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et qu'eux-mêmes se gardaient bien de signer. Ce sceau, qui était d'une forme oblongue, figurait des emblêmes d'égalité ou de terreur; il représentait habituellement l'équerre, le niveau, le compas, le bonnet phrygien ou la hache du licteur.

Toutes les sociétés secrètes se recrutaient par les moyens ordinaires de l'embauchage; mais on n'était reçu dans leur sein qu'après un interrogatoire et une cérémonie spéciale. Voici, sauf quelques variantes, la formule habituelle de l'initiation:

L'initié, les yeux bandes, est placé à genoux sur deux couteaux en croix et sur deux pièces de cinq francs, et le dialogue, suivant s'engage entre lui et l'initiateur:

« Désires-tu être affilié à la société ? — Oui. >> Promets-tu de ne jamais révéler ses secrets? mets.

Je le pro

» Jures-tu d'obéir à tous les ordres qui te seront donnés, lors même qu'ils te prescriraient de tuer ton semblable?-Je le jure.

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» Que sens-tu sous tes mains? Je sens deux couteaux et deux pièces de cinq francs.

» Ces objets sont placés là pour t'apprendre que si l'appât de l'argent t'engageait à trahir la société, elle t'en punirait par la

mort.* »

En ce moment on débande les yeux au récipiendaire, et deux anciens affiliés saisissant les couteaux, les brandissent sur sa tête en disant :

« Oui, le frère qui vendrait nos secrets mériterait la mort, et nous la lui ferions subir. >>>

Une autre formule d'initiation plus sauvage encore a été trouvée lors d'une perquisition faite dans le canton de Valence. La voici :

« Je jure sur ces armes, symbole de l'honneur, de servir la République démocratique et sociale, et de mourir pour elle, s'il le faut. Je jure, en outre, haine à outrance à tous les rois et à tous les royalistes, et que mes entrailles deviennent plutôt la pâture des bêtes féroces que de jamais faillir à mon serment. Je le jure trois fois, au nom du Christ rédempteur.

» Je jure sur mon houneur, au nom de la sainte cause pour laquelle je viens d'être reçu, de marcher en tous lieux avec mes frères de la Montagne, prêter aide et assistance à tous les démocrates Je le jure trois fois, au nom du Christ rédempteur. » Plus bas se lisent ces mots :

« Je te baptiste enfant de la Montagne. »>

Voici l'interrogatoire que subissait préalablement le candidat: «Dis-moi, citoyen, quelles sont les raisons qui t'amènent ici ? -Dis-moi, citoyen, on m'a dit que tu m'avais dénoncé à la justice, est-ce vrai? Maintenant que tu as les yeux bandés et les

mains attachées derrière le dos, nous sommes maîtres de toi ; mais nous voulons avant t'examiner. Si, par exemple, ton frère ou ton père ne se trouvaient pas de ton parti, te vengerais-tu ? -Leur tirerais-tu dessus? Cela ne te serait-il pas pénible à faire? Maintenant on nous dit que le préfet fait circuler les listes pour la prolongation de la présidence. Les signeras-tu? -S'il te fallait prendre les armes pour la République, les prendrais-tu ?-Tu veux donc être républicain ? — Il nous faut ton sang? »>

Des signes particuliers de reconnaissance existent entre les affiliés appartenant à une même société secrète. Ils consistent ou dans la manière de saluer en s'abordant, ou dans des signaux d'avertissement. Ainsi, dans la société de laJeune-Montagne, dont plusieurs membres ont comparu devant le conseil de guerre de Lyon, un membre qui en rencontre un autre, demande L'heure! L'autre répond: Sonnée ! Le premier reprend: Nouvelle! — On doit lui répondre: Montagne!

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-

Une société secrète de la Drôme avait, il y a deux ans, pour mot de passe Attention! courage! Drôme! Depuis l'avortement du complot, de Lyon, ce mot de passe a été, à ce qu'il paraît, changé et remplacé par le mot Marianne. Dans les sociétés secrètes établies à Montpellier et dans les localités voisines, le signe de reconnaissance était: D. Connaissez-vous la mère Marianne? R. Oui, elle a du bon vin.

