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de l'esprit et des supériorités du rang ou de la fortune.

Voltaire a fait des contes en prose et en vers; les premiers, qui tiennent de l'intérêt du roman, sont empreints des couleurs de l'Orient distribuées avec goût; ils étincellent d'esprit; la peinture des passions y est souvent pleine de charmes et quelquefois brûlante; la philosophie y domine partout. Il en est, comme Zadig, qui joignent un intérêt vif et soutenu à toutes les séductions d'un style orné, fleuri, gracieux et toujours vrai. Dans le conte en vers, on n'a jamais vu un poëte plus châtié, plus facile, plus brillant, plus animé, plus séducteur que l'auteur de Madame Gertrude, des Trois Manières et de la Fée Urgèle; mais la gaieté qui règne dans les uns et les autres de ces ouvrages écrits de verve n'est pas une gaieté naïve comme celle de la comédie; on n'y rit pas franchement comme à une scène de Molière : l'âcreté de la satire dénature le genre, et le cynisme ternit la fraîcheur des plus riantes peintures. Voltaire a dans la plupart de ses contes un but moral qui leur donne une importance et un prix que ne sauraient avoir ceux de la Fontaine. Le sage de Ferney, que l'on pourrait appeler le véritable mondain, veut instruire autant que plaire. Il brigue le suffrage des philosophes comme lui, les applaudissements des beaux esprits qui sont l'oracle du jour; il veut que les brillantes sultanes de la société battent des mains à ses contes comme à Zaïre. La Fontaine n'a pas de si hautes prétentions: il ne songe guère à instruire, et, s'il plaît à ses lecteurs, telle est l'illusion produite par l'absence de toute ambition apparente, par un abandon et une négligence qui cachent tous les efforts, qu'il nous charme sans le vouloir, et comme le faisait jadis cette aimable et belle la Sablière qu'il a louée avec tant de délicatesse dans ces vers :

Au fond du temple eût été son image,
Avec ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas.

Voltaire est le conteur du salon du premier, dans une grande maison; la Fontaine est le conteur de tous les étages; il est comme Molière, qui travaillait encore plus pour le peuple que pour Louis XIV et sa cour.

J'ai interrompu l'ordre des faits, parce que le rapprochement de La Fontaine avec Voltaire est peut-être le trait le plus caractéristique de la poétique du conte : revenons à Clément Marot, le plus naturel, le plus naïf, le plus aimable des conteurs, le maître enfin de la Fontaine. Il y a une telle supériorité dans le naturel, un tel charme dans les merveilles de l'art où l'art ne paraît pas, que jamais l'auteur de quelques pièces de vers,

souvent écrites d'un style suranné pour nous, ne sera oublié. Enfin, pour tout dire, l'inconcevable facilité de Voltaire, qui se pliait avec tant de souplesse à tous les genres, n'eût jamais pu atteindre au naturel de Marot et du bonhomme; tous deux sont les modèles du conte, enfant de la comédie et conservant beaucoup de traits de sa mère. Plût à Dieu que le réformateur sévère de notre langue poétique, le pompeux Malherbe, eût gardé le secret des beautés semées par Marot avec une si aimable négligence; la poésie lyrique élevée, enrichie par le maître de Racan, aurait appris à descendre des hauteurs de son orgueil et adopté un mélange de tons simples, une variété d'accents qui l'auraient rendue plus populaire, sans la rendre moins digne de l'admiration de toutes les classes de lecteurs !

Marguerite de Valois, sœur de François [er et reine de Navarre, qu'une tradition plus ou moins suspecte donne pour maîtresse à Clément Marot, a composé un Heptaméron, ouvrage plein d'imagination et d'esprit, et conçu à l'imitation du Décameron de Boccace. Les contes de la reine de Navarre sont écrits d'un ton qui nous paraît libre et presque licencieux aujourd'hui, mais qui, de son temps, ne s'éloignait pas du ton de la cour et et du langage des honnêtes gens. Nous ne devons pas nous étonner de l'effet que produisent les licences de la sœur de François Ier, sur cette pruderie de langage qui n'a pas rendu nos mœurs plus pures, quand nous voyons l'espèce de scandale que nous causent certains mots du dialogue de Molière, qui ne choquaient pas le goût superbe de Louis XIV et les oreilles délicates des belles Montbazon et des Nemours si piquantes, et même celles de madame de Sévigné. Du reste, le style de Marguerite, dans ses plus grandes témérités, n'approche pas de la licence de parler des prédicateurs du temps. Il n'est pas étonnant que cette reine aimât Clément Marot, avec lequel elle avait tant de conformité de goûts et de talent; et, d'ailleurs, une femme d'esprit surtout ne refuse guère les hommages d'un poëte qui fait parler à l'amour un langage aussi délicat, aussi tendre, que celui du favori de Diane de Poitiers. La Fontaine ne s'est fait aucun scrupule d'emprunter beaucoup de choses aux contes de Marguerite; ainsi que Molière, il croyait sans doute rentrer dans son bien en transportant chez lui des beautés si bien d'accord avec les beautés de ses propres compositions. C'est ainsi qu'il a commis beaucoup de larcins dans les domaines de Marot, dont il se portait héritier.

