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CHAPITRE II

LA SAINTE-ALLIANCE 1

I. Napoléon à Sainte-Hélène.

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II. Louis XVIII aux Tuileries. · III. La France désarmée et ruinée. IV. Les Quatre et la négociation secrète. — V. Talleyrand, Richelieu et la convention du 2 octobre. VI. Le czar Alexandre et la Sainte-Alliance. - VII. Les traités du 20 novembre 1815.

(1815)

I

Le traité du 25 mars 1815 avait reconstitué, consolidé même la tétrarchie européenne un moment disloquée par la politique de Louis XVIII et de Talleyrand. L'Acte final du 9 juin, qui résolvait, tant bien que mal, les principales difficultés du moment, lui permit d'isoler de nouveau la France, qui ne devait plus avoir, de longtemps du moins, aucun moyen de la troubler. Fort peu après,

1. SOURCES: Angeberg (comte d'), le Congrès de Vienne et les Traités de 1815, t. II; Castlereagh (lord), Correspondence of Robert, second marquis of Londonderry; Crétineau-Joly, Ilistoire des traités de 1815 et de leur exécution; Gentz (F. de), Dépéches inédites aux hospodars de Valachie, t. 1; Gervinus, Histoire du XIX° siècle, t. I et II; Gagern (baron de), la Seconde paix de Paris; Hardenberg (prince de), Mémoires; · Hyde de Neuville, Mémoires; Lytton Bulwer, Essai sur Talleyrand; Metternich (prince de), Mémoires, documents et écrits divers, t. I et II; Müffling (général de), Mémoires; Rambaud, le Duc de Richelieu en Russie et en France (Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1887); - Rochechouart (comte de), Souvenirs; Sorel (Albert), le Traité de Paris du 20 novembre 1815; — Thiers, Histoire de l'empire (éd. in-4°), t. IV; Vaulabelle (Ach. de), Histoire des deux Restaurations, t. II et III; - Viel-Castel (baron de), Histoire de la Restauration, t. III et IV; Lord Castlereagh et la Politique extérieure de l'Angleterre de 1812 à 1822 (Revue des Deux Mondes, 1er juin 1854); Villemain, les Cent-Jours; Vitrolles, Mémoires, t. III; Wellington (lord), Supplementary dispatches; etc.

grâce à la victoire décisive de Waterloo, les Alliés, pour la seconde fois, purent dicter des lois à cette puissance et prendre à son égard les garanties nouvelles qu'ils avaient récemment déclarées nécessaires.

La première de ces garanties consistait, pour eux, à renverser Napoléon et à le mettre, ainsi que sa famille, hors d'état de troubler dorénavant la paix de l'Europe. A cet égard, la tâche leur fut facile, car elle fut en grande partie accomplie par des Français. L'empereur était à peine rentré à Paris, apportant la nouvelle de sa défaite, que, sous peine d'être formellement déposé, il lui fallut abdiquer. Les députés du pays ne comprirent pas que, s'il avait commis bien des fautes, et même bien des crimes, le moment était mal choisi pour lui en demander compte et que maintenir à la tête de notre armée un capitaine tel que lui était la seule chance qui nous restât de repousser l'invasion et les exigences nouvelles de l'étranger. La Chambre des représentants, sous l'impulsion de La Fayette, le renversa. La Chambre des pairs, où il avait beaucoup d'amis, le laissa tomber. Quatre jours après Waterloo, il n'était déjà plus sur le trône, et Napoléon II, son fils, désigné par lui comme son successeur, n'était pris au sérieux par personne, ni en France ni au dehors. La commission exécutive nommée le 22 juin et à la tête de laquelle se trouvait Fouché, l'obligea, des le 25, à quitter Paris. Le 29, tant pour l'empêcher de tomber au pouvoir de l'ennemi, qui n'était pas loin de la capitale, que pour prévenir de sa part toute tentative de reprendre le commandement *, elle l'éloigna de la Malmaison, où il s'était d'abord retiré, et le fit conduire à Rochefort, d'où elle espérait qu'il pourrait gagner librement l'Amérique ou tout autre asile éloigné.

