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tation est sujette à varier et des systèmes différents, même opposés, peuvent être soutenus sur les mêmes points avec une bonne foi égale. Dans la plupart des cas le droit des gens naturel ne suffit pas pour résoudre la difficulté, ses raisonnements, les principes qu'il proclame peuvent n'être pas applicables dans des situations données, et la puissance neutre qui voudrait appuyer sa politique et sa conduite à l'égard des peuples en guerre sur cette seule base, s'exposerait inévitablement à de très grands embarras et compromettrait ses intérêts les plus majeurs.

Il n'y a qu'un moyen pour échapper aux inconvénients inséparables de cette position, c'est de fixer par des convention's ou des traités particuliers les principaux points litigieux dans le régime de la neutralité. Quand on considère la position toute spéciale, où se trouve la Belgique comme puissance perpétuellement neutre, on doit reconnaître que pour elle l'emploi de ce moyen constitue un devoir des plus impérieux. Ce n'est qu'en s'appliquant en temps de paix, quand les importantes questions que soulève l'observation de la neutralité peuvent être examinées avec toute la maturité qu'elles réclament, ce n'est qu'en s'appliquant alors à faire déterminer et reconnaître la limite des droits et des obligations du neutre, pendant la guerre, que ce dernier peut espérer de retirer de sa neutralité tous les avantages, qu'elle est susceptible de lui procurer. Les auteurs de droit public sont unanimes à proclamer l'utilité et la convenance de pareils traités, et il nous semble que les raisons sur lesquelles ils se fondent pour en démontrer la nécessité, s'appliquent à la Belgique pour le moins autant, si non plus, qu'à tout autre pays neutre (1).

(1) Voyez VATTEL, Droit des gens, III, 7, § 107 et 108; et MARTENS, Précis du droit des gens moderne, t. VIII, chap. 7, § 303.

II.

La neutralité considérée en général, crée des droits et des obligations relativement à quatre objets principaux, qui sont : la conduite politique du neutre à l'égard des Puissances en guerre, le régime de son territoire, celui des personnes sujettes à son gouvernement, et en dernier lieu, celui des biens et propriétés appartenant tant au gouvernement qu'aux sujets neutres. Nous allons examiner les dispositions du droit des Gens naturel et positif sur chacun de ces points.

Il existe un principe fondamental qui doit dominer toute la conduite politique du neutre à l'égard des belligérants, c'est que l'État neutre n'est dans la guerre ni juge ni partie. Les règles particulières d'après lesquelles il doit se guider dans tous les cas spéciaux, découlent toutes de cette maxime principale. Obligé à observer entre les Puissances en guerre une stricte et parfaite impartialité, il doit se refuser d'accorder, sous quelque forme ou sous quelque prétexte que ce soit, à l'une ou l'autre d'elles,

tout secours qui pourrait lui servir d'une façon quelconque de moyen soit d'attaque soit de défense, dans la lutte qu'elle soutient contre son ennemi. Il ne peut envoyer aux belligérants ni troupes, ni vaisseaux, ni munitions de guerre, il ne peut protéger ou favoriser les opérations militaires de l'un, ni entraver par son intervention ou par des empêchements provenant de lui, celles de l'autre. Il doit en un mot s'abstenir soigneusement de tout acte, qui puisse exercer quelque influence sur le sort de la guerre, et tenir une balance entièrement égale entre ceux qui la font. Ce devoir d'impartialité et d'abstention parfaites ne porte pas seulement sur les actes émanés directement du gouvernement neutre, il oblige encore celui-ci à empêcher là partout où son autorité s'étend, qu'un concours quelconque soit prêté à l'un des belligérants contre l'autre. Toute concession, toute permission ou autorisation qui accorderait à un de ses sujets un droit, un pouvoir ou une faculté dont l'emploi pourrait augmenter l'action militaire de l'une des parties en guerre au détriment de l'autre est contraire à la neutralité, qui dans ce cas se trouverait violée par le propre fait du neutre. Il en est de même de toutes les concessions faites par l'État neutre à un belligérant, et qui, bien que n'ayant pas directement rapport à l'action militaire, n'auraient cependant de valeur que par la guerre ou tant qu'elle dure, à l'exception toutefois des concessions qui porteraient sur des objets du commerce ordinaire avec le belligérant non compris dans ce qu'on appelle contrebande de guerre. A l'égard de ces objets le neutre conserve pendant la guerre la faculté pleine et entière d'accorder à qui il veut les avantages et les faveurs que bon lui semble (1).

