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ment une doctrine spéciale fondée sur la révélation. Nous n'avons pas ici à en parler; mais, dans toutes les questions qui peuvent être décidées par la raison, nous dirons que l'autorité ne peut jamais faire taire la voix de la conscience, qu'elle ne peut en usurper les droits, sans dépouiller l'homme de sa moralité. On peut consulter sur ce point les Provinciales; on y verra avec quelle force de raisonnement Pascal foudroie la doctrine jésuitique connue sous le nom de probabilisme.

A considérer le principe moral dans sa pureté, il n'a de sentiment analogue que l'amour de la vérité, de l'ordre, de la vertu ; il règne souverainement dans la conscience, il y fait taire l'amour de soi, les affections sociales, l'amour-propre; il étonne la sensibilité, la nature; il la subjugue ou il la révolte. Tour à tour objet d'admiration et de scandale, il échappe aux règles communes, comme ces phénomènes extraordinaires qui ne peuvent être ramenés à aucune loi. L'humanité ne comporte pas de si généreux élans, des vertus si héroïques; elle les excuse à la suite des grandes crises morales; quelquefois elle les justifie et elle leur décerne l'apothéose, quand elle en a recueilli un grand bien. Mais parmi les éléments de notre constitution morale, la justice ne peut conserver son caractère inflexible et exclusif; comme la lumière qui traverse l'atmosphère, elle doit être tempérée par la sensibilité, dont elle doit elle-même régler les mouvements d'après les lois de la prudence, de la force et de la tempérance. La discussion de ces trois vertus et de la justice, qui les domine, doit être renvoyée à l'article MORALE. En bornant donc notre attention à la moralité et à ses trois parties, la connaissance du bien, la liberté qui le réalise et le sentiment qui en est le fruit, nous observons que celui-ci se fixe par l'exercice des deux autres, qu'il se convertit par l'habitude en vertu, qualité ou instinct, dont quelques philosophes ont voulu faire un sens particulier, mais qui, ne correspondant à aucun organe, ne peut être considéré comme tel sans abus de langage. Dans l'origine, le sentiment moral nait dans l'âme de la simple connaissance, l'induction l'étend, la réflexion y découvre le principe intellectuel, la raison le dégage et le proclame, la pratique de la raison le ramène à son mode primitif; et tel est le cercle que le sentiment moral parcourt dans la conscience, qu'il est la base de l'innocence lorsqu'il est spontané, et celle de la vertu lorsqu'il est le produit de la réflexion.

Entre ces deux extrêmes, le jugement et la liberté deviennent la condition de toute action morale. Dans l'état d'esclavage ou de servi tude, dans celui où l'homme lutte péniblement contre les besoins ou les passions, et

ENCYCL. MOD. T. X.

dans l'état de stupidité et d'ignorance où l'esclavage et quelquefois la vie sauvage le condamnent, il fait des actes matériels, il ne fait point d'actions morales. Si partant de ce point nous voulions faire l'échelle de la moralité, nous en marquerions les degrés selon la condition sociale, l'éducation, la religion, la profession, l'esprit patriotique, l'esprit de secte, de corps, de parti, etc., et nous observerions dans tous les individus une diversité de préjugés et d'habitudes dont l'influence s'exerce plus ou moins sur les lumières de la raison et les déterminations de la liberté. Toutes les ames ne naissent pas également propres à saisir la vérité morale, à recevoir les impressions de la justice. La plupart sont plus ou moins dominées par d'autres modes d'intelligence, d'activité, de sensibilité; mais lors même que, par leurs dispositions originelles, elles semblent le plus étrangères à toute moralité, elles peuvent y être rappelées par des considérations d'utilité, d'honneur, de bienfaisance, qui, dans les cas particuliers, s'éloignent do la justice', mais qui s'y réunissent dans leur plus grande généralité. Ainsi, les divers systèmes d'obligation morale trouvent leur application selon le tour d'esprit de chaque individu et son caractère. Ceux-ci sont plus touchés des raisons de prudence; ceux-là, des idées d'honneur, d'estime, de dignité; les uns, des motifs de bienveillance; les autres, de l'ascendant de l'autorité ou des préceptes de la religion; les cœurs droits et austères, des principes directs de la justice. Il ya dans les idées morales une infinité de nuances et de degrés qu'il est impossible d'apprécier : la conscience a bien des étages: les obligations ne sont pas les mêmes pour les intelligences élevées et les intelligences grossières, pour les âmes fortes ou généreuses, et les âmes laches ou timides, pour celles qui dominent leurs désirs et celles qui en sont dominées, et il faut dire que ces âmes et ces intelligences ne se comprennent guère, lorsque, transportées au-dessus des intérêts de la vie commune, elles ont à décider du bien et du mal. Les âmes fortes écartent les obstacles qui nous viennent des causes extérieures, les âmes austères ou modérées savent s'affranchir de ceux des causes intérieures; les esprits éclairés dégagent la raison des sentiments individuels qui l'enveloppent, les esprits vulgaires ne savent pas la dégager: elle n'est pour eux qu'un tout confus et concret, une lumière qu'ils ne peuvent qu'entrevoir à travers un nuage. Ces diversités disparaissent ou sont dissimulées dans les actions extérieures; elles ne sont parfaitement connues que de celui qui lit dans les consciences, et devant lequel nul n'est responsable que de la portion de jugement et de liberté dont il aura pu user, 20

