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CHAPITRE IV

PREMIER RETOUR OFFENSIF DE LA RÉVOLUTION1

1. Le particularisme et la Sainte-Alliance.

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II. L'Allemagne révolutionnaire en 1819. III. Teplitz et Carlsbad. IV. Les conférences de Vienne et l'Acte final de 1820. V. La France libérale, Decazes et Richelieu. VI. Révolutions d'Espagne et de Portugal. VII. La révolution de Naples et le congrès de Troppau. VIII. Révolution de Piémont, soulèvement de la Grèce et congrès de Laybach.

(1818-1821)

I

C'est de 1818 à 1821 que la Sainte-Alliance a montré le plus d'énergie et dévoilé avec le plus de hardiesse son programme de contre-révolution. Mais il s'en faut qu'elle ait eu dans sa politique, même à cette époque, l'uniformité de vues et la cohésion que sem

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1. SOURCES: Bianchi, Storia documentata della diplomazia europea in Italia (1815-18 6 1 ) ; Bignon, du Congrès de Troppau; Cantù, della Indipendenza italiana, t. II; Castlereagh, Correspondence; Colletta, Histoire du royaume de Naples depuis Charles VI jusqu'à Ferdinand IV (1734-1825), t. IV; Costa de Beauregard, la Jeunesse du roi Charles-Albert; Cornewall Lewis, Histoire gouvernementale de l'Angleterre depuis 1770 jusqu'à 1830; Deventer (van), Cinquante années de l'histoire fédérale de l'Allemagne; — Gentz (F. de), Dépêches inédites, t. I; Gervinus, Histoire du XIXe siècle, t. IX, X, XI, XII, XVI et XVII; HardenGordon, History of the Greek revolution; berg, Mémoires; Hyde de Neuville, Mémoires et Souvenirs, t. II; Hubbard (G.), Histoire contemporaine de l'Espagne, t. II; Juchereau de SaintDenis, Histoire de l'empire ottoman; - Lesur, Annuaire historique, années 1818Metternich (prince de), Mémoires, documents et écrits divers, t. III; Martignac (de), Essai historique sur la révolution d'Espagne; Pradt (de), l'Europe après le congrès d'Aix-la-Chapelle; Saint-Marc-Girardin, les Origines de la question d'Orient (Revue des Deux Mondes, 1er mai 1864); Soutzo (Alexandre), Histoire de la révolution grecque; Vaulabelle (Ach. de) Histoire des deux Restaurations, t. V; Viel-Castel (baron de), Histoire de la Restauration, t. VII, VIII, IX, X, etc.

1821;

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blait comporter son titre. Chacune des puissances qui la formaient ne voulait combattre l'ennemi commun qu'à son heure, sur son terrain, dans la mesure fixée par ses intérêts propres. Aussi leurs divergences, leurs jalousies, leurs rivalités, dissimulées tant bien que mal pendant la paix, se manifestèrent-elles progressivement en présence d'une agitation générale qui paraissait devoir raviver chez les souverains le sentiment de leur solidarité.

Le particularisme que nous signalons se fait remarquer dès lors même chez celui des gouvernements alliés qui se proclamait le plus résolument conservateur et qui recommandait l'union avec le plus de persistance. Nous avons nommé l'Autriche.

II

Si le réveil des nationalités et le progrès des idées libérales paraissaient en tous lieux à la cour de Vienne choses fort dangereuses, c'est spécialement en Allemagne qu'elle croyait urgent de remédier au mal. Mais en ce pays, regardé par elle comme une annexe nécessaire de son domaine et où elle prétendait exercer une prépondérance exclusive, il ne pouvait lui convenir de partager le profit de la répression avec des puissances intéressées à restreindre son autorité sur la confédération germanique. Il va sans dire, par exemple, qu'elle n'y eût pour rien au monde appelé la France à seconder sa politique. Elle n'y voulait point voir non plus intervenir la Russie, qu'elle trouvait déjà si menaçante pour elle sur d'autres points. Il n'était pas jusqu'à l'Angleterre qu'elle ne souhaitât aussi de pouvoir en écarter, craignant sans doute que, par le Hanovre, l'influence britannique ne gagnât de proche en proche et ne parvint à contre-balancer la sienne en Allemagne. A plus forte raison n'eût-elle pas été fachée d'agir sans la Prusse, dont la sourde et persistante rivalité n'était pas sans l'inquiéter. Mais il n'était pas possible de se passer d'elle. Metternich sentait bien que s'il ne l'associait pas à sa réaction, il ne resterait au cabinet de Berlin qu'à prendre la direction du mouvement révolutionnaire. Il aimait donc mieux avoir la Prusse dedans que dehors. Le profit serait double car il l'inféoderait à l'Autriche d'une part, et, de l'autre, la rendrait impopulaire. Aussi, pendant toute

l'année 1818, et mème antérieurement, n'avait-il rien épargné pour gagner à ses vues le roi Frédéric-Guillaume et le convaincre de la nécessité où il était d'unir ses forces à celles de l'empereur François pour refouler la barbarie jacobine.

