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vous qu'il soit facile de maintenir les traités et la paix? Il faut que l'honneur de la France aussi soit maintenu; il commandait ce que je viens de faire. J'ai droit à la confiance de l'Europe et j'y ai compté. » Devant une pareille fermeté tout le monde finit par s'incliner. La cour d'Autriche continua de maugréer, mais elle n'osa exiger l'évacuation d'Ancône; la cour de Rome elle-même dut se résigner à voir flotter sur les murs de cette ville le drapeau de la révolution et, par une convention du 16 avril, il fut stipulé que les troupes françaises y séjourneraient tant que les forces autrichiennes seraient maintenues dans les Légations.

X

Metternich savait bien, sans l'avouer, que le sort de l'Italie dépendait maintenant de la France et que, si la nouvelle garnison d'Ancône en donnait le signal, la révolution s'étendrait en quelques jours des Alpes au détroit de Messine et même plus loin. Aussi jugea-t-il bon de ne pas pousser à bout le gouvernement de Juillet en persistant dans son opposition au traité des vingt-quatre articles. Peut-être, malgré tout, se fût-il entêté à repousser cet arrangement, si la Prusse se fût jusqu'au bout associée à sa résistance. Mais la cour de Berlin capitulant pour son compte, il céda de son côté, si bien que, dès le 18 avril, l'acte qui constituait définitivement l'État belge fut ratifié tout à la fois au nom de François Ier et de Frédéric-Guillaume III '.

Si le gouvernement prussien, malgré les liens étroits qui l'unissaient à la cour de la Haye, avait fini par l'abandonner, c'est que l'exemple de la défection lui avait été donné par la Russie. L'empereur Nicolas, plus porté qu'aucun souverain à protéger le roi des Pays-Bas, dont le fils aîné était son beau-frère, avait lui

1. Les deux grandes puissances allemandes n'adhérèrent, il est vrai, au traité que sous certaines réserves de détail, dont elles devaient abuser plus tard pour provoquer de nouvelles complications, comme on le verra dans le chapitre suivant.

2. Il ne faut pas perdre de vue que Guillaume I, roi des Pays-Bas, était, par sa mère, petit-neveu du grand Frédéric et qu'il avait épousé une sœur du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III.

même, en février, envoyé un de ses conseillers, le prince Orloff', vers ce souverain, pour l'engager à la résignation; puis, le gouvernement hollandais s'obstinant à demander de fort graves modifications au traité, il lui avait fait savoir qu'il n'approuvait pas ses exigences et qu'il ne pouvait plus le soutenir (fin de mars 1832) 3.

La condescendance du czar aux vues de l'Angleterre et de la France eût été inexplicable, surtout après sa victoire sur les Polonais, si elle n'eût eu pour raison d'être la question d'Orient qui, à ce moment, plus que jamais, préoccupait la cour de Saint-Pétersbourg. Depuis la capitulation de Varsovie, Nicolas avait dû tourner ses regards d'abord vers la Grèce, et ensuite vers la Turquie, où semblaient s'annoncer de nouveaux orages. Dans le premier de ces deux États, son influence avait été mise en péril par la mort de Capo d'Istria, que les frères Mavromichalis avaient assassiné à Nauplie le 9 octobre 1831. Un frère de ce personnage avait prétendu lui succéder au pouvoir. Mais la plus grande partie de la Grèce s'était soulevée contre lui et il avait dû résigner ses fonctions le 10 avril 1832. L'empereur de Russie avait employé plusieurs mois à négocier avec la France et l'Angleterre d'une part,

1. Orloff (Alexis-Fodorovitch, prince), né à Moscou en 1786; adjudant du grand-duc Constantin; colonel de la garde à cheval lors de la révolte militaire de Saint-Pétersbourg, qu'il aida puissamment à comprimer (déc. 1825); chargé, après avoir commandé une division contre les Turcs (1828), de négocier la paix à Andrinople (sept. 1829); ambassadeur extraordinaire à Constantinople (1830); chargé d'une mission en Pologne (1830-1831), puis envoyé à Londres pour y traiter des affaires de Belgique (1832); mis à la tête de l'armée envoyée par le czar au secours du sultan et principal auteur du traité d'UnkiarSkėlessi (1833); nommé successivement général de cavalerie, conseiller d'État, commandant de la gendarmerie (1844), directeur de la police secrète; il prit part aux conférences de Berlin et d'Olmütz en 1853, accomplit sans succès à Vienne, au commencement de 1854, une mission confidentielle de son souverain, représenta la Russie au congrès de Paris (1856), reçut le titre de prince, la présidence du conseil de l'empire, celle du conseil des ministres, et mourut à Saint-Pétersbourg en 1861.