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Ce mot de Marianne et l'expression de boire à la santé de Marianne se sont également trouvés tout récemment dans des papiers importants saisis dans la Seine-Inférieure. On a tout lieu de croire que ce mot de Marianne, trouvé simultanément aux points les plus éloignés du territoire, au nord, au midi et dans l'ouest, et qui était évidemment le signe de ralliement de toutes les sociétés secrètes disséminées en France, était la traduction mystique des mots : République démocratique et sociale. C'était le mot de passe de l'insurrection générale organisée pour 1852.

Mais les sociétés secrètes n'avaient pas seulement des rapports organisés entre elles dans l'intérieur du pays. Elles correspondaient encore avec les comités de Londres et les réfugiés politiques réunis en Suisse.

La connivence des réfugiés de Suisse avec les meneurs du complot de Lyon a été manifestement établie.

Dans ces derniers temps, les émigrés de Suisse étaient organisés militairement et prêts à entrer en France au premier signal.

Il ne sera pas hors de propos de rappeler ici les faits principaux établis par les recherches de la justice militaire dans cette

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affaire si grave. De nombreuses poursuites ont donné la certitude au gouvernement qu'une insurrection avait été préparée aussitôt la présentation de la loi du 31 mai: la nouvelle du vote de la loi devait être le signal de la prise d'armes. La vigilance du pouvoir rendit tout mouvement impossible.

Les préparatifs faits par la démagogie n'ayant pas été mis en usage, Gent conçut le projet de les utiliser au profit d'une conspiration dont lui-même serait le chef. Organisation insurrectionnelle des quinze départements formant le sud-est de la France, dispositions concertées pour que l'insurrection se communiquât rapidement dans l'est, vers Besançon, Dijon et Colmar, et dans le sud-ouest vers Cahors, Toulouse et Bordeaux; intelligences pratiquées avec les réfugiés établis en Suisse; approvisionnements de poudre dans les départements de Saôneet-Loire, de l'Ardèche, du Gard, dans la Camargue, à Marseille, à Toulon; embauchages opérés dans la troupe; congrès général de délégués réunis à Valence, pour nommer un commandant général; autre congrès à Mâcon, pour se mettre d'accord avec une partie des représentants de la Montagne tels ont été les faits établis par la justice militaire à la charge de Gent et de ses complices, et qui ont motivé leur condamnation, le 23 août 1851.

Les désordres qui viennent d'éclater simultanément sur un grand nombre de points prouvent manifestement que l'organisation des sociétés secrètes a survécu a tous les coups qui lui ont été portés, en même temps que le caractère odieux des attentats commis suffit à faire juger des intentions abominables nourries par les conspirateurs. Il n'est pas hors de propos de faire remarquer que l'insurrection socialiste a éclaté avec le plus d'intensité précisément sur les points qui étaient signalés comme étant le plus travaillés par les sociétés secrètes, dans la Nièvre, dans le Jura, dans le Bas-Dauphiné, la Provence et le Languedoc.

C'est pour avril 1852 qu'on s'organisait on se flattait de devancer le pouvoir, on a été surpris par lui. Qu'il nous suffise de rappeler les termes d'une lettre émanée d'un des chefs de la Montagne, et qui a été publiée récemment dans une instruction judiciaire.

« C'est en 1852 seulement que la lutte doit s'ouvrir. On devait alors voter la Constitution à la main, s'organiser pour cela, non pas pour forcer les portes du collège et se retirer ensuite paisiblement chez soi, mais marcher en corps sur le chef-lieu du département, et y proclamer de nouveau la révolution triomphante de ses ennemis. >>

Du reste, le complot ne paraissait pas devoir se borner à la France. Le Comité central européen, qui de Londres dirige l'exécution de ces projets insurrectionnels dans toute l'Europe,

a adressé à ses émissaires des circulaires nombreuses que presse a reproduites.

