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Montagnards, dont la plupart assurément ne savaient pas la nature et l'étendue des abominations qu'ils patronaient. Le Gouvernement connaissait toutes les mailles de ce réseau, et tenait dans ses mains tous les fils de cette trame communiste. Les rapports précis et détaillés dès préfectures et des parquets ne laissaient aucun doute possible sur les plans d'incendie, de pillage et de massacre, dont l'affaiblissement des pouvoirs publics aurait amené l'explosion certaine au mois de mai prochain, et qui pouvaient d'ailleurs éclater à la faveur de la première crisc.

C'était ensuite une conspiration, ourdie par les anciens partis, coalisés contre le Président de la République, avec le dessein de le renverser, et de lui substituer la dictature de l'Assemblée. Les projets, les plans, le personnel de cette conspiration étaient parfaitement connus de Louis-Napoléon. Lorsque nous la dénonçâmes hautement, dans le Constitutionnel du 24 novembre, les conspirateurs, quoique désignés par leurs noms, n'osèrent pas nous traduire à la barre de l'Assemblée, parce qu'ils supposaient, non sans quelque raison, que nous nous serions présenté avec des dates, des faits et des écrits, et que nous aurions accusé, au lieu de nous défendre. Cette conspiration des anciens partis était même si avancée dans son œuvre, qu'on a trouvé, dans les papiers de M. Baze, les décrets organiques du gouvernement nouveau, la distribution des principaux emplois, et la préparation d'une prise d'armes, fondée sur le concours présumé de la 10° légion de la garde nationale de Paris.

IV..

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On le voit, cette Constitution, que les parlementaires ont entourée, le 2 décembre, de tant de vénération hypocrite, était me- . nacée par eux d'une ruine prochaine; et le Président, chargé d'une responsabilité immense, ne pouvait plus hésiter.

Qui l'aurait retenu? Les partis étaient notoirement impuissants à sauver la France, et leur coalition n'eût pas survécu à leur triomphe. La légalité aggravait chaque jour les périls de la société, en affaiblissant le pouvoir; en fortifiant le communisme, en détendant le ressort de l'administration et des lois. Le Président était encore maître de ses mouvements; dans quelques mois, il eût été trop tard, pour lui et pour tout le monde.

En face d'un tel péril, pénétré de la confiance des six millions d'hommes qui lui avaient confié leurs destinées, et des devoirs que cette confiance lui imposait, il se résolut à sauver le pays, sachan

bien, qu'il donnait, comme gages de sa loyauté, sa tête aux passions du présent, sa mémoire au jugement de l'avenir..

C'est immédiatement après l'acte d'hostilité des questeurs que le Président prit son parti et ses mesures, pour une éventualité évidemment très prochaine. Trois hommes furent les confidents de sa pensée: M. de Saint-Arnaud, ministre de la guerre; M. de Morny, représentant du peuple, et M. de Maupas, préfet de police. LouisNapoléon leur fit connaître les dangers immenses qui menaçaient la société, et que chaque jour aggravait; il leur exposa les desseins qu'il avait formés pour les conjurer, et leur demanda leur concours; tous trois le promirent; M. de Morny, pour toute la responsabilité politique à encourir, comme ministre de l'intérieur, M. de SaintArnaud, pour les opérations militaires; M. de Maupas, pour l'action de la police.

Pendant plus de quinze jours, ces trois hommes arrêtèrent avec le Président, tous les détatis de cet acte immense, dont le dix-huit brumaire n'égale ni la difficulté, ni l'habileté,, ni la grandeur; et les moindres choses y furent prévues, concertées, détaillées, préparées, vaec un si merveilleux secret, que les amis les plus sûrs et les . agents les plus nécessaires n'en eurent pas même un soupçon, avant la minute suprême qui précéda la mise en scène.

V.

