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CHAPITRE XIII

1 LE DERNIER EFFORT DE METTERNICH

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1. L'Europe et la Pologne en 1846. II. Les mariages espagnols. — III. L'attentat de Cracovie. IV. Attitude indécise des puissances du Nord. V. Le cabinet de Vienne et le parti de la Révolution en Autriche, en Allemagne, en Suisse et en Italie. VI. L'horizon de Guizot et de Metternich. VII. Complicité sans confiance. VIII. Tactique révolutionnaire de Palmerston. IX. Impuissance de la politique préventive.

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La rupture de la France avec l'Angleterre n'était point encore consommée au commencement de 1846. Mais elle paraissait si prochaine que les trois cours du Nord crurent pouvoir en escompter déjà le bénéfice. C'est en effet à cette époque que devint mani

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1. SOURCES Berryer, Discours parlementaires; Canitz-Dallwitz, Denkschriften, t. II; Chevalier (Michel), des Rapports de la France et de l'Angleterre à la fin de 1847 (Revue des Deux Mondes, 1er février 1848); Circourt (Ad. de), des Révolutions et des partis de la Confédération helvétique Revue des Deux Mondes, 15 mars 1847); Crétineau-Joly, Histoire du Sonderbund; Dændliker, Histoire du peuple suisse; Deventer (van), Cinquante années de l'histoire fédérale de l'Allemagne; Fouquier, Annuaire historique, années 1845-1848; Faucher (L.), la Ligue anglaise en 1846 (Revue des Deux Mondes, 15 février 1846); Guizot, Mémoires, t. VII et VIII; Haussonville (comte d'), Histoire de la politique extérieure du gouvernement français, t. II; Hervé (Ed.), la Crise irlandaise depuis la fin du xvure siècle; Hubbard, Histoire contemporaine de l'Espagne, t. V; Mac Carthy, Histoire contemporaine de l'Angleterre, t. I; Martin (Th.), le prince Albert, t. 1; Mazade (Ch. de), l'Espagne moderne; Mazzini (A.), de l'Italie dans ses rapports avec la liberté et la civilisation moderne; Metternich (prince de), Mémoires, documents et écrits divers, t. VII; Peel (R.), Mémoires; — Ques

feste leur intention de détruire un petit État dont l'indépendance était solennellement garantie par les traités de 1815 et dont la suppression eût été impossible si les cabinets de Londres et de Paris fussent restés unis.

La république de Cracovie, dernier débris de l'ancienne Pologne, était depuis longtemps, mais surtout depuis 1830, un sujet d'alarme pour la Prusse, pour l'Autriche, et plus encore pour la Russie. Cette malheureuse ville, occupée par les trois puissances en 1836, à la faveur d'un premier relâchement de l'alliance anglo-française, n'avait été évacuée par leurs troupes qu'en 1841. Redevenue à moitié libre, elle servait, comme précédemment, de refuge à un certain nombre de proscrits que les tristes souvenirs de 1831 n'empêchaient pas d'espérer le relèvement de la patrie polonaise. Bien que leurs moyens d'action fussent presque nuls, les souverains du Nord, et principalement le czar, affectaient de redouter fort leurs complots. Aussi avaient-ils pris, dès la fin de 1845, des dispositions militaires pour pouvoir, au premier signal, s'emparer de Cracovie, d'où une insurrection imminente, au dire de leur police, devait gagner les provinces voisines. Il y eut, il est vrai, à partir du 19 février 1846, date fixée par les patriotes pour la prise d'armes, une certaine agitation en Galicie. Mais elle y fut surtout causée par les procédés machiavéliques du gouvernement autrichien, qui, de longue date, avait dans ce pays fomenté la haine des paysans contre les nobles et qui n'eut pas de peine à y organiser une jacquerie dont les révoltés et, avec eux, leurs parents, presque tous gentilshommes, furent en grande partie victimes. D'horribles massacres encouragés et soldés par la cour de Vienne consternèrent la Pologne autrichienne et indi

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tion (la) des jésuites en Suisse (Revue des Deux Mondes, 15 fév., 1er mars 1847); - Ranke, aus dem Briefwechsel etc.; -Regnault (E.), Histoire de huit ans, t. III; Saint-René Taillandier, le roi Léopold et la reine Victoria; Sonderbund (le) et le radicalisme suisse (Revue des Deux Mondes, 15 août 1847);

Taylord et Mackay, Sir Robert Peel, sa vie et son temps; - Thiers, Discours parlementaires; Thomas (Alex.), Question danoise (Revue des Deux Mondes, 15 sept. 1846); Id., l'Allemagne du présent (Revue des Deux Mondes, 18461847); - Zeller, Pie IX et Victor-Emmanuel; etc.