Bornons-nous à rappeler celle du 1er août 1851. Elle contient la résolution prise par le comité central, et portant que la révolution devra éclater prochainement. Il y est enjoint aux membres de l'association d'envoyer sans délai des listes, des dépôts d'armes et des caisses publiques en Allemagne et en France, de former des tribunaux révolutionnaires, de choisir les hommes qui devront les diriger, et d'établir, d'un autre côté, des listes d'ennemis du peuple, qui, aussitôt après la révolution éclatée, devront être mis à mort.

Le 15 du même mois d'août 1851, le Comité allemand d'agitation publiait à Londres son manifeste, et les rapport du Comité allemand avec le Comité central européen étaient rendus évidents pour tous.

Enfin le Comité italien, toujours à Londres, ayant voulu contracter un emprunt de 10 millions, le Comité central européen donnait, le 27 novembre 1850, son approbation spéciale à cet emprunt, par une délibération signée Albert Darasz, ArnoldRuge, Ledru-Rollin, Joseph Mazzini.

RÉSUMÉ.

En définitive, les résultats qui nous semblent bien et dûment acquis, en ce qui concerne les sociétés secrètes, peuvent se résumer ainsi :

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4o Une très grande partie de la France, presque la totalité du pays, était couverte, comme d'un réseau, d'un nombre immense de sociétés secrètes, les unes se cachant dans l'ombre, les autres usurpant le masque de sociétés de bienfaisance.

2o Ces sociétés étaient affiliées entre elles, ou mises en rapport par des agents secrets, par des commis voyageurs traversant le pays en tous sens pour porter des instructions, rapporter des renseignements, maintenir partout l'unité de vues et entretenir une perpétuelle agitation. Les affiliations étaient établies par les signes et moyens de reconnaissance, par les sceaux, par les serments et formules d'initiation, par les mots d'ordre uniformes.

3o Les sociétés secrètes établies en France étaient soumises à la direction de comités centraux établis à Paris, Lyon et Londres, et étaient en rapport avec les réfugiés politiques établis en Suisse.

40 La démocratie militante était enrégimentée dans les sec-"" tions des sociétés secrètes, et pourvue d'armes et de munitions de guerre pour assurer le succès de ses projets.

A

LA JACQUERIE.

Ain.

La petite ville de Bâgé-le-Châtel possédait quelques démagogues qui, à la nouvelle des événements du 2 décembre, ne manquèrent pas de provoquer un mouvement insurrectionnel.

Le but était de soulever au son du tocsin les communes de la Bresse et de faire prendre les armes aux campagnes environnantes.

Le lundi 4, dans la soirée, une bande de brigands, armés pour la plupart de fusils et de faux, se présente à la mairie de Bâgé-le-Châtel, demandant les clefs d'une chambre qui renfermait des fusils. Sur le refus qui fut opposé, la porte fut enfoncée, les insurgés s'emparèrent d'une vingtaine de fusils de munition. Restés maîtres de la mairie, ils posèrent des factionnaires aux alentours.

Le lendemain, ils partirent de Bâgé dans l'intention d'aller à Mâcon, qu'ils croyaient au pouvoir des frères et amis de la Saône, d'après ce que leur avaient dit les meneurs du mouvement.

Arrivés à la Madeleine, ils apprirent qu'on les avait trompés, et que Mâcon jouissait de la plus parfaite tranquillité. Alors ils se débandèrent et jetèrent leurs armes dans une citerne, où elles ont été découvertes par les magistrats instructeurs. Les fusils étaient chargés à balles et amorcés.

Une heure après arrivaient les gendarmes et une compagnie du 39e de ligne, expédiés de Bourg par le préfet, ainsi que le juge d'instruction et le substitut du procureur de la République, A la suite de quelques arrestations, le calme ne tarda pas à être rétabli.

Allier.

Le 6 décembre, vers sept heures et demie du matin, une bande d'individus armée, venant du Donjon, envahit tout-à-coup Lapalisse; le sous-préfet reunit en hate quelques hommes et

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