La simultanéité de toutes les mesures à prendre était évidemment la première condition du succès; et les mesures principales étaient au nombre de quatre: arrestation des personnes coupables on dangereuses, publication des actes officiels, investissement et occupation du palais de l'Assemblée, et distribution des troupes sur les points jugés nécessaires.

L'heure de six heures un quart fut fixée pour l'exécution simultanée de toutes ces mesures.

Il ne fallait pas que le plan se décélât par quelqu'une de ses parties, mais qu'il se révélat et qu'il s'imposât par son ensemble. A six heures un quart, les arrestations s'opéraient ; à six heures et demie, les troupes arrivaient à leurs postes; à sept heures, le décret de dissolution et les proclamations partaient de la Préfecture de police, pour aller couvrir les murs de Paris.

A six heures et demie précises, M. de Morny prenait possession du ministère de l'intérieur, accompagné de deux cent cinquante chasseurs de Vincennes, et remettait à M. de Thorigny une lettre dans laquelle le Président le remerciait de ses bons services, et lui faisait part de l'acte décisif auquel il s'était résolu.

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Ce qui concernait l'impression et la publication du décret de dissolution de l'Assemblée, de la proclamation à l'armée et de l'appel au peuple avait été confié à M. de Béville, lieutenant colonel d'état-major, officier d'ordonnance du Président. Les ouvriers nécessaires furent consignés à l'imprimerie nationale, pour un travail urgent; le directeur fut mandé à son poste, à onze heures précises, sous un prétexte décent; à minuit sonnant, une compagnie de gendarmerie mobile, demandée pour protéger l'imprimerie contre un danger supposé, entra dans la cour; des sentinelles furent immédiatement placées à toutes les portes et à toutes les fenêtres; et, seulement après ces précautions prises, M. de Béville produisit les pièces qui lui étaient confiées, et dont il surveilla personnellement jusqu'au bout l'impression et l'arrivée à la préfecture de police.

VI.

Les personnes dont la police devait opérer l'enlèvement étaient de deux sortes: les représentants plus ou moins engagés dans une conspiration flagrante, les chefs de sociétés secrètes et les commandants de barricades, toujours prêts à exécuter les ordres des factions. Les unes et les autres étaient surveillées et comme gardées à vue, depuis quinze jours, par des agents invisibles, et pas un de ces agents ne soupçonnait le but de sa mission réelle, ayant tous reçu des missions diverses et imaginaires.

Le nombre total des personnes à enlever s'élevait à soixantedix-huit, dont dix huit représentants, et soixante chefs de sociétés secrètes et de barricades.

Les huit cents sergents de ville et les brigades de sûreté avaient été consignés à la préfecture de police, le 1er décembre, à onze heures du soir, sous le prétexte de la présence à Paris des réfugiés de Londres. A trois heures et demie du matin, le 2, les officiers de paix et les quarante commissaires de police étaient convoqués à domicile. A quatre heures et demie, tout le monde était arrivé et placé, par petits groupes, dans des pièces séparées, afin d'éviter les questions.

A 5 heures, tous les commissaires descendirent, un à un, dans le cabinet du préfet, et reçurent de sa bouche la confidence pleine et entière de la vérité, avec les indications, les instrumens, et les ordres nécessaires. Les hommes avaient été appropriés avec un soin spécial au genre d'opération qui leur était confié ; et tous partirent, pleins de zèle et d'ardeur, résolus d'accomplir leur de

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voir à tout prix. Aucun n'a failli à sa promesse. Un grand nombre de voitures, préparées à l'avance, stationnaient, par groupes, sur les quais, aux abords de la préfecture de police, de manière à ne réveiller l'attention de personne.

Les arrestations avaient été combinées, entre le préfet de police et le ministre de la guerre, de façon à ce qu'elles précédassent d'un quart d'heure l'arrivée des troupes sur les lieux indiqués. Les arrestations devaient être opérées à six heures et un quart; et les agents avaient ordre de se trouver à la porte des personnes désignées, à six heures et cinq minutes. Tout s'effectua avec une merveilleuse ponctualité; et aucune arrestation n'exigea plus de vingt minutes.