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C'est dans les associations formées au sein de la grande société humaine, et ensuite de la société politique, que les fausses directions de la conscience ont la tendance la plus funeste dans les castes, les sectes, les factions, les partis, les coteries, l'humanité se rétrécit, le sentiment se localise, la justice s'obscurcit et s'affaiblit. A mesure que la société s'étend, les intérêts s'agrandissent, les sentiments s'épurent, et si le sentiment le plus moral du citoyen est l'amour de la patrie, le sentiment le plus moral de l'homme est l'amour de l'hu. manité. Le but que se propose l'esprit de faction, de secte ou de parti, n'étant point l'amour de la patrie et de l'humanité, il est obligé de recommander à ses adeptes deux maximes nécessaires à ses succès et à son existence: l'une, que les moyens illicites et criminels sont justifiés par la fin; l'autre, qu'il est permis de trahir la vérité et de l'immoler à la sainteté de la cause, d'agir d'une manière et de penser d'une autre, de faire une promesse et de songer intérieurement à ne pas la tenir, d'attester Dieu par un serment, et d'annuler ou d'éluder ce serment au fond de l'âme, d'avoir une conscience pour ses affiliés et une autre pour le public, de détruire par conséquent la vérité, la sainteté de la parole, et avec elles toutes les garanties de l'ordre social. Ainsi, la lumière destinée à guider notre moralité est employée à éclairer la marche d'un intérêt particulier, d'une passion secrète; ainsi, le fléau de la double conscience corrompt tous les sentiments légitimes, toutes les obligations, et la morale perd son caractère auguste pour revêtir celui des intérêts.

Cependant, en considérant les plaies faites à l'humanité par les funestes préjugés, les barbares institutions qui ont si longtemps présidé à la destinée des peuples, et qui couvrent encore de si vastes régions, combien l'ami des hommes ne doit-il pas se féliciter de voir une partie de l'Europe rendue aux droits imprescriptibles de la raison; les lumières de la civilisation répandues parmi les peuples; l'instruction propagée parmi les citoyens; la presse éclairant les esprits sur leurs devoirs et sur leurs droits; les communications rendues plus actives et plus étendues; l'intelligence et le travail mis en honneur; la bienfaisance pratiquée et excitée sous des formes nouvelles multipliées; les arts et les sciences cultivés avec une ardente émulation, ei leurs appli cations éveillant l'industrie et les talents dans les dernières classes; l'esprit du christianisme, ramené à la tolérance, à la charité, à l'instruction religieuse, à la persuasion, fortifiant dans les âmes pieuses le principe moral, et devenu un objet de respect pour les âmes irréligieuses, offrant à toutes les situations de la vie des consolations, et démontrant l'insuf

fisance de la raison par la nécessité de ses promesses. Tels sont les secours que chacun, selon sa condition, trouve autour de soi, pour remplir ses devoirs envers la conscience, pour l'éclairer, l'épurer, l'exercer, former les mœurs, perfectionner les lois, et préparer, par l'éducation et les institutions, l'union de la conscience politique et de la conscience publique.

