Tout le monde étant debout, le prince royal placé à la droite de son père, lut le discours du trône qui commençait ainsi :

« Bons Seigneurs et hommes suédois, depuis la séparation des états généraux, notre administration a suivi son mouvement régu

tien qu'elles devraient à leur député, s'il leur appartenait exclusivement, les contributions de ces vingt et un cantons furent dévolues de plein droit à Danielson qui s'est trouvé ainsi, pendant toute la durée de la diète, en possession d'une fortune vraiment colossale à ses yeux et à ceux de ses collègues.

lier, et nos relations extérieures se sont maintenues, basées sur des traités qui ont établi l'ordre de choses existant en Europe. Cet ordre ne peut recevoir la moindre atteinte sans que la sécurité des souverains et des peuples n'en soit ébranlée.

« La naissance de mes deux petits-fils, en remplissant les vœux de mon cœur, assure à la presqu'île la continuation des sentiments de respect pour ses lois fondamentales dont j'ai constamment donné l'exemple. Je l'ai reçu avec l'adoption du roi Charles XIII, de glorieuse mémoire; je conserverai fidèlement l'héritage que m'a transmis mon père, votre souverain légitime'. Vous jouissez de tous les biens acquis. La loi, la liberté et la justice marchent ensemble. Ces avantages sont le résultat de l'union des citoyens, de leur dévouement et de leur fidélité pour les institutions qu'ils se sont données. Le comité secret, que je convoquerai, aura connaissance des démarches qui ont été faites pour détourner même l'apparence la plus éloignée d'en méconnaître la sainteté 2. »

Puis le monarque faisait aux États un tableau de la situation florissante des finances du royaume qui laissait un surplus de cinq millions d'écus (environ onze millions de francs); il annonça que le nouveau projet de code civil était achevé, déclara que les travaux relatifs aux routes, aux canaux, au curage des rivières, marchaient avec succès, et après avoir réclamé des améliorations pour l'armée, il termina par ces mots :

« Représentants de la nation, remplissez vos honorables fonctions. Appliquez-vous à perpétuer cette douce liberté qui met cha

1 On se rappelle que, lorsque Gustave IV fut détrôné et sa postérité exclue du trône en 1809, les États appelèrent au trône son oncle Charles XIII qui adopta, en 1810, le maréchal Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, que les États avaient élu Prince royal.

2 Cette phrase fait allusion aux prétentions élevées par le prince Gustave, fils de Gustave IV, auprès de diverses cours de l'Europe pour conserver le titre de Prince de Suède. Le roi Charles-Jean protesta avec véhémence contre cet acte et soumit au comité secret, élu par les États, sa correspondance avec les souverains alliés de la Suède.

Par un arrangement récent, le prince Gustave s'intitulera désormais prince de Wasa. Il est actuellement général-major au service autrichien.

que citoyen à couvert de l'oppression, sans empiéter sur l'autorité du monarque. Aidez le gouvernement dans ses projets d'utilité publique; songez qu'il ne peut jamais maintenir la dignité nationale sans votre coopération. Sous votre surveillance permanente, il a conservé intacts, non-seulement le dépôt des garanties civiles, mais encore celui des droits politiques, sans la jouissance desquels il n'y a point de patrie pour nous. Nobles, clergé, bourgeois et paysans, nous formons ensemble le faisceau de l'État. Rendons-le indestructible. Je vous renouvelle, bons Seigneurs et hommes suédois, l'assurance de toute ma bienveillance royale. »

Le discours du roi terminé, le chancelier de la cour, fonctionnaire chargé spécialement des communications officielles entre le roi et la diète, lut un compte rendu de l'administration du royaume pendant les cinq dernières années. Ce compte rendu, dont la lecture dura deux heures, informait les États de toutes les opérations quelconques du gouvernement depuis leur dernière réunion. Il énumérait les traités conclus avec l'étranger, les nouvelles créations, les économies. effectuées, les améliorations introduites dans le régime des prisons, dans l'instruction publique, et contenait des détails exacts sur l'état des finances, de l'agriculture, du commerce, de la population'. Ensuite les orateurs des quatre ordres s'approchèrent successivement du pied du trône. Chacun d'eux lut au roi une adresse très-respectueuse et lui baisa la main. En même temps le chancelier de la cour lui remit le cahier contenant le budget proposé par le roi. Puis les nobles eurent l'honneur de défiler un à un devant le roi, en s'inclinant respectueusement; quand ils furent tous sortis, le roi salua les trois ordres inférieurs et quitta la salle; la séance fut levée.

On y voit que la population de la Suède, sans la Norwége, se monte à deux millions huit cent soixante mille âmes, nombre qu'elle atteignait à peine, en 1809, avant d'avoir perdu la Finlande.

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