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Il est une autre question se rattachant au passage du territoire qui mérite une attention plus particulière de notre part, c'est celle de savoir si la Belgique peut permettre à une nation voisine l'usage d'une ou de plusieurs routes militaires situées sur son territoire. De pareilles concessions sont assez fréquentes, surtout quand le pays qui les accorde se trouve placé entre les possessions de celui qui les demande, comme c'est le cas de la Belgique à l'égard du grand-duché de Luxembourg et des autres provinces du royaume de Hollande. Nous pensons qu'en temps de paix le gouvernement belge peut accorder une semblable permission sans porter atteinte à sa neutralité perpétuelle, à condititon toutefois d'introduire dans la convention à conclure à cet effet, la stipulation formelle, que l'usage de la route viendrait à cesser, si jamais la guerre éclatait entre les voisins de la Belgique et si la puissance à qui la concession aurait été faite, y prenait part.

On pourrait invoquer contre notre opinion la convention de Zonhoven, qui eut lieu avant le rétablissement de la paix entre la Belgique et la Hollande et dans laquelle l'usage d'une route militaire sur le territoire belge pour les troupes de l'armée des Pays-Bas, se rendant de Maestricht dans le Brabant septentrional et réciproquement, fut stipulé. Mais il faut remarquer que cet acte fut conclu par suite et sous l'empire de la convention de Londres du 21 Mai 1833, qui consacrait la suspension entière de toute hostilité entre la Belgique et la Hollande jusqu'à la signature de la paix définitive, et qu'en outre l'art. 10 de la convention de Zonhoven porte expressément : « que les articles » ci-dessus seront obligatoires à dater du jour de l'échange des » ratifications et jusqu'au jour où la convention du 21 Mai cessera » d'être en vigueur.

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IV.

Si le passage du territoire neutre est interdit aux forces militaires des belligérants, il doit en être de même de celui de tous les objets qui servent à faire la guerre. Aussi a-t-on toujours reconnu au gouvernement neutre le droit de défendre le transport sur son territoire de pièces d'artillerie, de munitions ou d'autres objets faisant partie du matériel de la guerre et appartenant à un belligérant. Il n'y a que quelques cas fort rares où la coutume du droit des gens paraît admettre des exceptions. C'est ainsi que les neutres ont quelquefois permis le passage de pareils objets, quand un belligérant évacuait une place forte et demandait à conduire par le territoire neutre une partie de son matériel, dans une place plus éloignée du théâtre de la guerre (1). On est allé plus loin, on a permis aux belligérants de diriger des convois d'artillerie ou de munitions à travers le territoire neutre

(1) Voyez des exemples dans MOSER, Versuche, t. X, I,

p. 275.

sur leurs places fortes, pourvu que ces places ne fussent au moment où le passage avait lieu, ni investies, ni bloquées, ni assiégées par un autre belligérant. C'est surtout la république des Provinces-Unies qui, au dix-huitième siècle pendant les guerres entre l'Autriche, la France, l'Angleterre et la Prusse, entra dans cette voie de concessions étendues et y alla beaucoup plus loin qu'il ne paraît compatible avec la nature des devoirs que lui imposait sa neutralité. En 1757 le ministre français à La Haye, le comte d'Affry, demanda aux États-Généraux d'ouvrir la Meuse et les places de Namur et de Maestricht aux convois de munitions envoyées des places du nord de la France, à l'armée française qui se formait sur le Bas-Rhin. Sur les représentations énergiques et très-fondées du ministre d'Angleterre, les ÉtatsGénéraux refusèrent d'abord de laisser passer les convois français par Maestricht, quant à la place de Namur, sur laquelle ils n'avaient pas de souveraineté et où ils ne possédaient que le droit de garnison en vertu du traité de Barrière, ils promettaient de l'ouvrir au passage, si la France obtenait le consentement de l'Autriche. Cette dernière étant l'alliée de la France, il était facile à prévoir que le consentement ne se ferait pas attendre. Aussi fut-il donné immédiatement et le ministre d'Autriche à La Haye dut même appuyer de toute son influence auprès des États-Généranx la demande de la France. Le représentant de celle-ci revint alors à la charge, et adressa un nouveau mémoire au gouvernement de la république, dans lequel il dit entr'autres (1) : « L. H. P. doivent sentir l'impossibilité de nous passer » de la Meuse pour le moment présent. Le besoin que nous en » avons, est même si pressant que S. M. a cru devoir me faire parvenir ses ordres par un courrier extraordinaire. Je ne peux