Nous venons d'envisager la conscience sous le rapport de son objet et dans les jugements que nous portons de nos actions. Ceux que nous portons des actions d'autrui, n'étant liés qu'aux signes extérieurs de la conscience, n'appartiennent qu'indirectement à notre article, et seront plus convenablement placés sous les mots OPINION et JURY. Fixons maintenant l'il de la conscience sur elle-même : l'esprit bumain n'a pas seulement la faculté de réfléchir sur les produits de ses opérations, de décompo ser ses premières connaissances, d'y découvrir les éléments des sciences; il a celle de se réfléchir sur lui-même et d'y développer des sentiments, des dispositions, des penchants conformes à chacune de ses modifications. Concentré dans la sphère de la sensibilité physique et organique, il y développe l'amour de soi; dans celle de l'activité et de la liberté, l'amour-propre; dans celle de la sensibilité du cœur, la sympathie, les affections sociales; dans celle de la raison morale, la vertu, l'amour du bien; dans celle de l'intelligence, les goûts intellectuels. La conscience spéculative ou rationnelle embrasse ces mouvements divers de l'âme et ceux qui échappent à notre analyse. Son instrument est l'observation psychologique, qui plane sur tous les travaux de la pensée, par sa dignité, puisque son objet est la science de l'homme même; par son importance, puisque la recherche de toutes les vérités et de toutes les causes n'est jamais qu'une application de nos facultés; par son utilité, puisque la connaissance des lois que suivent nos facultés dans leurs opérations conduit à celle des principes fondamentaux des sciences et de leurs méthodes. Ainsi la philosophie ou l'étude de la nature, par la recherche des canses, est tout entière dans la psychologie, et la psychologie dans la conscience rationnelle. Nous nous abstiendrons donc ici de tout développement, et nous nous contenterons de que!ques rapides réflexions sur le témoignage de la conscience opposé à celui des sens, sur les qualités qui garantissent sa sincérité, sur les notions systématiques qui l'abolissent, sur les perceptions immédiates qui en assurent les déductions.

Le sentiment intérieur s'offre à nous comme le centre auquel se réunissent toutes les opé rations de nos facultés physiques, morales et intellectuelles, et où les connaissances qui

en dérivent reçoivent le titre de leur certitude et la conviction que nous leur accordons. Si ce que nous sentons ne peut être, pour nous, autre que nous ne le sentons, et si ce que nous apercevons par les sens est souvent autre que nous ne l'apercevons, il s'ensuit que l'autorité du sentiment est supérieure à celle des sens, que ceux-ci ne peuvent lui être légitimement opposés pour combattre son témoignage, et qu'on ne peut arguer de l'analogie des objets sensibles à l'analogie des faits de sentiment. Si nous pouvions conclure, avec Hume, de l'association des phénomènes extérieurs à l'association des faits psychologiques, nous pourrions aussi conclure de ceux-ci à ceux-là, et revêtir de nos propres modes les êtres que les sens nous montrent dénués de sentiment; nous donnerions une existence indépendante à nos pensées; nous les transformerions en réalités hors de nous. Une telle conséquence est choquante: il répugne également que l'esprit soit en possession de la nature et forme la substance des êtres, à l'exclusion de la matière, ou que la matière occupe et forme tout, à l'exclusion de l'esprit. Une première vérité de conscience est donc qu'il existe deux ordres parallèles de faits, les uns de la nature matérielle ou extérieure, les autres de la nature spirituelle ou intérieure. Une seconde vérité est que la conscience étant la vie même de l'homme comme être sensible, actif et intelligent, c'est elle qui constitue cette unité mystérieuse à laquelle nous donnons le nom d'âme, d'où il suit que toutes les méditations, toutes les analyses psychologiques, pour être vraies, doivent pouvoir être ramenées à la synthèse primitive de la sensibilité, de l'intelligence et de l'activité. Chacun de ces attributs, ayant un principe distinct, doit avoir une autorité égale et indépendante. C'est donc pécher contre la conscience psychologique que de donner à la raison, avec Platon et Descartes, l'autorité que l'on refuse aux sens; de l'accorder aux sens pour la refuser à la raison, avec Zénon et Locke; de l'accorder exclusivement au sentiment physique, avec Aristippe et Helvétius; ou bien à l'activité seule, à la conscience de la liberté, avec Kant. Ces facultés se développent successivement, sans doute, mais elles ne s'engendrent pas : la sensation est la première en ordre, mais non leur origine; et nous ne pouvons pas plus concevoir l'activité sortir de la sensibilité, que l'intelligence de l'activité ou de la sensibilité, et l'activité de l'intelligence. Une troisième observation que nous tirons du sentiment intérieur, c'est que l'âme ou le moi nous est suggéré et sous une forme constante et sous une forme variable: comme constant, et en tant que sensible, sous forme de substance, en tant qu'actif sous forme de cause, en tant qu'intelligent sous