Notre Rabelais est le plus bavard, le plus fou et le plus sensé des conteurs; cet auteur, dont la Bruyère a dit : « Où Rabelais est mau

vais, il passe blen loin au delà du pire : c'est le charme de la canaille; où il est bon, il va jusqu'à l'exquis et à l'excellent; il peut être le mets des plus délicats,» fait quelquefois la véritable satire de mœurs, et surtout la satire politique d'une manière supérieure ; il s'en faut de beaucoup que le génie et la raison de Voltaire aient été aussi hardis, dans la guerre qu'il avait déclarée à la superstition, que la bouffonnerie de Rabelais dans ses censures de la religion et de l'autorité, des rois, des grands, des ministres et des prêtres, y compris les souverains pontifes. Prédécesseur de Marot, le curé de Meudon renferme dans sa prose à demi barbare des beautés de sens et de style dont Molière et la Fontaineont fait leur profit. N'oublions pas que le célèbre professeur Passerat, qui avait, dans sa métamorphose d'un homme en oiseau, donné le modèle de la narration naïve à notre fabuliste, avait aussi une prédilection particulière pour Rabelais. Le roman de Pantagruel est une suite de contes qui remplissent toujours les condi tions de la comédie; Rabelais travestit, mais ne défigure pas le genre; il tombe dans le gro⚫ tesque, mais il est comique.

Un siècle avant ce Diogène moderne, souvent ivre, quelquefois entre deux vins, et ensuite armé de la lanterne du philosophe, qu'il est digne de porter, les Anglais virent le vieux Chaucer imiter les formes du Décaméron dans ses contes de Cantorbéry, dont les sujets, tous nationaux, offrent une grande variété de caractères, peints avec une vérité qui lui était naturelle et une vivacité qu'on ne lui trouve pas toujours.

Plus tard, Dryden, doué d'un autre genre d'esprit que le conteur qui avait eu le double privilége de faire rire et pleurer l'Italie, dut de graves et tragiques inspirations à Boccace. Entre plusieurs sujets, il emprunta au Décaméron la touchante aventure de Sigismond et de Guiscard, qu'il a revêtue de toutes les couleurs de la poésie, sans en altérer le caractère primitif, l'intérêt, ni la terreur.

Quelques contes d'Hamilton, composés par une espèce de défi et dans le dessein de corriger les femmes de leur enthousiasme pour les Mille et une nuits, dont elles raffolaient; d'autres, qui ont une origine différente, tels que le Bélier, les Quatre Facardins, Fleur d'Épine et Zénéide, ont fait un nom à leur auteur; ce sont des modèles de gaieté, de grâce et de folie, mais si gaie, si piquante, si bien assaisonnée de plaisanteries, relevée par des saillies si heureuses et si imprévues, dit La Harpe, qu'on y reconnaît à tout moment un homme supérieur aux bagatelles dont il s'amuse. Mais, comme les Mémoires du comte de Grammont, qui leur sont bien supérieurs, ces contes sont faits pour la haute société, dont ils peignent les

travers, les mœurs et les vices; Hamilton est un vrai conteur de cour.

Chez nous, vers le milieu du dix-septième siècle, Vergier, sans vouloir marcher sur les traces de la Fontaine, a obtenu quelque estime par des contes plaisamment imaginés et par l'agrément et la facilité de la narration. Si Vergier ne peut prétendre à égaler le premier des conteurs, il est de la famille de ces grands amuseurs de tous les âges. Deux contes de Sénecé, Camille et le Kaymac, surtout le dernier, sont restés dans la mémoire des connaisseurs, qui, au contraire, sacrifieraient sans beaucoup de peine les contes sans invention et sans pudeur qui ont conservé le nom du chanoine Grécourt, homme doué de quelque facilité, mais toujours enclin à en abuser comme de son esprit.