VII.

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Quelques-unes de ces arrestations présentent des faits caractéristiques, et nous croyons digne d'intérêt d'en conserver les traits principaux.

Tous les détails que nous allons donner à cet égard sont scrupuleusement exacts, ayant été relevés sur les pièces officielles.

La plus importante de toutes, celle de M: le général Changarnier, avait été confiée à deux hommes d'une rare énergie, le commissaire de police Leras et le capitaine Baudinet, de la garde républicaine. Ils étaient assistés de quinze agents choisis, de trente gardes républicains et d'un piquet de dix hommes à cheval.

A six heures et cinq minutes, le commissaire de police sonnait à la porte de la maison du général, rue du faubourg Saint-Honoré, no 3. Le concierge, après le qui est là d'usage et la réponse, ouvrez, on veut vous parler, refusa d'ouvrir. Il devint dès lors évident que le concierge était sur ses gardes; et l'agent le plus rapproché reçut, à voix basse, l'ordre de continuer de parlementer avec lui, afin de l'occuper à la porte, et de l'empêcher de monter chez le général.

A côté de la porte, et dans la même maison, se trouve un magasin d'épicerie; quelques pratiques étaient déjà au comptoir. L'idée vint au commissaire que le logement de l'épicier devait communiquer dans la cour. Il entre, demande la clef de communication d'un ton impératif, l'obtient, et pénètre ainsi dans la maison, suivi de son monde. Le concierge avait déjà donné l'alarme par un grand bruit de sonnettes, aboutissant à l'appartement du general, et son domestique fut trouvé sur le palier du premier étage, au-dessus de

l'entresol. La clef de l'appartement, qu'il avait à la main, lui fut arrachée; le commissaire ouvrit la porte, et entra.

En même temps s'ouvrait, de l'intérieur, une porte de chambre à coucher, et le général parut, en chemise, nus pieds, un pistolet à chaque main.

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Le commissaire se précipita sur ses bras, et abattit ses armes, lui disant : « Qu'allez-vous faire, général? on n'en veut pas à votre vie; pourquoi la défendre? »

Le général resta calme, livra ses pistolets, et dit : « Je suis à vous, je vais m'habiller. »

Le général fut habillé par son domestique, et dit au commissaire: «Je sais que M. de Maupas est un homme bien élevé; veuillez lui dire que j'attends de sa courtoisie qu'il ne me prive pas de mon domestique dont je ne puis pas me passer. » Cette demande fut immédiatement accordée.

En route, et dans la voiture, M. le général Changarnier parla de l'événement du jour. « La réélection du Président était certaine, dit-il; il n'avait pas besoin de recourir à un coup d'Etat ; il se donne bien de la peine inutilement. » Plus tard il ajouta : « Quand le Président aura la guerre à l'étranger, il sera content de me trouver, pour me confier le commandement d'une armée. »>

VIII.

L'arrestation de M. le général Cavaignac ne fut ni plus difficile, ni plus longue. Entré dans la maison, rue du Helder, 17, le commissaire Colin engage le dialogue suivant avec le concierge

-

Où demeure le général Cavaignac? Il n'y est pas. Il faut absolument que je lui parle; je sais qu'il y est. Il n'y est pas du reste il dort. Vous venez trop matin; son logement. est à l'entresol.

On frappe à la porte, et l'on demande le général; une voix de femme répond d'abord : Il n'y est pas. Un moment après, le commissaire sonne de nouveau. Alors une voix d'homme demande: Qui est là? - Commissaire de police; au nom de la loi, ouvrez.Je n'ouvre pas. Général, je vais enfoncer la porte. Le général ouvrit alors lui-même.

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Le commissaire lui dit Général, vous êtes mon prisonnier. Toute résistance est inutile; mes mesures sont prises, j'ai l'ordre de m'assurer de votre personne, en vertu d'un mandat. dont je va vous donner lecture. C'est inutile.

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