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Les causes du complot de Lisbonne sont là; il est bien superflu d'aller les chercher ailleurs. Ce n'est point contre le roi de Portugal que l'on a conspiré en Portugal, c'est contre le gouvernement du Portugal exercé au Brésil; ce n'est point pour n'avoir pas de roi, mais au contraire pour en avoir un en Portugal: voilà ce qu'il faut bien entendre, et ce qui était inévitable.

On éprouve cette espèce de malaise que produit la réunion de l'indignation avec la pitié, à l'aspect des contre-sens qui engendrent tous ces malheurs; car presque toujours ce sont les fautes des uns qui deviennent la cause des crimes des autres.

Un pays, habitué de tout temps à posséder són souverain, le voit s'éloigner, l'attend pendant beaucoup d'années, perd l'espoir de le recouvrer; son absence fait fuir les capitaux, détourne ceux que l'on avait coutume de recevoir; les consommateurs diminuent, les grands s'exilent à la suite de la cour: il faut aller chercher à mille lieues, à

travers l'Océan, ce que l'on trouvait chez soi; les années s'écoulent dans l'attente des dé cisions demandées à des lieux si lointains ; on est humilié d'être gouverné et gardé par des étrangers; les gênes se font sentir de toutes parts; l'irritation se communique et se réunit comme dans un foyer, dans des têtes ardentes et des cœurs généreux (1). L'affran

(1) Les regrets des Portugais sont bien légitimes; mais les moyens dont ils usaient sont bien cruels. Tuer, massacrer, assaillir à coups de fusil le chef des troupes anglaises, si justement considéré parmi eux: voilà d'horribles procédés; et malheureusement les peuples du midi de l'Europe, comme ceux de l'Afrique, dans leurs inimitiés, n'en connaissent pas d'autres. Voyez ce qui s'est passé pendant la guerre d'Espagne, pendant l'occupation du royaume de Naples; considérez ce qui se passe dans toute l'étendue de l'Amérique; faites attention au débordement des crimes, des assassinats, des brigandages de toute espèce qui rendent l'Italie et l'Espagne impénétrables, sans les plus grands dangers, depuis que les Français s'en sont retirés. Ce penchant cette facilité qu'ont les peuples du midi à verser le sang dans toute querelle, soit politique, soit privée, forme

chissement de tant de maux paraît beau; pour l'obtenir, on conspire : le crime doit achever le succès; on éclate, ou bien l'on est découvert; alors des chaînes, des bourreaux, des échaufauds.... Or, qui a amené tout cela? L'abandon du pays par le souverain, avec les maux qui en ont été la suite. Les trônes sont des bénéfices à résidence. Il

un contraste bien frappant avec l'horreur que les peuples du nord ont pour l'effusion du sang, ainsi qu'avec la sûreté qui règne chez eux en tout pays et à toute heure. Le crime est très-rare au nord de l'Europe, dépourvue de l'échafaudage religieux, administratif, et des cours dispendieuses et despotiques qui pèsent sur le midi. Les cours du nord sont économes et simples, les mœurs calmes, les pratiques religieuses rares, le gouvernement tempéré. C'est tout le contraire au midi, et cependant c'est là que le philantrope Howardt a trouvé les prisons remplies, les crimes alroces, et l'assassinat en permanence. Est-ce donc que la superstition et la barbarie se tiendraient par la main, comme on est autorisé à le croire en considérant l'état de l'Espagne et de l'Italie, ainsi que celui de l'Afrique et de l'Asie.

y a deux intérêts incompatibles : celui du roi qui au Brésil ne veut pas se désister du Portugal, celui du Portugal qui ne veut pas se désister de son roi à Lisbonne, et là seulement. Ce qui vient de s'y passer, aurait eu lieu à Rio-Janeiro, si le roi était repassé en Portugal: ce n'est donc qu'un combat pour la présence du roi ; les intérêts sont inconciliables: celui du roi qui veut régner à la fois dans les deux pays, et celui des deux pays qui veulent, avec une égale force, garder chez eux le prince, qui cependant ne peut rester que dans un des deux, et qui font de son séjour dans leur sein la condition de leur obéissance. Le mal vient donc de la nature de cette double propriété; le prince a un autre intérêt que le pays, et le pays un autre intérêt que le prince; elle est très-bonne pour le prince, mais elle ne vaut rien pour un des deux pays. 11 faut choisir, être roi de Portugal en Portugal, ou du Brésil au Brésil : les deux à la fois ne sont plus possibles. Aujourd'hui les hommes en savent trop pour ne considérer les gouver

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nemens que du côté de la satisfaction des titulaires; ils veulent aussi y trouver la satisfaction des besoins de la société.

D'un autre côté, les colonies devenues fortes, riches, peuplées, en savent autant que les métropoles, sont aussi exigeantes qu'elles, et veulent être gouvernées pour elles, et non plus par des préposés envoyés d'un autre monde, et toujours prêts à y retourner. Dans ce conflit, qui cédera, des colonies ou des métropoles? Tout ce vieil ordre a donc croulé; il est désormais impossible que le même souverain règne en Europe et en Amérique, à Lisbonne et à Rio-Janeiro. En vain torturera-t-on les hommes pour leur faire accepter cet imbroglio; la nature des choses, plus forte que ces tortures, finira par les surmonter; c'est elle qui conspire et qui prend pour organes quelques hommes dans le sang desquels on va chercher le remède au mal que l'on a fait soi-même... Ils mourront ; mais le sentiment qui a créé l'acte qui les conduit à la mort ne mourra point, parce que, si l'on peut tuer les hommes, on

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