Page images
PDF
EPUB

XXVI.

A 10 heures du matin eut lieu, rue des Petits-Augustins, 4, une réunion de députés montagnards, sous la présidence de M. Crémieux. L'autorité informée fit immédiatement partir des forces; la réunion fut cernée et les députés enlevés.

A la même heure se préparait, à la mairie du 10° arrondissement, la réunion des députés de l'ancienne coalition, qui n'eut lieu que de midi à une heure. Nous avons déjà dit que l'organisation du gouvernement nouveau, saisie dans les papiers de M. Baze, a fait connaître que l'Assemblée fondait de grandes espérances sur le concours de la 10° légion. Dès dix heures du matin, les garder nationaux furent en effet convoqués à domicile, ainsi que les députés.

Environ deux cents députés, appartenant pour la plupart au parti légitimiste et au parti orléaniste, se réunirent à la mairie, y prononcèrent force discours, et y votèrent, au nom d'une Assemblée dont ils ne formaient pas le tiers, la déchéance du Président. Les prétentions à la réquisition directe des troupes furent naturellement maintenues; M. le général Oudinot fut nommé au commandement de la garde nationale. M. Tamissier, député montagnard, fut le chef d'état-major donné à M. le général Oudinot.

Les harangues n'avaient pas manqué, comme bien on le pense, à la mairie du 10e arrondissement; harangues au dedans, harangues au dehors, harangues aux fenêtres, harangues dans la cour, harangues sur des tables, harangues sur des chaises. Les gardes nationaux accourus n'étaient par fort nomcreux, mais la masse du public était considérable. Il se montrait bort curieux, mais médiocrement passionné.

Informé de cette réunion, M. de Morny ordonna de la dissoudre et de l'enlever, en cas de résistance.

Un premier détachement de chasseurs à pied, envoyé par le gé néral Forey, quatre commissaires de police et de nombreux agents, commencèrent à changer la face des choses. Les chasseurs firent retirer les représentants qui haranguaient, et firent fermer les fenêtres. Les commissaires pénétrèrent dans la réunion. Le président affecta de les recevoir, comme s'ils venaient prendre.ses ordres. Les commissaires répondirent immédiatement qu'ils venaient, non pour se mettre aux ordres des ex-représentants, mais pour les arrêter, s'ils refusaient de se disperser à l'instant même.

L'engorgement des rues qui environnent la mairie du 10o arrondissement, et le nombre considérable de personnes à arrêter avaient

nécessité de nouvelles forces; le général Forey conduisit lui-même les renforts, et les représentants ayant déclaré qu'ils ne céderaient qu'à la force, un commissaire de police saisit, M. Benoit d'Azy, et l'entraîna. Toute résistance cessa à l'instant même; les représentants furent placés au centre de quatre files profondes de soldats, et conduits sans obstacle à la caserne du quai d'Orsay.

Quelques tentatives du général Oudinot, pour détourner les soldats de l'accomplissement de leurs devoirs, ne soulevèrent dans les rangs que des murmures. Reconnaissant un sergent qui avait assisté au siége de Rome, il lui dit : « Comment, c'est toi, Martin, qui me conduis en prison? - Pardon, général, répondit le sergent, mais je n'ai pas assez de pouvoir pour vous relever de cette punition-là. »

XXVII.

Les représentants arrêtés dans la journée s'élevaient à deux cent dix-sept. Ils furent, à l'entrée de la nuit, transférés à la prison Mazas, au Mont-Valérien et à Vincennes,

Pendant que s'accomplissait cette importante opération de la mairie du 10e arrondissement, M. l'archevêque de Paris était prié, avec déférence, de permettre que des agents armés fussent placés dans les tours ou clochers de toutes les églises de Paris, pour em pêcher les rouges d'exécuter leur projet de faire sonner le tocsin.

Enfin, à la même heure encore, la haute Cour de justice s'était spontanément réunie au Palais. Elle avait déjà rédigé l'arrêt en vertu duquel elle se déclarait saisie de la connaissance des événements, lorsque deux commissaires, appuyés d'un bataillon de garde municipale, entrèrent dans la salle, et exhibèrent l'ordre d'arrêter es membres de la Cour, si elle ne se séparait immédiatement. Aucune résistance ne fut opposée; la Cour se leva et se sépara à l'insant même, sans emporter les papiers placés devant le président, parmi lesquels le plus important était l'arrêt déjà rédigé, mais sans signature.

Ici finissent toutes les tentatives de résistance de la journée, tentatives partielles, sans résolution, sans écho, fondées sur l'absence complète et évidente de tout danger sérieux pour leurs auteurs; car, le 24 février, les deux Assemblées législatives, le Conseil d'Etat, la Cour des comptes s'étaient laissé dissoudre sans résistance; les orateurs politiques, qui avaient de belles occasions de faire des harangues, n'en avaient prononcé aucune; pas une seule

légion de la garde nationale ne s'était réunie pour protester. Et cependant, le 24 février, il ne s'agissait pas d'un appel loyal faît au pays, sous la protection de l'armée et de l'administration tout entière; le 24 février, tout s'écroulait, gouvernement, lois, finances, sécurité publique et privée; et tous les foudres d'éloquence et de guerre qui venaient de s'insurger, devant Louis-Napoléon Bonaparte maintenant l'ordre et sauvant la société, s'étaient tus et s'étaient enfuis devant la démagogie s'imposant à la France et menaçant l'Europe.

XXVIII.