forme de sujet; comme variable et sensible sous la conception de modes, actif sous celle d'effets, intelligent sous celle d'objets. Ainsi, c'est nier la conscience ou l'abdiquer que de faire de la substance une collection de qualités, ou de perceptions de qualités au sens de Locke, d'anéantir la liberté de la cause au sens de Spinosa, et le sujet pensant au sens de Condillac, en n'admettant avec lui d'autre principe de connaissance que des sensations transformées, ou encore, avec Hume, des impressions liées selon certaines lois, c'est-à-dire, en prenant les modifications du moi pour principe et pour terme de ses méditations. De cette manière, on se prive du seul appui que la conscience nous offre dans ses trois formes constantes, et l'on s'expose à prendre pour principes ou faits élémentaires des notions qui ne lui appartiennent nullement, telles que l'idée de l'infini, de la vision dans Dieu, de notions exemplaires, et autres fantômes produits de l'imagination, visiblement imités de l'expérience.

La première règle de la conscience spéculative, comme de la conscience pratique, est de l'épurer de tout préjugé, de toute affection personnelle, de toute préoccupation d'imagination ou de système, de l'éclairer par les travaux des esprits droits et judicieux, de l'écouter avec simplicité, et d'en recueillir avec sincérité les suggestions. Les faits étant alors reconnus et caractérisés, l'analogie viendra les classer, le raisonnement les développer, comme ceux que nous devons à l'observation extérieure, et le système pourra s'élever si nous obtenons des faits constatés par une analyse sévère, liés par des analogies profondes et naturelles, érigés en lois par une revue exacte de toutes les formes de conception, d'intelligence et d'opération. Les faits s'expliquent par des faits antérieurs, qui les engendrent ou les contiennent, et auxquels ils doivent être réduits. Mais la conscience ne renfermant que des faits particuliers, les faits généraux que nous concevons à priori ne peuvent être que l'objet de l'induction ou de l'abstraction. Sous ce rapport, l'autorité de ceux-ci est subordonnée à l'expérience, et ils ne doivent être admis que comme ces hypothèses permises en physique, qui peuvent conduire à la vérité, mais qui ne peuvent en tenir lieu que lorsqu'elles ont obtenu l'assentiment général.

Nous n'étendrons pas plus loin ces réflexions. La conscience, semblable à l'horizon qui recule continuellement devant nous, offre au physiologiste, au moraliste, au philosophe, un champ d'une étendue sans limites. Ce qui n'est point en elle ou ne peut y être ramené n'est rien pour nous. Elle est le point de conlact de deux sphères qui semblent alternati

vement se pénétrer, mais qui, à quelque hauteur que notre esprit s'élève, ne peuvent être confondues, que le point de contact ne disparaisse, que la conscience ne s'évanouisse, et avec elle le seul guide de nos méditations. SATUR.

CONSEIL D'ÉTAT. En France, on nomme ainsi une réunion de fonctionnaires nommés par le roi, pour donner leur avis sur tout ce qui intéresse l'administration générale du royaume, et spécialement sur les affaires contentieuses dont la connaissance est attribuée par les lois à l'autorité administrative Dans ce dernier cas, l'avis du conseil d'État devient un véritable jugement, lorsqu'il est approuvé par le roi et contre-signé par un ministre.

Sous l'ancienne monarchie, le règlement du 28 juin 1738 avait définitivement organisé le conseil d'État, dont les attributions, alors fort étendues, consistaient surtout à préparer les ordonnances, les édits et les déclarations. Toutefois, son pouvoir était tempéré par celui des parlements, qui pouvaient, en refusant l'enregistrement des ordonnances, empêcher leur exécution. Le conseil d'État était, pour l'expédition des affaires, divisé en divers conseils, savoir : le conseil supérieur ou grand conseil, espèce de tribunal mixte de justice administrative et judiciaire ; le conseil d'État ou d'en haut, qu'on appelait aussi conseil des affaires étrangères, et le conseil du roi. Ce dernier comprenait quatre autres conseils des dépêches, des finances, du commerce, des parties ou privé.

