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V.

LE vaisseau neutre, tant qu'il se trouve sur le territoire maritime du pays, auquel il appartient, est placé sous l'empire des lois de ce pays. Quand il sort de ce territoire et qu'il se rend dans un port étranger, il ne conserve point indéfiniment le caractère de « lieu neutre >> qui lui appartient sous certains rapports, mais qui ne va pas jusqu'à dessaisir la juridiction territoriale de l'État, où il se trouve, pour tout ce qui touche aux intérêts de cet État. Le vaisseau neutre admis dans un port étranger est de plein droit soumis aux lois de police qui régissent le lieu, où il est reçu. Les gens de son équipage sont également justiciables des tribunaux du pays, pour les délits qu'ils y commettraient, même à bord, envers des personnes étrangères à l'équipage et pour les conventions qu'ils pourraient faire avec elles. Mais il n'en est pas ainsi à l'égard des délits qui se commettent à bord du vaisseau neutre de la part d'un homme de l'équipage envers un autre homme de l'équipage. En ce cas les

droits de la Puissance neutre doivent être respectés, parce que il s'agit de la discipline intérieure du vaisseau, dans laquelle la puissance locale ne doit pas s'ingérer, aussi longtemps que son secours n'est pas réclamé et que la tranquillité du port n'est pas compromise (1).

Quand le navire neutre se trouve en mer, hors de tout territoire maritime d'une Puissance particulière, la juridiction propre de l'État auquel il appartient, reste entière à l'égard de tous les délits commis à bord contre les lois de cet État; mais à côté de cette juridiction, il en existe une autre qu'on peut appeler internationale et qui s'applique aux crimes commis par l'équipage du navire contre le Droit des Gens. Cette juridiction peut être exercée par une nation étrangère, toute nation ayant le droit de juger et de punir les crimes de cette nature, tels que la piraterie, la traite des noirs dans certains cas, et autres.

Le navire neutre, sauf les cas indiqués, étant ainsi en quelque sorte assimilé au territoire neutre, on pourrait croire que tout acte, qu'il est défendu à un belligérant de commettre sur le territoire du neutre, lui est également interdit à bord des navires neutres, et qu'il est tenu à s'abstenir en particulier de tout acte d'hostilité contre les personnes ou la propriété de son ennemi, du moment où elles se trouvent sous la protection du pavillon neutre. Mais cette conséquence quoiqu'elle paraisse parfaitement légitime, ne peut cependant être admise qu'avec restriction, même en théorie. Il faut d'abord distinguer entre les navires neutres mêmes. Les vaisseaux appartenant à l'État neutre, et naviguant avec une mission quelconque de la part de leur gouvernement, sont de l'aveu de toutes les nations maritimes

:

(1) Voyez Avis du conseil d'État de France, du 28 Octobre et du 20 Novembre 1806, dans SIREY, Recueil général des lois, etc.

assimilée en tout point au territoire de l'État. Aucun acte émanant d'une juridiction étrangère quelconque ne peut être exercé à leur bord, les droits propres des belligérants s'arrêtent devant les droits souverains et pour ainsi dire territoriaux du pavillon neutre ainsi porté. Cette immunité reste la même, que le vaisseau de guerre se trouve sur l'Océan qui n'appartient à personne, ou dans les limites du territoire maritime d'une Puissance particulière.

Il n'en est pas de même des navires qui sont la propriété de sujets de l'État neutre; considérés comme objets meubles, soumis au domaine d'un particulier, ces navires ne peuvent prétendre à aucun des priviléges qui appartiennent aux vaisseaux de guerre, comme «< portions du territoire de l'État.

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La juridiction que leur gouvernement exerce à leur bord, s'étend sur les personnes et les biens de ses sujets, ce n'est pas une juridiction territoriale proprement dite. Se trouvant en mer ces navires ne peuvent invoquer aucun titre, aucune qualité pour empêcher un belligérant d'exercer à leur égard des droits qui lui viennent du Droit des Gens.