Ce souverain, pénétré jusqu'aux moelles de doctrines absolutistes, n'avait pas été fort difficile à persuader. Metternich avait même converti Hardenberg, moins peut-être par la force de ses raisons que par une courtoise intimidation. Dès le temps d'Aixla-Chapelle, le plan de la contre-révolution allemande avait été ébauché par le ministre autrichien, d'accord avec le chancelier de Prusse. Mais Frédéric-Guillaume, esprit vacillant, qui n'avait de sa vie su prendre un parti sans retour, semblait, au commencement de 1819, repris de velléités libérales. Il parlait de nouveau timidement de donner enfin à son peuple la charte promise en 1815, rappelait aux affaires Humboldt, précédemment disgracié et qui l'entretenait dans ses nouvelles dispositions. Ce ministre était autorisé à élaborer un plan de constitution. Stein en discutait avec lui les points fondamentaux. On comprend cette évolution quand on se rappelle que certains souverains allemands, aussi peu épris au fond que le roi de Prusse des principes. de 1789, cherchaient à ce moment même à esquiver l'hégémonie de Vienne ou de Berlin et à capter la sympathie de la nation alle

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1. C'est ce qui résulte des deux mémoires qu'il adressait le 14 novembre 1818 à Wittgenstein, après l'avoir communiqué à Hardenberg. Dans le premier, il s'attachait à démontrer que le système représentatif serait funeste à la monarchie prussienne, que Frédéric-Guillaume ne devait pas se laisser lier les mains et qu'il tiendrait suffisamment ses promesses en rétablissant les anciennes institutions particulières des provinces, c'est-à-dire en créant des Etats locaux, qui ne fussent pas organisés sur un modèle uniforme, qui n'eussent entre eux aucun lien et qui, purement consultatifs, privés d'initiative, n'eussent que des attributions administratives. Dans le second, il attaquait fort vivement les Universités, où les jeunes gens allaient, disait-il, se former à la discipline révolutionnaire, les sociétés de gymnastique, qui n'étaient, à ses yeux, que des foyers de jacobinisme, et la liberté de la presse, qu'il était grand temps, selon lui, de refréner.

2. Humboldt (Guillaume de), poète, critique, philologue et homme d'Etat (frère d'Alexandre de Humboldt), né à Potsdam le 22 juin 1767; - ministre résident de Prusse à Rome (1802); conseiller d'Etat et chef de la section des cultes et de l'instruction publique (1808); ministre plénipotentiaire à Vienne (1810); représentant de la Prusse au congrès de Prague (1813), puis au congrès de Châtillon (1814), au congrès de Vienne (1814-1815); envoyé extraordinaire à Londres (1816); - ministre d'État et membre de la commission chargée de préparer la constitution prussienne (1818); renvoyé le 31 décembre 1819; voué dès lors uniquement à l'étude; mort le 8 avril 1835.

mande en octroyant spontanément à leurs sujets le régime parlementaire. Ainsi, dès 1816, avait procédé le grand-duc de SaxeWeimar, imité bientôt par plusieurs de ses voisins'. Le roi de Bavière, déçu dans les espérances d'agrandissement territorial que lui avait fait naguère concevoir l'Autriche et désireux d'attirer à lui la popularité qui se détournait de Frédéric-Guillaume, mettait en vigueur, dès le 26 mai 1818, une constitution, peu démocratique sans doute, mais qui n'en était pas moins une victoire sérieuse pour le parti de la Révolution. Le grand-duc de Bade, qui avait craint et craignait encore d'être dépouillé de plusieurs provinces au profit des Bavarois, se hâtait d'en publier une beaucoup plus libérale (22 octobre 1818) 2. Le roi de Wurtemberg, voisin de l'un et de l'autre, avait cru devoir rédiger en 1817 un pacte dont il eût fait dès cette époque la loi fondamentale de son pays, si diverses réclamations ne l'eussent forcé de le remettre pour quelque temps à l'étude. Voilà pourquoi le roi de Prusse, craignant de perdre tout crédit en Allemagne s'il ne suivait, du moins en apparence, de pareils exemples, paraissait, lui aussi, incliner vers le parti des concessions.

