Page images
PDF
EPUB

plus assez pour les hommes que de n'être pas vexés, on veut être aidé; de ne pas être garrottés, on veut être libre; de n'être point gouvernés, au contraire on veut l'être, mais d'une manière éclairée, et d'après des principes fixes. Ce n'est pas le frein que l'on redoute, mais la maladresse des mains qui l'imposent: on veut sentir les rênes bien maniées, pour leur céder son obéissance. Un despotisme même insensible ne suffit plus : on veut que la légalité se fasse ressentir ; l'esprit du temps est tout entier à la légalité : ce ne sont donc point des choses positives qui ont fait l'insurrection de Fernambouc, ce sont des négations. On n'apercevait point le Gouvernement, on a voulu en voir un qui fût ressenti par ceux qui le paient, et qui doivent en jouir. Quand, en comparant la recette avec la dépense, on trouve que l'une ne compense pas l'autre, que fait-on? que doit-on faire?

A Fernambouc, la mollesse, l'éloignément ont produit l'indifférence, et celle-ci à son tour a produit la séparation : les mé

nages indifférens sont toujours prêts à se séparer. Nous placerons ici un aveu, celui de nous être trompés complétement sur la direction qu'a prise le Brésil.A la vérité, nous pensions que le souverain de ce pays à la longue ne pourrait se soustraire aux influences de l'air qu'il respire dans son nouveau séjour, et que, devenu Américain par le lieu de sa résidence, il ne pouvait manquer de le devenir par le cœur. Aussi, étions-nous loin de soupçonner de sa part une attaque contre les indépendans de son voisinage, ni la séparation d'une partie de ses états, qui ont l'air d'avoir pris à l'égard de l'indépendance américaine l'initiative du rôle qui lui convenait à lui-même; tant il est vrai que, dans le temps actuel, les événemens dépassent toute attente, trompent toute prévoyance, et surprennent ceux-là même qui craignent le moins de les envisager face à face. Avouons aussi qu'il y a des fautes auxquelles on n'a pas le droit de s'attendre. Maintenant examinons l'affaire de Lisbonne. Elle est évidemment la suite du

pas

sage du roi au Brésil; et par là même, elle rentre dans l'ensemble du grand mouvement colonial dont nous analysons toutes les parties.

Pour ce dernier événement, du moins il n'y a pas lieu à surprise.

On lit aux chapitres 15 et 16 de l'ouvrage des Colonies, pages 51 et 52, vol. 2o, les passages suivans :

Quant aux anciens rapports du Brésil avec le Portugal, il est bien évident qu'ils sont entièrement intervertis. Le gouvernement passé au Brésil n'enverra plus en Portugal Les trésors du Brésil ; il les gardera pour luimême, et les consommera sur les lieux. Cependant ces tributs servaient à acquitter la balance du commerce, qui était contre le Portugal d'une somme de plus de soixante millions; il devra dorénavant faire face à cette dépense avec ses produits propres. Si le gouvernement du Portugal, métropole, s'occupait assez peu du Brésil, colonie, à son tour le gouvernement du Brésil, devenu métropole, n'accordera pas beaucoup plus

d'attention au Portugal tombé dans l'état do colonie. Transporté dans un pays tout neuf en lui-même, comme tout nouveau pour lui, dans lequel tout est à faire, où tout est vaste, riche, où la nature est grande, féconde, imposante, où la population surpasse déjà celle du Portugal, et, par son mélange, demande des soins et une attention soutenus,

le gouvernement du Brésil n'aura pas beaucoup de temps à donner à un pays éloigné qui lui paraîtra très-inférieur, sous tous les rapports, à celui qu'il occupera; les grands, les hommes qui ont le besoin des cours, ne passeront-ils pas de Portugal au Brésil? Le Portugal, devenu colonie, ayant à recevoir ses lois de loin, appauvri par le retrait des tributs du Brésil, par la suppression des dépenses de la cour et des grands, s'accoutumera-t-il à un changement par lequel il se sentira si vivement blessé? Consentira-t-il toujours à rester dans un état de colonie dépendante, à supporter ce qu'il a d'humiliant et de fâcheux dans toutes les parties de l'administration? Les deux fractions du même gouvernement ne se lasseront-elles pas de

relations si lointaines, si tardives, si incommodes? Et le Brésil ne sera-t-il pas aussi peu apte à gérer les affaires du Portugal, que le Portugal l'était à gérer celles du Brésil ? De plus, l'Europe verra-t-elle toujours le Portugal, colonie du Brésil, du même œil dont elle considérait le royaume de Portugal, métropole du Brésil, co-état européen de tous les membres de l'association souveraine de l'Europe? Ensuite, le souverain du Brésil ne passera-t-il pas nécessairement des affections de l'Europe aux affections de l'Amérique ? Il ne peut manquer de devenir tout Américain et anti-Européen, dès qu'il s'est fait extrà-Européen placé au centre du grand mouvement qu'éprouve ce vaste continent; il sera bien plus occupé de ce qui se passera à ses portes, que de ce qui se passera loin de lui. Ce changement, ce transport du gouvernement du Portugal en Amérique, dénature, dans son principe, l'état colonial du Portugal; ou plutôt, en le rendant luimême colonie, il a fait qu'il n'y a plus de colonies pour lui. »

« PreviousContinue »