De nos jours, les contes moraux de Marmontel, traduits dans toutes les langues, et dont le premier, qui a pour titre Alcibiade ou le Moi, fut attribué d'abord à Voltaire ou à Montesquieu, ont acquis une célébrité que les emprunts du théâtre ont singulièrement augmentée. Cet ouvrage ne justifie pas toujours son titre, et les rigoristes n'ont pas manqué de relever cette faute; mais il n'en est pas moins vrai que l'auteur affectionnait, et qu'il a traité avec un talent particulier, les sujets où, pour se faire aimer, la vertu se montre sous un aspect doux et riant. Il excelle à peindre toutes les innocentes affections du cœur humain, et donne à l'amour un charme particulier, parce qu'il le place à la campagne, qui en est le véritable théâtre, au milieu de tous les spectacles de la nature qui donnent tant de charme aux innocentes délices d'un sentiment pur et fait pour la jeunesse. Mais le conte a perdu dans l'écrivain du dix-huitième siècle la gaieté primitive et le véritable caractère. Les contes de Marmontel sont des récits ou des drames gracieux; ils ne sont pas des comédies.

Auteur de pastorales charmantes, dans les quelles pourtant une femme d'esprit eût désiré trouver un loup, Florian a fait aussi des contes; la forme n'y est pas toujours suffisamment variée: mais quelques-ups de ceux qu'il a écrits en vers offrent de jolis détails, de l'esprit, quelquefois de l'élégance, mais beaucoup moins que dans ses fables. Ce dernier ouvrage, quoique digne de passer à la postérité, parmi les meilleurs essais, dans un genre où le fablier de madame de la Sablière restera inimitable, n'appartient pas plus à l'école de la Fontaine que les contes de Florian au genre de Marot; Florian, malgré ses efforts pour revenir à la simplicité, malgré la teinte de sensibilité qui donne du naturel à ses riantes compositions, était trop de son siècle pour retrouver le secret de la véritable naïveté. C'est un

conteur aimable de notre temps, mais non pas le rival de Marguerite de Navarre et le disciple de l'auteur de Joconde.

De notre temps, l'Allemand Musœus, qu'ont traduit MM. Bourguet et Paul de Kock, a fait, avec les traditions populaires de son pays, des contes auxquels il a su donner une tournure piquante et facile, et qui ont obtenu beaucoup de vogue en Allemagne. On remarque surtout dans ces productions légères la Chronique des trois sœurs, conte à la fois plein de méthode et d'imagination, et le modèle et la perfection du genre des contes de féerie. Chez nous, M. Andrieux a donné en prose des contes qui sont quelquefois des histoires, et qui rappellent un peu l'école de Voltaire, et surtout sa philosophie, assaisonnée de malice et d'esprit. Le Moulin de Sans-Souci, le meil leur des contes en vers de l'auteur des Étourdis, a quelquefois de la manière du bonhomme, lorsqu'il lance quelques bons traits sur les rois-lions.

P.-F. TISSOT.

CONTEMPLATION. Quand sainte Thérèse, livrée à ses élans de pieuse ferveur, répandait au pied des autels les torrents d'amour mystique qui débordaient de son âme, lorsqu'à force de méditer sur les perfections divines, elle tombait dans ces vives extases qui allaient jusqu'à la défaillance, elle perdait la conscience même de sa vie personnelle, et se sentait comme absorbée dans l'être divin.

La Fontaine, conduit par sa rêverie, s'arrête au pied d'un arbre au Cours-la-Reine; docile aux caprices de sa pensée, comme à sa vive sympathie pour la nature, occupé peutêtre à suivre le dialogue de ces animaux dont il entend le langage, et dont il a si bien deviné les caractères, insensible à toutes les variations de l'atmosphère, il laisse s'écouler les heures, et ceux qui l'avaient aperçu le matin le retrouvent le soir à la même place.

Pendant que Newton se promène dans son jardin, méditant sur les grands problèmes auxquels il a voué sa vie, il voit un fruit se détacher de l'arbre et tomber à terre: tout à coup un éclair illumine son esprit; à ce fait si simple se rattache dans sa pensée tout un ordre de phénomènes identiques : il entrevoit dans ce seul accident les longues chaînes de raisonnements et toutes les séries de calculs | desquels il déduira les lois qui président aux mouvements des corps célestes, l'attraction universelle, et le système du monde.