Mais Metternich, fort alarmé, lui remontra qu'il se perdrait par cette faiblesse; que l'on ne faisait point sa part à l'esprit révolutionnaire; qu'il ne s'agissait point pour les agitateurs allemands de fonder dans les divers États de la Confédération la monarchie parlementaire, institution d'ailleurs détestable, mais de renverser tous les trônes, d'abolir tous les pouvoirs, de bouleverser tous les rangs et d'inaugurer dans l'Allemagne unifiée le règne sanglant de la démagogie. Une certaine effervescence se manifestait effectivement, sinon dans le sud de l'Allemagne, où les sujets étaient jusqu'à un certain point satisfaits, du moins dans le centre et dans le nord, où l'absolutisme, la bureaucratie et la féodalité, soigneusement restaurés, jetaient chaque jour de plus insolents défis à l'esprit moderne. Là les Universités, jouissant, grâce à leurs antiques privilèges, d'une indépendance presque absolue, étaient devenues les foyers d'une propagande menaçante pour les cou

1. Notamment par le duc de Saxe-Cobourg-Saalfeld en 1816 et par le duc de Saxe-Hildburghausen en 1818.

2. Elle admettait par exemple fort nettement le principe de la responsabilité ministérielle et celui de la publicité des débats parlementaires.

ronnes. La presse, favorisée dans certains petits États 1, répandait des doctrines unitaires et démocratiques qui, si elles ne passionnaient pas la masse de la nation, exaltaient jusqu'au fanatisme la jeunesse des écoles. Les associations politiques se multipliaient et commençaient à se relier entre elles. La Burschenschaft d'Iéna, fondée en 1816, devenait en octobre 1818 une fédération dans laquelle s'enròlaient en masse les étudiants de presque toutes les Universités. On allait dans ces assemblées jusqu'à soutenir que la fin justifie les moyens, que toutes armes sont bonnes envers les traîtres ou les tyrans et que non seulement l'insurrection, mais le meurtre individuel peut être, dans certains cas, un acte méritoire.

Nul, dans l'entourage de Frédéric-Guillaume, n'osa plus taxer d'exagération les pronostics sinistres de Metternich quand on apprit l'assassinat de Kotzebue, écrivain célèbre, mais à ce moment fort impopulaire, que l'étudiant Karl Sand alla froidement poignarder à Manheim le 23 mars 1819 2. Le ministre autrichien, qui voyageait alors en Italie avec son maître, fut fort ému par cet événement; mais il se dit qu'à tout prendre c'était un fait heureux, parce que de l'excès du mal allait enfin naître le bien et qu'il ne serait plus possible au roi de Prusse de fermer les yeux

1. Surtout dans le grand-duché de Saxe-Weimar. Les principes constitutionnels étaient à cette époque défendus avec beaucoup d'éclat par la Némésis, de Luden; les Archives de la constitution politique (Staatsverfassungsarchiv); l'Isis, d'Oken; le Journal de l'opposition (Oppositions blatt); le Nouveau Mercure rhénan; l'Ami du peuple (Volksfreund), de Wieland. - Dans les provinces du Rhin, le Mercure rhénan, le Veilleur (Wachter), et autres feuilles violemment patriotiques donnaient le ton à la presse, qui se faisait surtout remarquer par ses attaques contre la France.

2. Kotzebue (Auguste-Frédéric-Ferdinand de), auteur dramatique et publiciste allemand, fameux dès sa jeunesse pour sa fécondité, la vivacité de sa plume, mais aussi pour sa vanité et son caractère versatile. Né à Weimar en 1761, il entra de bonne heure au service de la Russie, devint en 1792 président de justice du gouvernement de l'Esthonie, retourna en Allemagne, fut deux ans directeur du théâtre de la cour à Vienne (1798-1800), reparut en Russie, fut déporté, comme pamphlétaire, en Sibérie, mais, bientôt rappelé, devint directeur du théâtre allemand de Saint-Pétersbourg et conseiller aulique (1801). Il se retira ensuite à Weimar (1802), alla, après la bataille d'Iéna, rédiger à Saint-Pétersbourg des revues hostiles à la France, fut attaché en 1812 à l'armée russe comme écrivain officiel, contribua en 1813 par ses écrits au soulèvement de l'Allemagne et prit une certaine importance politique. Consul général de Russie en Prusse de 1814 à 1816, il fut en 1817 chargé par Alexandre Ier de lui rendre un compte périodique de l'état de l'opinion en Allemagne. C'est dans un sens tout à fait contraire aux aspirations germaniques du temps qu'il rédigea cette correspondance. De là l'indignation de la jeunesse universitaire, dont il fut victime.

Debidour.

1.

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