Mais il ne suffisait pas à la coalition qu'il eût cessé de régner, elle voulait à tout prix s'emparer de sa personne et le tenir désormais sous bonne garde. Cette intention des Alliés était bien connue; Napoléon ne pouvait l'ignorer. Si plus tard il a parlé bien haut de

1. Qui en fut nommé président. Les autres membres de cette commission étaient Carnot, Quinette, Caulaincourt et le général Grenier.

2. Napoléon, qui s'était retiré à la Malmaison, demandait à être replacé à la tête de l'armée, à titre de général, pour repousser l'ennemi, promettant de déposer de nouveau tous ses pouvoirs après la victoire. Mais on comprend que cet engagement, venant d'un tel homme, ne pouvait inspirer à Fouché qu'une médiocre confiance.

trahison, de déloyauté, s'il a reproché à l'Angleterre de l'avoir fait tomber dans un piège, s'il a pu créer ainsi une légende qui subsiste encore, l'histoire, qui rend justice à tous, doit proclamer la vérité. Or la vérité, c'est qu'aux premières ouvertures de la commission exécutive pour obtenir un armistice, dès le 25 juin, les généraux de la grande alliance répondaient en demandant que l'empereur leur fût remis comme prisonnier de guerre; c'est que, sous une forme plus solennelle et plus impérative encore, les représentants des souverains alliés avaient émis la même exigence dans une note du 1er juillet terminée par ces lignes : « Les trois puissances »> regardent comme condition essentielle de la paix et d'une véritable tranquillité, que Napoléon Bonaparte soit hors d'état de troubler dans l'avenir le repos de la France et de l'Europe; et, d'après les événements survenus au mois de mars dernier, les puissances doivent exiger que Napoléon Bonaparte soit remis à leur garde. Il ne pouvait donc y avoir aucun doute sur le sort réservé au grand vaincu si les Alliés parvenaient à s'emparer de sa personne. Aussi, lorsque, s'abandonnant à la mauvaise fortune, il se fut livré de luimême aux Anglais (15 juillet), la coalition n'eut-elle pas à cet égard la moindre hésitation. Par un protocole du 28 juillet, converti formellement en traité le 2 août suivant, les quatre grandes cours décidèrent que l'ex-empereur serait traité en prisonnier de guerre, que sa garde serait spécialement confiée au gouvernement britannique, que chacune des quatre puissances alliées entretiendrait un commissaire en résidence au lieu fixé pour son internement et où le gouvernement français serait invité à envoyer aussi un représentant. C'est en vertu de cet arrangement que Napoléon, traité par ses vainqueurs sans ménagements, mais aussi sans déloyauté, fut transporté à Sainte-Hélène, où il fut surveillé collectivement par les agents de l'Autriche, de la Grande-Bretagne, de la Prusse, de la Russie et aussi de la France. Quant à ses parents, comme ils étaient moins dangereux, on ne crut pas devoir les envoyer si loin; mais, conformément à un protocole daté du 27 août 3, les Alliés prirent

1. Walmoden, Capo d'Istria et Knesebeck.

2. L'Autriche, la Russie et la Prusse.

3. En vertu de cet acte, qui ne put être exécuté qu'à moitié, Jérôme devait être interné en Wurtemberg, Lucien dans les États romains, Joseph et sa famille en Russie, Murat et la sienne en Autriche, l'ex-reine Hortense en Suisse, « sous la surveillance des quatre cours et de celle de S. M. T. C. »

des mesures pour qu'ils fussent confinés dans divers États, sous la responsabilité de certains gouvernements et sous la surveillance de la coalition tout entière.