L'amant qui songe à sa maîtresse, voit en idée les beaux yeux dont le regard lui ouvre le ciel, il entend cette voix enchanteresse dont le son fait tressaillir son cœur, il suit les con tours de ce corps dont les moindres mouvements ont une grâce indicible; enfin, dans ces heures délicieuses où il rêve au charme inex.

primable répandu sur toute la personne almée, il vit tout en elle, il ne s'appartient plus.

Dans ces exemples, si dissemblables en apparence, nous retrouvons la contemplation sous ses formes diverses. Qu'elle soit religieuse, philosophique, esthétique, ou passionnée, qu'elle ait pour objet le vrai ou le beau, les perfections divines ou les charmes de la créature, la contemplation est un état dans lequel l'âme s'élève au-dessus de la vie des sens, pour tendre à la possession d'un objet idéal. Cet objet varie comme les faces du monde idéal. L'amour, l'extase religieuse, l'intuition du vrai, l'enthousiasme du beau, sont ses formes les plus saillantes: mais quel que soit son objet, ses caractères essentiels sont la prédominance de la vie idéale sur la vie réelle, et l'éclipse de la conscience personnelle.

De là l'opposition qu'on a remarquée entre les caractères actifs et les natures contemplatives. La contemplation suppose en effet deux choses: le goût des jouissances intellectuelles, et une certaine paresse d'esprit. C'est une dis position naturelle à ces âmes élevées, aux nobles instincts, mais indolentes, qui fuient la fatigue, et redoutent d'agir. Lorsqu'on s'y complatt, elle devient une habitude, un penchant dominant; elle transforme toute notre existence, et on l'appelle la vie contemplative. L'homme contemplatif dédaigne les vaines agitations de l'homme actif; il aperçoit du haut de ses rêves éthérés les buts mesquins de cette volonté ardente, infatigable; il prend en pitié cette prodigieuse dépense d'énergie, prodiguée pour de si pauvres résultats. Quel supplice ne serait-ce pas pour lui, de s'arracher à ses douces jouissances d'imagination, pour se mêler au monde réel, et entrer dans l'arène des intérêts vulgaires!

Lucrèce a fait une noble peinture de la contemplation, lorsqu'il s'écrie : « Quoi de plus << doux que d'habiter le temple édifié par la a science des sages, asile d'une inaltérable « sérénité, d'où l'on peut voir le vulgaire poursuivre à l'envi des buts misérables, la

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« richesse, la gloire, la puissance, etc. »>
Sed nil dulcius est bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios, etc.

Virgile, après avoir fait allusion à cette félicité des méditations sublimes,

Felix qui potuit rerum cognoscere causas, en propose une autre à l'usage des âmes moins vigoureuses, la contemplation des beautés de la nature :

Fortunatus et ille deos qui novit agrestes!

La rêverie et la musique sont les plaisirs favoris des âmes contemplatives, parce que la rêverie et la musique occupent suffisamment

l'esprit, sans exiger de sa part le moindre effort. La rêverie, cet état intermédiaire entre la veille et le sommeil, où l'âme, au lieu de tenir les rênes et de diriger ses pensées, les laisse flotter librement, esquive le côté pénible des choses, et façonne le monde à notre gré. Le faiseur de châteaux en Espagne renouvelle, à chaque heure du jour, son bonheur imaginaire, sans avoir la fatigue de le poursuivre et de le rédiger. Les jouissances musicales ont cela de particulier, qu'elles bercent l'âme sans qu'elle ait besoin de réagir; elle n'a qu'à se laisser faire : de magiques accords lui dévoilent un monde idéal, et la transportent dans des régions inconnues, dont l'imagination seule a le secret.

C'est sous les climats favorisés de la nature, au sein d'une atmosphère caressante, qui semble inviter à jouir des dons du Créateur, que la disposition contemplative est plus générale. Voyez ces populations du Midi, habi.tuées à vivre en plein air : tranquillement assises à l'ombre pendant le jour, ou à la fraîcheur du soir, elles aspirent délicieusement les brises embaumées de l'air, et les jouissances du dolce far niente. C'est dans l'Inde, où la terre étale toute la puissance de sa fécondité, tout l'éclat d'une végétation luxuriante, où l'homme vit sans effort, et n'a qu'à ramasser les richesses qu'elle lui prodigue, c'est là que la contemplation a pris des proportions aussi colossales que la nature; c'est là qu'elle a enfanté ces épopées mystiques, ces vastes conceptions, filles de l'extase, qui est le dernier terme de la contemplation.