1. Le gouvernement autrichien offrait une prime de 10 florins par insurgé mis à mort. On en tua 1458 dans le seul cercle de Tarnow. L'égorgeur Jacques Szela, qui, à lui seul, massacra dix-sept membres d'une même famille et qui répandit la terreur dans tout le pays, fut, peu après, non seulement félicité, mais récompensé au nom de l'empereur.

gnèrent l'Europe. L'insurrection fut en quelques jours noyée dans le sang. Dans la Pologne prussienne, le mouvement fut arrêté sans peine par de nombreuses arrestations. Dans la Pologne russe, l'ordre n'avait pas été troublé. Mais les trois cours alliées n'attendirent pas la fin de ces événements pour se rendre maîtresses de Cracovie. Cette ville, occupée dès le 18 février, évacuée le 22, fut définitivement traitée en place conquise au commencement de mars. Bientôt après, le cabinet de Saint-Pétersbourg provoqua la réunion d'une conférence qui se tint en avril à Berlin et où les plénipotentiaires des cours du Nord délibérèrent seuls sur la condition nouvelle qui allait lui être imposée. La Russie demandait expressément que Cracovie fût annexée à la Galicie, sauf obligation pour l'Autriche de donner à ses deux alliées quelques compensations territoriales. La cour de Vienne y consentait; la Prusse seule faisait quelques difficultés; si bien que la conférence fut suspendue, mais pour être reprise quelques semaines plus tard à Vienne, où elle devait assez mystérieusement se prolonger plusieurs mois encore.

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Au fond, ce qui retardait l'arrangement proposé par le czar, ce n'étaient pas les hésitations de la Prusse. C'était surtout la crainte que la France et l'Angleterre se missent d'accord pour prévenir une aussi scandaleuse violation des traités de 1815. Dès la fin de mars, Guizot, malgré sa répugnance à se mettre en opposition avec l'Autriche, avait dù, sous la pression de l'opinion publique, adresser à Metternich une note aux termes de laquelle il était bien entendu que l'occupation de Cracovie ne devait être que temporaire. Aberdeen en avait fait autant de son côté. Les whigs en Angleterre, comme les libéraux et les radicaux en France, se soulevaient à la pensée de l'attentat que méditaient les cours du Nord. Palmerston allait jusqu'à s'écrier en pleine Chambre des communes que si le traité de Vienne n'était pas bon sur la Vistule, il devait être également mauvais sur le Rhin et sur le Pó. Aussi les puissances absolutistes ne se hâtaient-elles pas de prendre un parti. Elles protestaient même de la pureté de leurs intentions et faisaient espérer aux cabinets occidentaux que la malheureuse république

1. C'étaient pour la Russie le général de Berg, pour l'Autriche le comte de Ficquelmont, pour la Prusse le baron de Canitz (ministre des affaires étrangères de cet État).

serait tôt ou tard rendue à elle-même. En réalité, elles attendaient simplement pour la rayer de la carte européenne que les derniers liens d'amitié fussent rompus entre le gouvernement de Juillet et l'Angleterre. Elles n'attendirent pas longtemps. La chute du ministère Peel et les mariages espagnols allaient leur donner à cet égard pleine satisfaction. Ces événements devaient avoir, il est vrai, comme on le verra plus loin, d'autres conséquences, qu'elles n'avaient pas prévues; car finalement le résultat devait en être, non la résurrection de la Sainte-Alliance, mais l'explosion victorieuse de la Révolution dans presque toute l'Europe.

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Le cabinet tory, qui venait de faire voter, non sans peine, l'abolition des lois sur les céréales', mais qui avait usé dans cette lutte le reste de son crédit, dut démissionner le 29 juin 1846. Quelques jours après, les whigs rentraient aux affaires, sous la conduite de lord John Russell. Lord Palmerston reprenait possession du Foreign-Office. Le personnage reparaissait, plus provoquant, plus inquiet et, quoi qu'il eût pu dire récemment, plus malveillant que

1. A la suite de longues et retentissantes discussions, le Corn-bill fut voté par la Chambre des communes (27 février-16 mai) et par la Chambre des lords (25 juin). Le bill de coercition, présenté par le ministère et qui avait pour but de prévenir l'explosion de nouveaux troubles en Irlande, fut rejeté par les Communes (25 juin), ce qui détermina Robert Peel et ses collègues à donner leur démission (29 juin).

