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Gustave-Adolphe ', pour se faire solliciter tour à tour par Louis XIV et Marlborough. Mais en 1720, après tant de gloire et de puissance, la Suède se retrouve sans avoir conquis des institutions raisonnables, et sans avoir conservé, de toute la rive méridionale de la Baltique, autre chose qu'une chétive portion de la Poméranie. Toute pauvre et stérile qu'elle est, Gustave III veut la façonner sur le modèle de la France de Louis XV; le dix-huitième siècle s'y introduit à la voix du monarque, mais il oublie son enthousiasme démocratique et son désir d'une régénération sociale. Restée tranquille spectatrice de la révolution française, c'est au moment où l'esprit révolutionnaire s'éteint en Europe, que la Suède exclut la dynastie des Vasa et va prendre pour roi un enfant de la république mais les institutions qu'elle s'est données alors ressemblent déjà à celles d'un peuple vieilli dans la richesse et la corruption. On se demande avec tristesse ce que lui ont valu toutes ces apparitions brillantes sur la scène du monde? Elle qui a tant fait pour la liberté civile et religieuse de l'Europe, qu'a-t-elle fait pour la sienne? qu'a-t-elle rapporté de cette terre d'Allemagne si féconde en lumières, en généreuses pensées, et qu'elle a si longtemps foulée en maîtresse? Quel fruit a-t-elle retiré de sa longue et glorieuse lutte contre le despotisme civilisé de l'Autriche, et le despotisme barbare de la Russie? On dirait qu'une main toute-puissante l'ait faite pour la victoire et lui ait interdit la conquête.

Pourquoi cette triste fortune? Pourquoi cette stérilité du passé? C'est là une question que nous n'osons soulever, et à laquelle nous ne saurions répondre. Il nous convient seulement de constater que la Suède n'a rien gagné à se trouver tantôt en dehors, tantôt en arrière du mouvement européen,

Altranstadt près Lutzen, en 1708.

que les inconséquences de sa destinée ont été fatales à sa liberté comme à sa prospérité, et que l'Europe centrale aurait tort de lui envier des garanties pour la plupart illusoires, et une loi constitutionnelle qui consacre l'intolérance religieuse. On a d'autant plus le droit de déplorer ce funeste résultat, et de s'en étonner, que le peuple suédois est doué de toutes les qualités qui devraient lui assurer la possession d'une liberté raisonnable. Il a de l'instruction, et peu de besoins; la vertu du sacrifice lui est familière. Il possède au suprême degré cette précieuse qualité que madame de Staël a si bien définie, l'habitude du respect : la hiérarchie sociale, dont il subit les impérieuses exigences, n'est point l'objet de déclamations irréfléchies, ni de la haine secrète qu'inspire la vanité blessée. Plein d'une affectueuse estime pour son pays et ses aïeux, profondément attaché à ses vieilles mœurs, à ses vieilles croyances, le Suédois porte dans les relations de la vie politique et sociale, ce calme, cette gravité, ce maintien posé et sévère que nous envions à l'Angleterre. Si les hautes classes ont subi sous quelques rapports la désastreuse influence de la corruption du dernier siècle, si elles ont emprunté aux cours du Midi un luxe qui leur pèse, en revanche on retrouve souvent dans les classes moyennes et inférieures l'antique intégrité scandinave; et à la vue d'un paysan de Gothie, d'un mineur dalécarlien, on comprend que de pareils hommes ont pu naguère associer leur gloire aux plus belles époques de l'histoire européenne. Mais le temps n'est plus où l'on pouvait, en déployant des vertus guerrières, se faire pardonner la servilité ou la turbulence de la vie politique. Le caractère suédois, même dans sa pureté primitive, serait aujourd'hui un caractère incomplet; à moins que la Suède ne s'empressât de chercher un nouveau développement, et qu'elle ne voulût nous offrir le spectacle de l'application des formes franche

ment représentatives aux mœurs fortes et originales d'une nation agricole. L'entreprise serait curieuse, et digne d'un peuple célèbre dût-elle même échouer, mieux vaudrait encore cette défaite que son état actuel de langueur et de décrépitude.

Malheureusement, rien n'annonce que la Suède s'apprêté à suivre cette direction. Elle a fait, comme à son insu, quelques concessions à l'esprit du temps; mais ses législateurs ont pris toutes les précautions nécessaires pour que ces concessions ne se renouvellent pas, et elle est encore tout entièrë sous le joug du passé. Or, ce passé peut bien éblouir un étranger; mais il n'a légué aux Suédois qu'une triste série d'institutions enfantées, les unes, par les prétentions de l'insolente oligarchie que fonda Oxenstiern; les autres, par le despotisme de ce Charles XI, qui voulut être le Louis XIV de la Suède (1660-1698). La nation n'a point encore compris qu'en embrassant des idées et des croyances différentes de celles des générations éteintes, on peut se rendre digne d'elles et márcher sans rougir à leur suite. C'est la gloire de la vieille Suède qui écrase la Suède nouvelle; elle inspire aux uns une folle vanité, aux autres un découragement funeste, et le pays se débat contre ce passé dont il a consacré tous les abus, et dont il a perdu tout l'éclat '.