· L'armée de Paris était de nature à écarter toute crainte; son effectif, sa bravoure, sa discipline, son dévoûment à l'ordre, ne permettaient pas de douter que la France ne pût, sous son égide, librement disposer de ses destinées, sans craindre ni les coteries des partis rivaux, ni la tyrannie brutale des socialistes et des démagogues.

Cette armée comprend onze brigades, savoir:

La brigade de Cotte,

La brigade de Bourgon,
La brigade Canrobert,

La brigade Dulac,

La brigade de cavalerie Reybell,

Ces cinq brigades composant la division Carrelet.

La brigade Sauboul,

La brigade Forey,

La brigade Ripert,

Ces trois brigades composnant la division Renaudl.

La brigade Herbillon,

La brigade Marulaz,

La brigade de Courtigis,

Ces trois brigades composant la division Levasseur.

Considérées au point de vue de leurs éléments, ces onze brigades

comprennent:

Dix-huit régiments d'infanterie de ligne,

Trois régiments d'infanterie légère,

Quatre bataillons de chasseurs à pied,

Deux bataillons de garde républicaine,

[ocr errors]

Deux bataillons de gendarmerie mobile,

Quatre compagnies du génie,

Une compagnie de mineurs,
Deux régiments de lanciers,
Deux escadrons de guides,

Deux escadrons de garde républicaine,
Deux escadrons de gendarmerie mobile,
Neuf batteries d'artillerie embrigadées,

Dix batteries d'artillerie non embrigadées.

C'est là l'effectif de l'armée de Paris, proprement dite, sans parler des garnisons environnantes, qui pourraient doubler cet effectif en quelques heuresr

Il n'a été appelé du dehors, pendant les journées de décembre, que la division de grosse cavalerie de Versailles, commandée par le général Korte, comprenant le 1er et le 2e régiments de carabiniers, le 6 et le 7° régiments de cuirassiers, et le 12e régiment de dragons.

XXIX.

Qu'on nous permette maintenant, pour faire apprécier cette armée, une esquisse du caractère et des services des officiers géné– raux chargés de diriger ses mouvements.

Le général de Saint-Arnauld, ministre de la guerre, est un esprit élevé, inventif, résolu. Formé dans la guerre d'Afrique, qu'il a faite pendant quinze ans, à l'école du maréchal Bugeaud, dont il était l'ami, il s'est révélé comme un chef militaire éminent, et dans son dernier commandement de la province de Constantine, et dans son expédition de la Kabylie, qu'il a conduite avec une grande habileté. Trois mois d'expédition. vingt-six combats, la campagne la plus rude de toute la guerre d'Afrique, une grande popularité dans l'armée, c'étaient là des garanties qui avaient désigné le général de Saint Arnaud à la confiance du chef de l'Etat, et qui le faisaient digne du grand et honorable rôle qu'il vient de jouer.

Le général Magnan, commandant supérieur de l'armée de Paris, est un ancien soldat de l'Empire. Officier brillant, d'une grande autorité dans l'armée, il a conduit, avec un remarquable talent de commandement, les opérations de ces derniers jours, et notamment celles de la journée décisive du jeudi 4. Ordres précis, bien donnés, prévision sûre, calme parfait.

1re DIVISION.

Le général Carrelet, commandant la première division, est un ancien colonel de gendarmerie. C'est un homme ferme et un officíer honorable, ayant beaucoup de commandement.

Le général de Cotte est un officier de cavalerie placé à la tête d'une brigade d'infanterie, et lui communiquant sa bravoure et son entrain.

M. de Cotte est une nature élevée et rare, réservée à un grand avenir; officier brillant de l'armée d'Afrique, nul n'a plus d'intrépidité calme et d'audace simple et naturelle.

M. de Cotte a attaqué de sa personne et le premier, la barricade de la rue Saint-Denis. Son cheval tué s'abat sous lui; le colonel du 72e est blessé, le lieutenant-colonel, l'adjudant-major sont tués, vingt hommes tués ou blessés tombent à ses côtés; et les soldats se sentaient profondément émus, au spectacle d'un courage si noble et si maître de lui.

Ce qu'il y a de distinction dans l'esprit et dans le caractère du général de Cotte n'est ignoré de personne dans l'armée, non plus que son chaleureux dévouement à la cause du Président de la République.

Le général Bourgon est un officier distingué, honoré du soldat, plein de résolution, d'intelligence et de sang-froid.

Le général Canrobert est un officier de grand avenir, et, comme on dit, hors ligne. Les combats de la guerre d'Afrique dans lesquels il s'est distingué ne se comptent pas. Au siége de Constantine, il était capitaine adjudant-major du brave colonel Combes, tué à ses côtés; pendant la lutte avec Bou-Maza, il commandait et entraînait le 5o bataillon de chasseurs de Vincennes; au siége de Zaatcha, il fit, à la tête des zouaves, l'admiration de l'armée, montant le premier à l'assaut, à la tête de vingt hommes, dont deux seulement restèrent debout avec lui.

Commandée par des hommes tels que le général Canrobert, une armée sent doubler son courage, et est irrésistible.

Le général Dulac est un officier de résolution, un homme de devoir et d'exécution. C'est lui qui, aux journées de juin enleva avec son régiment la grande barricade du faubourg Saint-Antoine et fut nommé général de brigade pour ce fait.

Le général Reybell, commandant la brigade de cavalerie, est un homme d'une énergie connue et éprouvée. Il avait déjà donné, aux journées de Février, la mesure de ses sentiments de loyauté et d'honneur; car c'est lui qui, esclave de son devoir, accompagna le roi jusqu'à Saint-Cloud.

« PreviousContinue »