2. Russell (John), né à Londres le 18 août 1792, d'une famille illustre, attachée au parti whig depuis le XVII" siècle; membre de la Chambre des communes à partir de juillet 1813; payeur général de la marine après l'avènement du ministère Grey (1830); principal auteur du projet de réforme électorale qui fut voté en 1832; leader du parti libéral à dater de 1831; secrétaire d'État de l'intérieur (1835), puis des colonies (1839) dans le cabinet Melbourne; premier lord de la trésorerie (juillet 1846-février 1852); ministre des affaires étrangères (déc. 1852), puis ministre sans portefeuille (février 1853); plus tard président du conseil (juin 1854); enfin ministre des colonies (1855) dans le cabinet Aberdeen; plénipotentiaire de la Grande-Bretagne aux conférences de Vienne (1855); démissionnaire en juillet 1856; appelé de nouveau à la direction des affaires étrangères (5 juillet 1859) dans le ministère formé par lord Palmerston, il redevint premier ministre après la mort de cet homme d'État (octobre 1865), fut renversé en juin 1866 par les tories et vécut jusqu'au mois de mai 1878.

3. Lors d'un séjour qu'il avait fait à Paris en avril et durant lequel, pour faciliter son retour au ministère, il avait à maintes reprises protesté de ses bonnes dispositions pour le gouvernement de Juillet.

jamais à l'égard de la France. Louis-Philippe n'avait pas cessé de le suspecter. Guizot, qu'il avait cruellement mystifié en 1840, lui gardait une rancune tenace et profonde. Entre deux gouvernements si peu portés à s'entendre, il eût fallu qu'aucune cause grave de dissentiment ne s'élevât pour les brouiller dès le premier jour. Malheureusement il en existait une et ni Palmerston ni Guizot n'étaient d'humeur à la faire disparaître.

On se rappelle le compromis amical que le roi des Français et la reine d'Angleterre avaient conclu verbalement à Eu au mois de septembre 1845 sur la question des mariages espagnols. LouisPhilippe avait promis de retarder l'union du duc de Montpensier avec l'infante Louise-Fernande jusqu'au moment où la reine Isabelle aurait non seulement un époux, mais au moins un enfant. Victoria, de son côté, s'était engagée à ne plus soutenir les prétentions de son parent le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Elle pouvait avoir été sincère. Mais les hommes d'État qui la représentaient ne l'étaient pas tous au même point. Le fait est que l'ambassadeur d'Angleterre à Madrid, sir Henri Bulwer, ne paraissait tenir nul compte de l'accord des deux souverains et ne cessait de contrecarrer en Espagne la politique matrimoniale du gouvernement français. Grâce à lui, la candidature de Trapani, si chère à Louis-Philippe, fut décidément écartée, surtout après la chute de Narvaez (10 février 1846) 1, qui l'avait longtemps et énergiquement soutenue. D'autre part, celle de Cobourg fut remise en avant avec une telle persistance que le cabinet des Tuileries dut s'en émouvoir. Par un mémorandum du 27 février, Guizot déclara à Aberdeen qu'au cas où le mariage de ce prince avec Isabelle deviendrait imminent ou probable, son gouvernement se regarderait comme délié des engagements contractés à Eu l'année précédente. Le ministre anglais s'efforça de le rassurer. Mais peu de temps après (en mai), l'on apprit à Paris que Marie-Christine, désireuse d'en finir et de procurer au plus tôt une alliance puissante à sa fille ainée, venait, sous l'impulsion manifeste de Bulwer, de faire des

1. Renversé par suite d'une de ces intrigues de palais qui devaient, du commencement jusqu'à la fin, troubler le règne d'Isabelle II, Narvaez s'imposa de nouveau fort peu après (19 mars) comme premier ministre; mais son orgueil et ses violences ne lui permirent de se maintenir au pouvoir que jusqu'au 7 avril, époque où il fut remplacé par Isturitz.

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