Pour atteindre le but que nous nous sommes proposé, celui d'exposer l'état actuel de la liberté en Suède, nous avons pensé que le moyen le plus simple et le plus rationnel était de tracer une narration fidèle des travaux qui ont marqué la

'La constitution qui régit actuellement la Suède conserve les formes représentatives qui ont de tout temps prévalu dans ce royaume; elle est du reste calquée en grande partie sur les diverses constitutions qui furent promulguées, en 1634, par le régent Oxenstiern, en 1682 par Charles XI, et en 1772 par Gustave III,

dernière session des états généraux, commencée à Stockholm, en novembre 1828 et terminée en mars 1830. Toutes les questions qui touchent aux grands intérêts du pays ont été ou débattues ou entamées pendant cet intervalle. Au milieu d'originalités bizarres, le lecteur français sera peut-être étonné de découvrir une conformité remarquable avec ses besoins et ses vœux; et peut-être aussi, dans le récit des actes de ces assemblées inconnues, trouvera-t-il plus d'un conseil utile et plus d'un avertissement salutaire. Quant à nous, nous nous abstiendrons de tout rapprochement; nous n'aurons en vue que la Suède. En rendant compte des principales discussions, nous tâcherons de donner une idée satisfaisante de la forme des délibérations et des dispositions réglementaires qui donnent un caractère national à l'organisation du pouvoir légis-latif. Nous devons d'abord donner quelques détails sur la composition de l'assemblée qui partage avec le roi l'exercice de ce pouvoir.

Les états généraux du royaume (Riksens stænde), rassemblés en diète (Riksdag), se divisent en quatre États ou ordres qui représentent autant de classes essentiellement distinctes dans la nation: la noblesse, le clergé, la bourgeoisie et les paysans.

Le premier des quatre ordres en dignité, en nombre, en lumières, est l'ordre équestre ou de la noblesse. Il est représenté à la diète par les chefs de toutes les familles nobles du royaunie, qui y siégent par droit d'hérédité et pendant leur vie entière: on compte actuellement douze cent soixanteseize familles nobles, dont deux cent quatre-vingt-neuf possèdent les titres de comte ou de baron. Le chef de la famille, en ligne directe et masculine, a seul le droit de siéger et de voter à la diète.

Le chef de famille entre en jouissance de ses fonctions

législatives à vingt-cinq ans accomplis. A vingt et un ans il peut déjà assister aux délibérations de l'ordre, mais sans y participer. Il peut se faire remplacer à la diète par un puîné de sa maison ou de toute autre famille noble, qui prend alors le nom de fondé de pouvoir, et possède toutes les prérogatives du chef de famille qu'il représente, sans être comptable envers lui de sa conduite. La couronne fait des nobles à volonté, et déjà elle n'use que trop largement de ce droit dont l'abus pourrait gravement compromettre l'indépendance et la considération de l'ordre.

Le clergé, par sa constitution et le mode d'élection de ses représentants à la diète, devrait être le plus indépendant des quatre ordres. Cependant il n'a résisté que bien rarement aux envahissements de la noblesse, et la couronne a toujours trouvé en lui un instrument docile. On dirait qu'il conserve encore le souvenir de son origine, et qu'il craint de se compromettre envers le pouvoir royal qui lui a donné l'existence, et dont le possesseur est chef visible de l'Église suédoise. En Suède, comme en Danemark et en Angleterre, l'État n'a pas osé embrasser le principe de la réforme avec toutes ses conséquences; en rejetant toute intervention étrangère, on a soigneusement conservé la hiérarchie du catholicisme: seulement, le roi s'est mis à la place du pape, et a concentré dans ses mains la double puissance temporelle et spirituelle. Ainsi se trouvèrent réunis tous les éléments de servilité; et, en évitant l'austère indépendance du calvinisme, l'autorité royale put substituer un synode humble et soumis à ce clergé catholique qui avait fait mainte fois preuve de liberté et de puissance.

Telles sont peut-être les raisons qui peuvent expliquer l'étrange docilité du clergé suédois et qui rendent dérisoires les mesures prises pour garantir son indépendance. Rien de plus démocratique en apparence que sa constitution. Dans la

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