La révolution, en renversant l'ancien ordre de choses, anéantit le conseil d'État qui devait en éclairer et assurer la marche. Sous l'empire de la constitution de l'an III, les ministres, au nombre de six, furent chargés de veiller à l'exécution des lois, et de juger le contentieux de l'administration. La constitution de l'an VIII réorganisa le conseil d'État d'après un système qui en faisait une partie intégrante du gouvernement, et le chargea : 1o de préparer les projets de loi et les réglements d'administration publique; 2o de résoudre les difficultés qui s'élèveraient en matière administrative; 3° d'autoriser la mise en jugement des agents du gouvernement autres que les ministres, à raison de faits relatifs à leurs fonctions. C'était parmi ses membres qu'étaient choisis les orateurs chargés de porter la parole, au nom du gouvernement, devant le corps législatif. Des actes postérieurs donnèrent encore au conseil d'État des attributions non moins importantes. Un arrêté consulaire du 5 nivôse an VIII lui confia le soin de prononcer sur les conflits entre les autorités administrative et judiciaire, et sur le contentieux de l'administration, et de développer le sens des lois sur le renvoi

qui lui serait fait par les consuls. Le sénatusconsulte du 28 floréal an XII institua les conseillers d'État à vie, et un article officiel, inséré au Moniteur du 15 septembre 1808, déclara que le conseil d'État avait place après le sénat et avant le corps législatif.

En 1814, on s'occupa de reconstituer le conseil d'État par une ordonnance du 20 juin, qui supprima la qualité de conseiller d'État à vie, et établit l'évocation au conseil des ministres pour les affaires contentieuses. L'ancien état des choses, rétabli pendant les CentJours, fit place, après la seconde restaura. tion, à la réorganisation faite par ordonnance royale du 23 août 1815, qui priva de toute indépendance cette haute magistrature en statuant qu'il serait dressé, tous les ans, un tableau des conseillers d'État en service ordinaire et que ceux dont les noms n'y seraient point portés cesseraient de faire partie du conseil. Enfin, l'ordonnance du 19 avril 1817 introduisit dans le conseil les directeurs généraux et les secrétaires généraux des ministères avec voix délibérative. Ces mesures funestes augmentèrent les préventions que l'ignorance des matières administratives avait soulevées contre ce grand corps de l'État, et le rendirent l'objet des attaques de l'opposition même la plus modérée. En 1821, dans une discussion relative au conseil d'État, le député Manuel s'écriait : « Que peut-on espérer de prétendus juges qui n'ont aucune existence légale, d'hommes qui sont à la discrétion absolue des ministres, et qu'à chaque trimestre on peut exclure du conseil d'État avec autant de facilité qu'on déplace les pièces d'un échiquier?» L'ordonnance du 26 août 1824 rẻpondit à cette juste critique, en statuant que les membres du conseil d'État ne pourraient être révoqués que par une ordonnance individuelle et spéciale, rendue sur la proposition du garde des sceaux.

Depuis la révolution de juillet, les ordonnances du 2 février, 12 mars et 9 septembre 1831 établirent la publicité des séances pour le jugement des affaires contentieuses et des conflits, créèrent on ministère public, et autorisèrent les avocats des parties à présenter des observations orales. Ces précieuses garanties ont été depuis consacrées par la loi du 19 juillet 1845.

Aux termes de cette loi, le conseil d'État se compose des ministres secrétaires d'État, de conseillers d'État, de maîtres des requêtes, d'auditeurs de première et de seconde classe, et d'un secrétaire général ayant titre et rang de maître des requêtes. Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'État de la justice, est président du conseil d'État. Un vice-président, nommé par le roi, préside le conseil en l'absence du garde des sceaux et des ministres.

Il préside aussi les différents comités, lorsqu'il le juge convenable.

Les membres du conseil d'État sont en service ordinaire ou en service extraordinaire. Le service ordinaire est le seul auquel un traitement soit attaché. Toutefois, les auditeurs ne reçoivent aucun traitement. Il y a de plus des membres honoraires. Le service ordinaire comprend les conseillers d'État, maîtres des requêtes et auditeurs, employés aux travaux habituels du conseil et de ses comités. Il se compose de trente conseillers d'État, y com pris le vice-président du conseil d'État et les vice-présidents de comité, de trente maitres des requêtes et de quarante-huit auditeurs. Les fonctions de conseiller d'État et de maître des requêtes en service ordinaire sont incompatibles avec toute autre fonction publique. La discussion de cet article a, du reste, établi qu'il ne s'appliquait qu'aux fonctions publiques salariées. Les conseillers d'État et les maîtres des requêtes en service ordinaire ne peuvent être révoqués qu'en vertu d'une ordonnance individuelle, délibérée en conseil des ministres, et contre-signée par le garde des sceaux. Ajoutons que nul ne peut être nommé conseiller d'État s'il n'est âgé de trente ans accomplis; maître des requêtes s'il n'est âgé de vingt-sept ans ; auditeur s'il n'est âgé de vingt-un ans, licencié en droit ou licencié ès-sciences, et s'il n'a, en outre, été jugé admissible par une commission spéciale.