Cependant, il faut le dire, il y a dans cet épicuréisme intellectuel, qui fait le fond de la contemplation, un oubli de notre initiative, et une abdication du droit de nous gouverner nous-mêmes. L'âme, en se livrant à de telles habitudes, finirait par s'énerver et perdre de son ressort. Aussi n'est-ce pas sans raison que l'homme d'action, à son tour, dédaigne les hommes contemplatifs, et les accuse d'impuissance; car ils laissent s'étioler en eux les facultés dont ils ont été doués. Dans notre existence actuelle, nulle partie de notre nature ne doit être sacrifiée aux autres. L'homme n'est pas mis en ce monde uniquement pour admirer les beautés de la nature, ou pour scruter les secrets du cœur humain, ni même pour contempler les perfections divines: il a aussi un rôle à jouer ici-bas, une part d'action lui est réservée le travail et le devoir sont les deux conditions auxquelles la vie lui a été donnée, pour la double tâche intellectuelle et morale qu'il a à remplir. Quiconque a reçu en partage des facultés puissantes, en doit compte au Créateur d'abord, et puis à ses semblables.

Il est des époques où le penchant à la con.

templation est plus général, et où l'on déserte la vie active pour s'abandonner à un dilettantisme sans énergie. Dans la dissolution de l'Empire Romain, la vie contemplative fut un asile pour un grand nombre d'âmes élevées, mais auxquelles manquait la vigueur nécessaire pour réagir contre l'invasion des fléaux qui ruinaient l'ordre social. Le christianisme, qui apparut alors pour consoler et sauver le genre humain, favorisa ce penchant, ce qui fit accuser plus tard la religion chrétienne de sacrifier la vie active à la vie contemplative; et il est trop vrai que certains excès de la vie monastique ont pu motiver ce reproche de céder à l'entraînement du mysticisme. Le renoncement au monde et à soi-même, proposé comme l'idéal de la perfection, n'est pas fait pour cette terre; et s'il est une critique fondée que l'on puisse adresser au livre admirable de l'Imitation, c'est cet excès d'abnégation personnelle, c'est cette abdication trop complète de la volonté, qui nous fut accordée pour faire le bien. Toutefois, le christianisme en a bientôt appelé de cette tendance exclusive : il a prouvé que, loin d'avoir le tort de mutiler l'humanité, il était aussi fait pour l'action et pour la vie pratique, en un mot, pour satisfaire tous les besoins et tous les nobles instincts de notre nature.

De nos jours, la prédominance marquée des intérêts matériels et la passion eftrénée qui s'est déclarée pour les jouissances des sens, De laissent guère lieu d'appréhender que les goûts contemplatifs n'usurpent une part trop grande dans la vie sociale: si un excès était à craindre, ce ne serait pas de ce côté.

ARTAUD.

CONTINENCE. (Morale.) La continence est une des vertus particulières dont se composait, chez les anciens, la quatrième vertu cardinale appelée tempérance, qui n'est que la modération en toutes choses, ou pratique de la maxime Rien de trop, attribuée à Chilon, un des sept sages. La continence se rapporte surtout aux plaisirs des sens, et spécialement aux plaisirs de l'amour.

Chez les anciens, plus profondément enfon cés que nous dans la vie sensuelle, dans ces temps où la liberté morale luttait encore péniblement pour se dégager des liens de la nature, la continence fut mise assez tard au rang des vertus, et même alors elle fut peu recommandée, et sans doute peu pratiquée. Je n'en voudrais d'autre preuve que l'admiration, je dirai presque l'étonnement, que les auteurs profanes font éclater pour ce trait de Scipion, qui s'abstint d'abuser d'une jeune captive que le sort des armes avait fait tomber entre ses mains.

La continence ne commença à être mise en honneur qu'avec l'apparition des doctrines

mystiques, qui voyaient dans la matière le principe de tout mal, et qui par conséquent, pour conduire l'âme dans la voie de la perfection, voulaient d'abord l'affranchir complétement de l'empire des sens. Cet ascétisme rigoureux qui travaille à mortifier la chair, et à comprimer les instincts les plus impérieux, se retrouve dans toutes les religions orientales.

Le christianisme se montra en ce point fidèle à son origine, et quand le dogme de la virginité de Marie eut prévalu, un des mérites les plus précieux et les plus enviés fut d'imiter la pureté de la mère de Jésus. Non-seulement on vit des solitaires s'imposer une complète abstinence des voluptés charnelles; mais il s'établit bientôt des communautés d'hommes et de femmes pour lesquelles la continence fut une loi absolue. Les nombreux monastères dont, pendant tout le moyen âge, se couvrirent les États de l'Europe, et même certaines parties de l'Asie et de l'Afrique, adoptèrent tous sans exception la continence comme une de leurs règles fondamentales; elle fut comptée au nombre des vertus monacales: c'était un des trois vœux par lesquels se liaient ceux qui voulaient entrer dans un ordre religieux.