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(1) Voyez les pièces dans MOSER, Versuche, t. X,

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» douter que Vos Hautes Puissances ne me donnent la réponse » la plus prompte et la plus précise. V. H. P. la doivent à la » neutralité qu'elles ont embrassée, à l'impartialité qui en est » inséparable et à l'amitié du roi mon maître, dont les forces » rassemblées près d'ici seraient employées au secours de la république, si, en haine ou en dépit de sa neutralité, quelques » voisins jaloux ou inquiets voulaient l'attaquer ou la troubler » dans son repos, dans son commerce ou dans sa liberté. »

En réponse à cette seconde demande, les États-Généraux, après une courte délibération, accordèrent le passage sans autre observation et donnèrent les ordres nécessaires afin que Maestricht fût ouvert aux convois français. La même chose se répéta en 1760 : sur la demande de l'envoyé français un train de grosse artillerie destiné à l'armée du Bas-Rhin, put passer sur la Meuse et traverser sur une étendue considérable le territoire de la république, sans rencontrer la moindre opposition de la part de son gouvernement. Nous ne pensons pas que la Belgique pût imiter ces exemples sans compromettre gravement sa neutralité. Ce n'est que par une très-large interprétation des devoirs de cette dernière, que de pareilles concessions peuvent être expliquées.

Il paraît plus difficile de décider si les vivres doivent être compris ou non dans cette défense du passage par le territoire neutre. On peut citer un très grand nombre de cas où des Puissances neutres ont permis aux belligérants de s'approvisionner sur leurs territoires ou de recevoir par ce territoire des convois de subsistances (1). Cependant il est incontestable qu'il peut y avoir à la guerre des situations où une pareille tolérance

(1) Voyez les exemples cités par MOSER, dans l'ouvrage nommé plus haut, p. 287-289.

influe directement sur le succès des opérations militaires et où par conséquent elle pourrait être considérée par un belligérant comme une intervention indirecte dans la guerre de la part du neutre. Aussi ne voudrions-nous pas établir d'une façon absolue le droit de ce dernier à fournir, en tout état de cause, des vivres à un belligérant ou bien à en permettre le passage par son territoire. D'un autre côté quand on considère la pratique du droit des Gens maritime, qui ne comprend point les vivres parmi les objets formant « contrebande de guerre » et permet ainsi au neutre d'en amener sous son pavillon aux belligérants, il paraît impossible de défendre de fournir par terre, ce qu'il est parfaitement permis de fournir par mer. Dans tous les cas nous croyons que dans les concessions de ce genre le neutre doit procéder avec une grande prudence et beaucoup de circonspection, et surtout éviter toute mesure qui pourrait avoir l'air d'une partialité ou d'un concours quelconque aux opérations d'un belligérant.

Mais il est certainement défendu aux belligérants d'établir des magasins sur le territoire du neutre, ce dernier manquerait directement à ses devoirs s'il donnait la main à de pareilles entreprises et fournirait un motif très fondé à la violation de sa neutralité. Sur ce point le droit des Gens n'a jamais varié et il existe plus d'un exemple qui prouve le danger auquel le neutre s'expose en faisant de pareilles concessions. En 1796 l'armée française occupa Livourne et imposa de très fortes contributions de guerre à cette place, parce qu'on avait permis aux Anglais d'y former des magasins considérables, quoique la Toscane se fût déclarée neutre dans la guerre entre ces derniers et la république française (1).

(1) Voyez SCHOELL, Histoire des traités etc., I, p. 576, éd. de Bruxelles.

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