Le service extraordinaire du conseil d'État comprend trente conseillers d'État et trente maîtres des requêtes. Ces titres ne peuvent être donnés qu'à des personnes remplissant ou ayant rempli des fonctions publiques. Les conseillers d'État en service extraordinaire ne peuvent prendre part aux travaux et délibérations du conseil que lorsqu'ils y sont autorisés. Chaque année, la liste des conseillers d'État ainsi autorisés est arrêtée par ordonnance du roi. Leur nombre ne peut excéder les deux tiers du nombre des conseillers d'État en service ordinaire. Les maîtres des requêtes ont tous le droit de participer aux travaux du conseil.

Les conseillers d'Etat et les maîtres des requêtes qui pendant dix ans au moins ont fait partie du conseil peuvent être nommés conseillers d'État ou maîtres des requêtes honoraires.

D'après la loi du 19 juillet 1845, le conseil d'État est divisé, pour l'examen des affaires non contentieuses, en comités correspondant aux divers départements ministériels. Cette division doit être opérée par une ordonnance royale. Les ministres secrétaires d'État président les comités correspondant à leur minis. tère, et dans chaque comité un vice-président

est nommé par le roi. L'ordonnance du 18 septembre 1839, encore en vigueur au moment où nous écrivons, distribue le conseil en cinq comités, savoir : le comité de législation, le comité de la guerre et de la marine, le comité de l'intérieur et de l'instruction publique, le comité du commerce, de l'agriculture et des travaux publics, le comité des finances. Le comité de législation correspond aux départements de la justice et des cultes et des affaires étrangères.

Les délibérations du conseil d'État sont prises en assemblée générale et à la majorité des voix. Cette assemblée se compose des ministres secrétaires d'État, des conseillers d'État en service ordinaire, et des conseillers d'État en service extraordinaire autorisés à participer aux travaux et délibérations du conseil. Les maîtres des requêtes en service ordinaire ou extraordinaire et les auditeurs assistent à l'assemblée générale. Les maîtres des requêtes ont voix consultative dans toutes les affaires, et voix délibérative dans celles dont ils sont rapporteurs. Quant aux auditeurs, ils ont voix délibérative à leur comité, et voix consultative à l'assemblée générale, dans les affaires dont ils sont rapporteurs. Le conseil d'État ne peut délibérer si, non compris les ministres, quinze au moins de ses membres ayant voix délibérative ne sont présents.

Indépendamment des comités dont nous avons parlé, un comité spécial dirige l'instruction écrite, et prépare le rapport des affaires contentieuses. Ce comité, présidé par le vice-président du conseil d'État, est composé de cinq conseillers d'État en service ordinaire, et du nombre de maîtres des requêtes en service ordinaire, et d'auditeurs, que doit fixer une ordonnance royale. Ce nombre est de six maîtres des requêtes et de douze auditeurs, suivant l'ordonnance du 18 septembre 1839.

Le rapport des affaires est fait au comité du contentieux et au conseil d'État par celui des membres du comité qui a été désigné à cet effet par le président. Les maîtres des requêtes ont voix délibérative au Comité et au conseil d'État dans les affaires dont ils font le rapport, et voix consultative dans toutes les autres. Les auditeurs ont voix délibérative au comité, et voix consultative au conseil d'État, dans les affaires dont ils sont rapporteurs. L'un des trois maîtres des requêtes en service ordinaire, désignés chaque année par le garde des sceaux, remplit les fonctions de commissaire du roi, et assiste aux séances du comité du contentieux. Le rapport est fait à l'assemblée générale du conseil, en séance publique. Les conseillers d'État et les maîtres des requêtes en Service ordinaire ont seuls droit de siéger à cette assemblée; les auditeurs y assistent. Le

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