2. Il exigeait en effet : 1° la rectification de l'article relatif à la navigation intérieure et au droit de pilotage et de balisage sur l'Escaut; 2o la suppression du projet de route ou canal à l'usage des Belges dans le Limbourg; 3o la capitalisation de la partie de la dette attribuée à la Belgique; 4° un arrangement sur la liquidation du syndicat d'amortissement en harmonie avec les propositions précédemment énoncées par le cabinet de la Haye; 5° un accroissement de territoire dans le Limbourg; 6o le renvoi à une négociation ultérieure de la question du Luxembourg.

3. Le traité des vingt-quatre articles fut officiellement ratifié par le gouvernement russe au commencement de mai.

4. Jean-Marie-Augustin, comte de Capo d'Istria, mort en 1842.

avec la Porte de l'autre, pour donner un roi aux Hellènes et s'assurer leur reconnaissance en leur procurant un accroissement de territoire. Au moment où nous sommes arrivés, il avait à peu près réussi. Le protocole du 7 mai 1832, signé à Londres, conférait la couronne de Grèce au jeune Othon de Bavière et lui promettait les garanties naguère offertes à Léopold. Il lui faisait aussi espérer que son royaume, borné à l'embouchure de l'Aspropotamo, serait étendu jusqu'au golfe d'Arta. De ce côté done, l'horizon semblait enfin s'éclaircir. Mais il s'assombrissait de plus en plus en Turquie, où le sultan, qui s'épuisait en vaines tentatives de réformes, était menacé par le plus puissant de ses vassaux. Méhémet-Ali, pacha d'Egypte, frustré dans l'espoir d'obtenir le gouvernement de la Morée, cherchait à se dédommager en conquérant la Syrie3. Son fils Ibrahim avait pénétré en armes dans ce pays; il assiégeait Saint-Jean-d'Acre depuis le mois de décembre 1831; cette place allait bientôt succomber; et le czar, réservant ses forces pour protéger Mahmoud, devenu pour ainsi dire son vassal, était, on le comprend, fort peu disposé à provoquer de nouvelles complications en Occident.

En résumé, vers le milieu de 1832, l'Europe, un moment ébranlée par la commotion de juillet, avait à peu près retrouvé son repos. Les traités de 1815 avaient subi de larges accrocs. La France avait fait reconnaître son droit à disposer d'elle-même. La Belgique était affranchie et neutraliséc. L'Italie n'était plus exclusivement dominée par l'Autriche. La Pologne, il est vrai, n'était pas parvenue à rompre ses fers. La Sainte-Alliance cherchait à se reconstituer, sans y réussir. La Révolution était contenue par la puissance même qui avait paru prête à la déchaîner en 1830. L'équilibre, tant bien que mal rétabli entre les puissances, semblait avoir pour principal garant l'énergique ministre que Louis-Philippe subissait sans l'aimer depuis le 13 mars 1831. Et c'est juste à ce moment (16 mai) que mourut Casimir Périer, emporté par l'épidémie de choléra qui sévissait alors à Paris.

1. Fils du roi Louis de Bavière; né le 1er juin 1815; roi des Hellènes en 1832; renversé en 1862; mort à Bamberg le 26 juillet 1867, sans enfants de son mariage avec la princesse Amélie d'Oldenbourg.

2. Cette extension fut en effet accordée par la Porte le 16 septembre suivant. moyennant une indemnité de douze millions de piastres.

3. Il disait avoir à se plaindre du pacha de Saint-Jean-d'Acre et, malgré l'opposition du sultan, prétendait se faire justice lui-même.

CHAPITRE IX

1 UNE « ENTENTE CORDIALE »

1. Les puissances occidentales et les cours du Nord en 1832.

II. Affaires de Belgique traité du 22 octobre et siège d'Anvers. III. Question d'Orient : Mahmoud, Méhémet-Ali et Nicolas; traités de Kutaya et d'Unkiar-Skėlessi. IV. Politique de la Sainte-Alliance: Teplitz et München-Grætz. — V. Metternich et la contre-révolution. — VI. Le Portugal, l'Espagne et la quadruple alliance. (1832-1834)

I

La contre-révolution, représentée par les trois grandes cours du Nord, avait été quelque temps rassurée et contenue par Casimir Périer. Après lui, elle redevint inquiète et se montra plus hardie.

