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Mentionnons encore relativement au régime territorial du neutre, un dernier point que dans certaines circonstances données il peut être important de remarquer. C'est que le neutre a le droit de demander qu'à proximité de ses frontières il ne soit formé sur le territoire d'aucun de ses voisins, qui ont reconnu sa neutralité, des établissements militaires qui pourraient compromettre ou menacer cette dernière. Ce droit a reçu par une disposition des traités de Vienne, une consécration toute particulière. Dans l'acte principal du congrès de Vienne, l'empereur d'Autriche, après avoir concouru aux stipulations qui déclarent la ville de Cracovie à perpétuité libre et strictement neutre, s'engage à ne former à proximité de ses frontières et sur le territoire autrichien, aucun établissement militaire qui pourrait menacer la neutralité de Cracovie (1). Déclarée et reconnue, de même que la république de Cracovie, État perpétuellement neutre, la Belgique pourrait très bien, nous semble-t-il, invoquer ce précédent, si jamais des travaux ou des créations militaires de ses voisins, entrepris à proximité de ses frontières, lui paraissaient compromettre la sûreté ou le maintien de la condition politique que l'Europe lui a assignée.

(1) Voyez l'art. 8 de l'acte du congrès de Vienne du 9 Juin 1815, dans MARTENS, N. R., t. II, p. 386.

V.

Les auteurs du droit des Gens comprennent par le terme de « territoire maritime » les districts ou parages maritimes susceptibles d'une possession exclusive, sur lesquels l'État a acquis par occupation ou convention et continue la souveraineté. Ils placent plus particulièrement sous le régime de ce territoire les parties de l'Océan qui avoisinent le territoire continental de l'État, les parties de l'Océan qui s'étendent dans ce territoire, si elles peuvent être gouvernées par le canon des deux bords, ou si l'entrée seulement en peut être défendue aux vaisseaux, et en dernier lieu, les détroits qui séparent deux continents et qui sont également sous la portée du canon placé sur le rivage, ou dont l'entrée ou la sortie peuvent être défendues (1).

Le territoire maritime de la Belgique ne comprend, dans son état actuel, ni détroits, ni golfes et se compose principalement

(1) Voyez KLUBER, Droit des Gens moderne de l'Europe, t. I, § 150.

des parties de la mer du Nord qui baignent ses côtes. Il importe d'abord d'en déterminer l'étendue en partant de la côte et en s'avançant dans la mer.

Il existe deux modes pour fixer les limites de ce territoire, c'est où par des traités avec les nations appelées à naviguer dans ces parages et dans lesquels on convient de l'étendue sur laquelle la domination de l'État riverain doit s'exercer, ou par le raisonnement. Les déterminations contenues dans les traités présentent une très grande diversité et ont cet inconvénient, qu'elles n'ont qu'une valeur fort restreinte ne liant que la nation avec laquelle le traité a été conclu. Dans les conventions de cette nature on accorde tantôt un espace d'une lieue tantôt de trois, tantôt de quatre, tantôt de dix lieues (on est même allé jusqu'à quinze), comme soumis au régime du territoire maritime. Pour éviter l'inégalité qui résultait de ces stipulations particulières, on a proposé d'adopter pour la fixation de ces limites des bases d'une nature plus générale, telles que l'étendue de l'horizon apparent, la portée de la voix humaine, etc. Mais il est facile de montrer l'insuffisance ou l'inapplicabilité de ces déterminations.

Il ne reste qu'un moyen d'arriver à une solution plus satisfaisante de la question. C'est de partir du principe qu'un des attributs essentiels et nécessaires de la domination souveraine consiste dans le pouvoir de protéger et de défendre ce qui se trouve lui être soumis, et d'arrêter les limites du territoire maritime là où s'arrête en partant de la côte et en se servant des moyens usités, le pouvoir de défense et de protection de l'État souverain du littoral.

Dans le droit des Gens moderne ce raisonnement a été presque généralement adopté, et l'on a fixé, en s'y conformant, l'étendue du territoire maritime à une portée de canon de la côte.