Que si nous examinons la continence en elle-même, indépendamment des lois religieuses, nous rencontrons d'abord cette loi du bon sens, qui commande la modération en toutes choses, qui n'interdit aucun des plaisirs naturels, à la condition qu'on en fasse un usage modéré. Sans nous en tenir au domaine de la pure physiologie, qui recommande l'exercice régulier de toutes nos fonctions corporelles, l'emploi bien réglé de toutes nos forces, et devant laquelle une abstinence absolue, comme tout régime exclusif, n'est pas sans danger, la morale à son tour proscrit l'excès des plaisirs des sens, comme tout autre excès; elle établit, comme un de nos devoirs envers nous-même, non-seulement de ne pas nous livrer à des excès préjudiciables à notre santé, mais aussi de maintenir l'empire de la volonté sur nos sens, et de n'être pas esclave de notre concupiscence charnelle.

Enfin, au point de vue social, la continence est aussi une vertu, en ce que, dans l'ordre civil, l'usage des plaisirs de l'amour est subordonné à certaines formalités légales, et la loi ne les légitime que dans le mariage; en ce que l'infraction de cette loi est de nature à porter le désordre dans les familles, et que même dans la sphère de la vie individuelle, l'infraction habituelle de cette loi morale peut jeter quelque perturbation dans toute l'existence d'un homme.

De nos jours encore, la loi religieuse maintient l'obligation de la continence pour le clergé catholique, qui forme une classe nombreuse

ENCYCL. MOD. T. X.

de citoyens. Jusqu'a quel point cette loi est observée, c'est ce que nous n'avons pas à examiner ici. Mais les cas où elle est notoire.. rement violée se représentent assez fréquemment pour appeler l'attention du législateur. Ces infractions, toujours scandaleuses au point de vue de la religion, ne sont pas moins regrettables au point de vue social, par les suites funestes qu'elles entraînent trop souvent pour les familles. C'est ce qui a porté un certain nombre d'esprits sérieux à souhaiter une réforme dans cette partie de la discipline ecclésiastique et à demander le mariage des prêtres.

ARTAUD.

CONTRACTION DE LA VEINE FLUIDE.

(Hydraulique.) Quand on laisse s'écouler l'eau contenue dans un vase de verre, par un orifice percé dans sa paroi latérale, à sa partie inférieure, et qu'on y a mêlé des matières extrêmement divisées, d'une densité presque égale à la sienne, comme la sciure de certains bois; ou ce qui vaut mieux encore, quand on y a produit de légers précipités chimiques, tels que celui qu'on aperçoit lorsqu'on verse quelques gouttes de nitrate d'argent dans de l'eau salée, on voit, à une petite distance de l'orifice, les molécules du fluide se précipiter de toutes parts, en décrivant des lignes courbes, et d'un mouvement qui s'accélère de plus en plus, vers l'orifice, qu'elles dépassent en se croisant les unes les autres; car la convergence de leurs directions continue encore à une petite distance en dehors du vase, jusqu'à ce que leur attraction réciproque leur fasse prendre une direction parallèle.

Ce phénomène s'appelle contraction. Il donne à la veine fluide la forme d'un cône tronqué, dont la plus grande base est l'orifice, et la plus petite la section de la plus grande contraction, et qu'on appelle souvent section de la veine contractée. Il a pour effet de diminuer la dépense de l'orifice, qui ne débite réellement pas plus d'eau qu'il en sortirait par une surface égale à celle de la section contractée, si le phénomène n'avait plus lieu.

La contraction a plus ou moins d'intensité, selon la nature des orifices. Elle est très-forte pour les orifices en même paroi; elle l'est un peu moins pour les ajutages cylindriques; et elle l'est moins encore pour les ajutages coniques. Il est souvent nécessaire, dans les constructions hydrauliques, de la diminuer le plus possible car on ne parvient jamais à la détruire entièrement. On la diminue en arrondissant les parois intérieures des orifices, et, encore en les prolongeant intérieurement par des courbes que l'on raccorde avec les parois du réservoir.

Voyez, pour plus de détails, les articles AJUTAGE, HYDRAULIQUE et HYDROSTATIQUE. CHARLES RENIER, 24

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