Cette distinction une fois admise, et elle l'est assez généralement (1), il se présente une question dont la solution intéresse, au plus haut degré, le commerce du neutre et qui est relative au transport, à bord d'un navire neutre, d'objets appartenant à un belligérant, ainsi qu'au transport d'objets appartenant au neutre à bord d'un navire d'une nation en guerre. Il s'agit de savoir, si, dans le premier cas, l'ennemi du belligérant dont le navire neutre a chargé des biens, en rencontrant sur mer ce navire, peut exercer, à l'égard de ces biens, le droit de capture que le Droit des Gens lui donne sur la propriété de son ennemi, ou si le caractère neutre du pavillon sous la protection duquel navi(1) WHEATON, International law, II, 159, suiv.

guent les biens, s'oppose à cet acte d'hostilité. Dans le second cas la question porte sur le sort de la propriété du neutre, se trouvant à bord du navire d'un belligérant au moment, où ce navire est pris par un vaisseau ennemi. L'ennemi qui a incontestablement le droit de s'emparer du navire, doit il respecter la cargaison ou une partie de la cargaison, par la raison qu'elle appartient au neutre, ou peut-il la prendre par cela même qu'il la trouve à bord d'un navire de son adversaire?

Ces questions ont acquis une importance immense depuis l'époque où dans les guerres maritimes s'est introduit l'usage de comprendre les propriétés des sujets de l'ennemi parmi les objets, contre lesquels les hostilités doivent s'exercer, et où par conséquent toute guerre maritime devient nécessairement en même temps une guerre commerciale.

Il est très difficile de trouver à ces questions une solution satisfaisante, du moment où l'on se borne à les considérer sous un point de vue abstrait et purement théorique. En les envisageant ainsi, on arrive ou à un conflit entre les droits parfaits du neutre et les droits également parfaits du belligérant, ce qui n'est pas une solution mais l'aveu de l'impuissance du raisonnement abstrait de résoudre la difficulté et de tracer à la pratique des règles utiles et applicables, ou à exagérer au-delà de toute mesure les droits de l'une ou de l'autre partie, en ne tenant aucun compte des droits tout aussi légitimes de la partie adverse. C'est ainsi, pour n'en citer qu'un exemple, qu'on a soutenu la liberté absolue qu'aurait le neutre, de transporter en temps de guerre à bord de ses navires tel objet qu'il voudrait, sans se préoccuper du préjudice qu'il pourrait causer par là à un belligérant. « Sur l'Océan, dit Klüber (1), tout navire est censé être

(1) Voyez KLUBER, Droit des Gens moderne, § 299.

» exterritorial par rapport à toutes les nations étrangères. Un > navire marchand doit être considéré comme une colonie flottante de son État. En conséquence, aucune Puissance ne devrait » se permettre sur l'Océan de visiter un navire neutre, ni de

confisquer les biens ennemis qui pourraient y être chargés, etc.» Mais l'auteur oublie tout à fait, qu'on pourrait lui objecter, que des colonies, quand même elles seraient flottantes, restent toujours des immeubles, tandis que le droit civil de tous les pays, d'accord en cela avec la nature des choses, considère les navires comme meubles, que les propriétés mobilières ne peuvent être regardées comme faisant partie du territoire, et que par conséquent le navire marchand ne peut invoquer la protection du gouvernement dont il porte le pavillon, à titre de portion du territoire, mais seulement comme étant la propriété d'un sujet de ce gouvernement. Il résulte de là que le belligérant, qui saisit le bien de son ennemi à bord d'un navire marchand neutre, ne viole pas l'immunité du territoire neutre, mais prend, au milieu de la propriété d'un neutre, un objet, dont il peut d'après le Droit des Gens s'emparer légitimement.

On pourrait répondre que dans ce raisonnement on applique à tort à une question de Droit des Gens des notions et des distinctions créées par le droit civil et pour le droit civil. Mais il est à remarquer, que, même abstraction faite du droit civil, le navire marchand, considéré en lui-même, ne saurait être assimilé au territoire. Si le Droit des Gens lui reconnaît le privilége de l'exterritorialité, ce n'est que dans certains cas déterminés et nullement d'une manière générale et absolue. En dehors de ces cas, le privilége cesse et les droits créés par le Droit des Gens rentrent dans la plénitude de leur valeur et de leur applicabilité (1). En pratique deux systèmes ont été produits successivement et (1) La question de l'exterritorialité des navires neutres a été traitée dans

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