Cette détermination manque, il est vrai, de précision, mais elle est incontestablement préférable, comme étant plus logique, aux dispositions renfermées dans les traités, ou proposées par les auteurs appartenant à une époque plus ancienne. Une des plus importantes applications de ce principe fut faite dans le traité conclu à Londres le 19 Novembre 1794 entre l'Angleterre et les États-Unis d'Amérique. Voici ce que porte l'art. 25 de ce traité : « Aucune des deux parties ne souffrira que les vais» seaux ou effets appartenant aux sujets ou citoyens de l'autre, » soient pris à une portée de canon de la côte, ni dans aucune » des baies, rivières ou ports de leurs territoires, par des vais» seaux de guerre ou autres, ayant lettre de marque de prince, » république ou État, quels qu'ils puissent être. Mais dans le » cas où cela arriverait, la partie dont les droits territoriaux » auraient été ainsi violés, fera tous les efforts dont elle est

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capable, pour obtenir de l'offenseur pleine et entière satis>> faction pour le vaisseau ou les vaisseaux ainsi pris, soit » que ce soient des vaisseaux de guerre ou des navires mar» chands (1). "

La délimitation exacte de ce territoire présente une grande importance pour le neutre, dont la responsabilité est directement engagée dans les prises ou autres actes d'hostilité commis au dedans des limites de sa juridiction. Aussi les questions qui s'y rattachent ont-elles été agitées chez la plupart des nation. maritimes. En Angleterre on a compris dans le régime du territoire maritime, en dehors de son étendue ordinaire, encore certaines parties des mers adjacentes appelées « King's-Cham» bers (2).» En Amérique le gouvernement des États-Unis fut

(1) Voyez MARTENS, Recueil, etc., I, p. 685.

(2) Voici l'explication que WHEATON, Elements of international law, I, p. 217, donne de ce terme. « The exclusive territorial jurisdiction of the

dans le cas de s'occuper de cette question, en 1798 au cominencement de la guerre maritime contre la France pendant laquelle il observa la neutralité. Après l'avoir fait examiner, il ne prit point de décision définitive mais se borna à fixer provisoirement les limites du territoire maritime à une lieue marine de la côte. Il fut déterminé à prendre ce parti par la considération, que pour obtenir un résultat satisfaisant et généralement obligatoire, il fallait une transaction internationale à laquelle tous les peuples intéressés auraient concouru, chose impossible dans les circonstances où l'on se trouvait alors (1). Nous ne pen

» british Crown over the enclosed parts of the sea along the coasts of the Island » of Great Britain has immemorially extended to those bays called the King's» Chambers, i. e. portions of the sea cut off by lines drawn from one promon» tory to another. » Une proclamation de Jacques I du 2 Mars 1604 s'exprime ainsi à l'égard de ces King's-Chambers : « That all officers and subjects, by >> sea and land, shall rescue and succour all merchants and others, as shall fall » within the danger of such as shall await the coasts, in so near places to the >> hinderauce of trade ontward and homeward; and all foreign ships, when they » are within the King's-Chambers, being understood to be within the places » intended in those direction, must be in safety and indemnity, or else when » they are surprised must be restored to it, otherwise they have not the protection worthy of Our Majesty, and of the ancient reputation of those places.»> (1) WHEATON dans l'ouvrage cité, t. II, p. 143 et suivants, donne le récit de ce qui fut fait à cette occasion par le président des États-Unis. Comme le sujet présente un intérêt très direct pour nous, nous allons en transcrire une partie : « When the maritime war commenced in Europe in 1793, the Ame>> rican Government, which had determined to remain neutral, found it ne» cessary to define the extent of the line of territorial protection, claimed by >> the United states on their coasts, for the purpose of giving effect to their >> neutral rights and duties. It was stated on this occasion that governments >> and writers of public law had been much divided in opinion as to the distance >> from the sea coast, within which a neutral nation mighs reasonnaly claim a right to prohibit the exercise of hostilities. The caracter of the coast of the >> United states, remarkable in considerable parts of it for admitting no vessels >> of size to pass near the shore, it was thought would entitle them in reason to » as broad a margin of protected navigation as any nation whatever. The government, howewer, did not propose at that time, and without amicable >> communications with the foreingn powers interested in that navigation, to

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