A peine cet homme d'État avait-il disparu que le gouverne

Bollaert (W.),

1. SOURCES: Blanc (L.), Histoire de dix ans, t. III et IV; The wars of succession of Portugal and Spain; Bulwer, Life of Palmerston, t. II et III; Canitz-Dallwitz (baron de), Denkschriften, t. I; Capefigue, l'Europe depuis l'avènement du roi Louis-Philippe, t. VI et VII; — Carné (L. de), la Belgique, sa révolution et sa nationalité (Revue des Deux Mondes, 15 juin 1836); Deventer (van), Cinquante années de l'histoire fédérale de l'Allemagne; Guizot, Mémoires, t. II, III et IV; Haussonville (comte d'), Histoire de la politique extérieure du gouvernement français, t. I; — Hillebrand (K.), Geschichte Frankreichs, t. I; · Hubbard, Histoire contemporaine de l'Espagne, t. II et III; Lesur, Annuaire historique, années 1832-1834; - Lytton-Bulwer, Essai sur Talleyrand; Ménière, la Captivité de Mme la duchesse de Berry; - Metternich (prince de), Mémoires, documents et écrits divers, t. V ; — Mirabeau (comtesse de), le Prince de Talleyrand et la maison d'Orléans; Mouriez (P.), Histoire de Méhémet-Ali; Rochechouart (comte de), Souvenirs; Thureau-Dangin, Histoire de la monarchie de Juillet, t. II; Worms (E.), L'Allemagne économique ou histoire du Zollverein allemand, etc.

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ment de Juillet faillit être emporté par une double crise. La duchesse de Berry, débarquée depuis quelques semaines en Provence, avait de là passé en Vendée où, vers la fin de mai 1832, elle provoqua au nom de son fils un soulèvement légitimiste. Quelques jours plus tard, le parti républicain, dont diverses émeutes avaient déjà révélé l'audace et l'énergie, prenait les armes à Paris et soutenait dans les rues une bataille en règle contre les troupes du roi bourgeois (5-6 juin). Sans doute cette double insurrection fut assez promptement étouffée. Mais il en résulta une perturbation morale qui, plusieurs mois encore, se fit sentir dans toute la France et qui prolongea la difficulté de trouver un successeur à Casimir Périer. La présidence du conseil, offerte à Talleyrand, puis à Dupin, ne fut acceptée ni par l'un ni par l'autre et, jusqu'en octobre, le ministère, privé de chef, allait demeurer sans force au dedans, sans autorité au dehors. L'Angleterre, dont le concours semblait si précieux à Louis-Philippe, était également travaillée par un mal intérieur qui ne lui laissait pas une entière liberté de mouvements. Lord Grey faisait enfin voter son bill de réforme électorale (4 juin), mais après une lutte qui avait ébranlé tout le pays ; et maintenant il se trouvait en face de l'agitation irlandaise, plus menaçante que jamais, et qui paraissait devoir longtemps encore paralyser sa politique 2.

1. Ce bill faisait succéder au régime scandaleusement oligarchique que le Royaume-Uni avait subi jusqu'alors une organisation électorale relativement équitable et de nature à encourager la démocratie britannique. D'une part il proportionnait dans une certaine mesure — - le nombre des députés à la population des villes, des bourgs et des comtés. De l'autre, il fixait de la manière suivante (ce qui était un grand progrès) les conditions requises pour l'électorat: « Désormais était électeur, dans les bourgs, tout citoyen habitant une maison d'un loyer de 10 livres (230 francs) et qui y fixerait son domicile. Pour les comtés on ajouta aux freeholders (propriétaires fonciers) justifiant de 40 shellings de revenu, les copyholders et les fermiers à bail pour soixante ans, tous aux mêmes conditions (10 livres sterling de revenu). Quant aux fermiers qui n'avaient que des baux de vingt ans, et à ceux que leurs maîtres pouvaient renvoyer à volonté (tenant at will), ils devenaient électeurs s'ils payaient une redevance de 50 livres sterling. On voit que l'Angleterre était encore loin du suffrage universel. » Mais c'était un premier pas vers ce but, dont elle n'a cessé, depuis lors, de se rapprocher.

2. L'émancipation des catholiques, votée en 1829 après une campagne parlementaire à jamais mémorable, ne suffisait pas aux Irlandais, si durement et depuis tant d'années opprimés. L'émancipation agraire et l'autonomie nationale, qui sont encore aujourd'hui leur programme, étaient dès cette époque celui du grand agitateur O'Connell, qui était et devait être longtemps encore le plus vigoureux champion de leurs droits méconnus.

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