II

Si, au lendemain de Waterloo, les Alliés étaient pleinement. d'accord sur le sort réservé à Napoléon, leurs idées étaient aussi fixées sur le gouvernement qui devait être substitué en France à l'empire. S'ils répétaient encore, pour la forme, qu'ils ne prétendaient point nous violenter, les niais seuls pouvaient se laisser prendre à cette assurance. Ce n'est ni avec Napoléon II ni avec le duc d'Orléans qu'ils entendaient traiter. Fouché, président de la commission exécutive, le sentait bien. Aussi, tout en parlant très haut d'indépendance nationale, de garanties à exiger, s'était-il mis, dès son entrée en fonctions, secrètement en rapport avec certains agents de Louis XVIII, fort décidé qu'il était à se vendre, mais à se vendre le plus cher possible. C'était bien en effet Louis XVIII et lui seul que les Alliés voulaient voir régner sur la France. Les négociateurs envoyés par le gouvernement provisoire vers les souverains eurent beau prononcer d'autres noms, protester que la France repoussait les Bourbons. On fit obstinément la sourde oreille; on refusa d'entrer en pourparlers de paix avec un pouvoir qui n'avait rien de légitime, et Wellington, l'homme de confiance de la coalition, déclara plusieurs fois, avant la fin de juin, tant aux représentants officiels de la commission qu'aux agents personnels de Fouché, qu'une seule solution s'imposait, le rétablissement pur et simple de Louis XVIII, sans réserves, sans conditions, et que les Alliés n'étaient point disposés à en admettre d'autres. Son langage, à cet égard, devint d'ailleurs de plus en plus net, à mesure que les troupes anglo-prussiennes pénétrèrent plus avant dans notre pays et approchèrent de Paris. Louis XVIII revenait du reste, à ce moment même, derrière les vainqueurs de Waterloo et avançait en même temps qu'eux.

Quand les Alliés furent devant la capitale, Wellington parla plus clairement que jamais. « Je pense, dit-il aux envoyés de Fouché, que, les Alliés ayant déclaré le gouvernement de Napoléon une

usurpation et non légitime, toute autorité qui émane de lui doit être regardée comme nulle et d'aucun pouvoir. Ainsi ce qui reste à faire aux Chambres et à la commission provisoire, c'est de donner de suite leur démission et de déclarer qu'elles n'ont pris sur elles la responsabilité du gouvernement que pour assurer la tranquillité publique et l'intégrité du royaume de Louis XVIII. » Le général anglais se faisait d'ailleurs fort d'obtenir que le roi restauré prit le duc d'Otrante comme ministre de police. Il n'en fallait pas plus pour que ce dernier commit une trahison de plus.

Mais si les Alliés voulaient bien remettre Louis XVIII sur le trône, ce n'était pas sans prendre à son égard de telles précautions et de telles garanties qu'il lui fût de longtemps impossible de leur rien refuser.

Tout d'abord, comme il leur importait fort que ce souverain, par la composition de son cabinet, aussi bien que par la portée de ses déclarations politiques, donnât quelque satisfaction au peuple français et assurât à la royauté relevée quelques chances de durée, ils lui imposèrent un ministère et lui dictèrent un programme. Talleyrand, non seulement par son passé révolutionnaire, mais par son attitude équivoque pendant les derniers temps du congrès, n'inspirait à Louis XVIII qu'une sympathie et une confiance médiocres. Il était abhorré des princes et de toute la coterie ultraroyaliste, que son rival, Blacas, avait jusqu'alors représentée dans le ministère. Enfin, ses hauteurs, le langage d'homme nécessaire qu'il affectait et les allures de maire du palais qu'il prenait depuis quelque temps avaient si fort choqué le roi que ce dernier, lorsqu'il le revit (à Mons, le 23 juin), non seulement ne lui assura pas la direction du nouveau cabinet, mais lui donna congé, froidement et non. sans ironie. Vingt-quatre heures après, tout était changé. Wellington avait vu Louis XVIII. Le résultat de sa conversation avec ce prince fut que Talleyrand, mandé à Cambrai, obtint l'emploi de premier

1. Notamment du comte d'Artois et de ses deux fils, le duc d'Angoulême et le duc de Berry, dont il avait maintes fois désapprouvé les penchants politiques et combattu l'influence.

2. Il avait récemment adressé à Louis XVIII une longue mercuriale écrite, dans laquelle il signalait avec vivacité les fautes commises par le gouvernement de la Restauration, demandait la formation d'un ministère vraiment homogène, constitutionnel, libre dans son action, et exigeait le renvoi de Blacas.

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