On peut demander si les prêts d'argent ou de valeurs sont

(1) Les auteurs du Droit des Gens sont unanimes à révendiquer cette faculté pour le neutre. Voyez entre autres MENO POEHLS, Darstellung des Seerechts,

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compris parmi les secours que l'État neutre ne peut accorder à un belligérant sans cesser d'être neutre. Des auteurs d'une assez grande autorité en matière de droit des Gens pensent que les opérations de cette nature ne sont pas incompatibles avec les devoirs rigoureux de la neutralité. Voici comment Vattel s'exprime à ce sujet (1): « Que le souverain (neutre) ou des sujets prêtent leur argent à mon ennemi et qu'ils me le refusent parce » qu'ils n'auront pas la même confiance en moi, ce n'est pas >> enfreindre la neutralité. Ils placent leurs fonds là où ils croient >> trouver leur sûreté. Si cette préférence n'est pas fondée en » raison, je puis bien l'attribuer à mauvaise volonté envers moi, » ou à prédilection pour mon ennemi; mais si j'en prenais occa»sion de déclarer la guerre, je ne serais pas moins condamné » par les principes du droit des Gens, que par l'usage heureu» sement établi en Europe. Tant qu'il paraît que cette nation prête son argent uniquement pour s'en procurer l'intérêt, elle >> peut en disposer librement et selon sa prudence, sans que je » sois en droit de me plaindre. Mais si le prêt se faisait mani

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IV, p. 1074, où elle est motivée d'une façon irréfragable. Voici comment l'auteur s'exprime : « Man kann nicht unbedingt behaupten, dass der Neutrale » einer der kriegführenden Mæchte, während der Dauer des Kriegs keine Vor>> theile im Handel einræumen dürfe. Denn man kann ihm dieses Recht wahrend » des Friedens nicht absprechen, nun aber bestheht grade darin das Wesen » der Neutralitaet, dass derjenige Staat der dieselbe beobachtet sich betrage, >> als ob überall der Krieg nicht existirte. Er will daher auch bei dem Kriege » nicht leiden. Es steht ihm daher nicht nur das Recht zu, Vertraege die vor » dem Anfang des Krieges zwischen ihm und dem Einen der kriegführenden » bestanden, zu erfüllen, sondern man muss ihn auch befugt halten, neue >> Vertraege mit ihm zu schliessen. Daher hindert auch nichts den Neutralen, » mit dem Einen einen stærkeren Handel zu treiben, als mit dem Andern, >> selbst wenn der Krieg, der grade obwaltet, diesen Handel erst herbeiführt. » Die Politik kann hier Vorsicht vorschreiben, wenn Besorgnisse entstehen, >> dass der Argwohn des Andern rege werde, aber dies ist einer der Nachtheile » der Neutralitaet, die factisch hervortreten, aber an sich das Recht nicht >> aendern. >>

(1) VATTEL, Droit des Gens, t. III, chap. 7, § 110.

» festement pour mettre un ennemi en état de m'attaquer, ce >> serait concourir à me faire la guerre. »

Cette opinion s'accorde fort peu avec les obligations de la neutralité, dont la véritable nature nous paraît s'opposer à cette sorte d'actes. En effet s'il est défendu au neutre de fournir des secours militaires à un belligérant, il doit lui être défendu aussi de fournir directement des moyens de se procurer ailleurs ces secours et le moyen par excellence pour se procurer tout ce qu'il faut pour faire la guerre, c'est certainement l'argent. Si donc le neutre en prête à un belligérant, il manque aux devoirs de sa position au même titre, que quand il lui fournit des troupes auxiliaires ou des munitions de guerre. Vattel lui-même condamne le prêt, du moment où il est manifeste que son produit sera employé à augmenter les moyens d'attaque qu'un belligérant met en œuvre contre son adversaire. Mais cette destination est toujours possible, et l'argent une fois prêté et sorti des mains du neutre, celui-ci n'a plus aucun moyen d'empêcher qu'il ne soit point affecté à un but militaire.

On pourrait objecter que l'argent monnayé et les métaux précieux en général ne se trouvent point parmi les objets désignés dans les traités sous le nom de contrebande de guerre, et que le neutre ne peut pas apporter à un belligérant, que par conséquent, aucune disposition du droit des Gens positif ne s'oppose à ce que le neutre ne fournisse des fonds sous la forme d'un emprunt, puisqu'il peut librement lui amener des lingots ou de l'or et de l'argent en espèces. Mais il est à remarquer que le principe d'après lequel les métaux précieux et l'argent monnayé ne rentrent point dans la catégorie de la contrebande de guerre, est loin d'être généralement admis. Dans la plupart des traités antérieurs à la paix d'Utrecht l'or et l'argent sont déclarés contrebande de guerre, dans le traité d'Utrecht même (art. XX)

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