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que les forces auxiliaires, fournies par lui conformément à des engagements antérieurs, se bornassent à agir exclusivement pour la défense de la Russie dans ses eaux et sur son territoire, et qu'elles ne fussent point employées à attaquer la Suède (1).

Le régime de la neutralité qualifiée nous paraît incompatible avec le caractère et les obligations de la neutralité perpétuelle et nous ne pensons pas que la Belgique puisse jamais se trouver dans le cas d'invoquer l'antécédent cité du Danemarck. En effet dans sa qualité d'État perpétuellement neutre, elle ne peut contracter pendant la paix des engagements qui l'obligeraient à prendre une part quelconque à la guerre, si elle venait à éclater entre ses alliés. La promesse faite par elle de secourir une Puissance étrangère d'un corps de troupes auxiliaires, soit dans une guerre déterminée, soit toutes les fois que cette dernière ferait la guerre, cette promesse serait nulle de plein droit, ou romprait sa neutralité. C'est là une conséquence rigoureuse et inévitable du caractère de perpétuité, qu'on a donné à celle-ci.

Il y a une dernière espèce de secours, que le droit des gens ne saurait proscrire et que l'État neutre n'est pas seulement libre mais en quelque sorte obligé d'accorder aux belligérants, mais dans l'administration desquels il doit s'attacher à observer la plus stricte impartialité et une égalité absolue entre les deux parties. Ce sont les secours que nous appellerions d'humanité. Voici comment un auteur français du droit des Gens s'exprime à leur sujet (2) : « Nous passerons sur les services d'humanité » qu'un État neutre peut rendre à l'une des nations belligérantes:

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soulager des blessés, recueillir des fugitifs, fournir des vivres à » des corps isolés, ne sont pas des actes d'hostilité; ils ne sauraient

(1) Voyez WURM, Neutralitaet etc., p. 289.

(2) Voyez DURAT-LASALLE, Droit des gens, p. 376.

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» être incriminés, parce qu'ils ne sont pas faits en vue de la » guerre mais en vue de l'humanité et qu'il y a lieu de présumer dans la même circonstance, l'autre nation pourrait compter que » sur les mêmes secours. Toutefois la conséquence ne serait pas » la même si l'État qui les fournit, n'obéissait qu'à un sentiment » de préférence marquée et témoignait une disposition exclusive, >> alors la plainte serait fondée, parce que l'État serait sorti des » conditions de la neutralité. »

III.

QUAND il est question du régime du territoire neutre, il faut distinguer le territoire continental du territoire maritime. Nous allons examiner d'abord les dispositions du droit des Gens qui se rapportent au territoire continental.

La neutralité ne restreint ni ne modifie en rien les droits souverains de l'État neutre sur son territoire, ces droits restent entiers et intacts. Seulement elle impose au gouvernement l'obligation d'empêcher qu'aucun acte d'hostilité ne soit exercé dans les limites de sa juridiction territoriale. A cet effet le neutre a le droit d'exiger que les Puissances belligérantes n'usent point de son territoire pour la guerre, qu'elles n'y commettent aucun acte de violence, qu'elles n'y commencent ou poursuivent des actes d'hostilité quelconques contre leur ennemi, ses sujets ou ses biens, qu'elles n'y prennent des armes, des munitions de guerre ou de bouche ou d'autres objets nécessaires à leurs armées pour des buts militaires, qu'elles n'y fassent aucun armement,

ni enrôlement ou rassemblement de troupes, qu'aucune partie de leurs forces n'y passe ou s'y établisse soit momentanément soit pour en faire le théâtre de la guerre. Les belligérants qui ont une fois reconnu la neutralité du territoire et aussi longtemps qu'ils la reconnaissent, sont obligés de s'abstenir strictement de tout acte de cette nature et l'État neutre a le droit d'employer au besoin tous les moyens qu'il croit convenables pour empêcher que de pareils actes ne se commettent sur son territoire. A cet effet il peut réunir des troupes à proximité des points qu'il croit menacés, garnir sa frontière de forces suffisantes pour en repousser toute agression et prendre toute mesure qu'il croit bonne pour défendre son territoire de toute violation, sans qu'elle puisse être considérée comme constituant un acte d'hostilité envers l'un ou l'autre belligérant. Le neutre qui emploie la force pour empêcher que les partis en guerre ne se servent de son territoire pour une opération militaire, n'est point pour cela censé prendre part à la guerre, et ne peut être accusé d'avoir pris fait et cause par sa résistance, pour l'adversaire de l'agresseur. En se bornant à faire respecter son territoire, il reste dans les termes d'une rigoureuse neutralité. S'il en résulte des dommages pour un des belligérants, c'est à l'auteur de la tentative de violation du territoire neutre, qu'il faut les attribuer, le neutre lui-même n'en peut jamais être rendu responsable. Le droit naturel et le droit positif reconnaissent également que les Puissances belligérantes sont tenues à ne faire aucun tort à celui qui veut rester neutre dans leur lutte, et à ne porter aucune atteinte à sa tranquillité. Si un belligérant manque à cette obligation, il se met à l'égard du neutre en état d'hostilité et autorise pleinement la résistance de ce dernier. Dans un grand nombre de traités les contractants stipulent expressément que de pareils actes ne seront ni commis par les belligérants ni soufferts par le neutre et

il n'existe pour ainsi dire pas de règlement de neutralité, où les mesures nécessaires pour les prévenir ou les repousser ne se trouvent arrêtées (1).

Si l'illégalité de tout acte dont l'effet serait de détruire l'inviolabilité du territoire neutre, ne saurait être douteuse, il n'en est pas de même d'autres actes dont le caractère paraît moins prononcé et en présence desquels les devoirs du neutre peuvent sembler incertains. Il se place ici une des plus importantes questions auxquelles le régime de la neutralité donne lieu, c'est celle de savoir si le territoire neutre doit toujours et en tout état de cause rester fermé aux belligérants, ou s'il y a des cas où le passage par ce dernier peut leur être accordé soit comme un droit soit comme une concession?

Commençons par exposer l'état de la doctrine sur cette matière, en reproduisant d'abord l'opinion de Vattel qui a traité cette question d'une façon particulièrement développée (2).

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« Le passage innocent, dit cet auteur, est dû à toutes les nations » avec lesquelles on vit en paix et ce devoir s'étend aux troupes » comme aux particuliers. Mais c'est au maître du territoire à juger si le passage est innocent et il est très difficile que celui » d'une armée le soit entièrement. Le passage de troupes et » surtout d'une armée entière n'étant point une chose indifférente, >> celui qui veut passer dans un pays neutre avec des troupes doit » en demander la permission au souverain. Entrer dans son » territoire sans son aveu, c'est violer ses droits de souveraineté » et de haut-domaine, en vertu desquels nul ne peut disposer de » ce territoire pour quelque usage que ce soit, sans sa permission » expresse ou tacite. Or on ne peut présumer une permission tacite

(1) DE MARTENS, Précis du Droit des Gens, § 312: des principes du Droit des Gens positif, relativement au territoire neutre.

(2) Voyez VATTEL, Droit des Gens, t. III, § 119-155.

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