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Landau était donnée à l'Autriche; cette puissance était du reste autorisée à offrir cette ville, avec une partie des anciens départements de la Sarre et du Mont-Tonnerre, à la Bavière en échange du Hausrückviertel et de l'Innviertel, dont elle attendait encore la restitution. Elle donnerait le reste de ses possessions sur la rive gauche du Rhin, c'est-à-dire un territoire de cent quarante mille âmes, avec Mayence, au grand-duc de Hesse-Darmstadt, pour le dédommager du duché de Westphalie acquis par la Prusse. La Suisse aurait Versoix et une petite partie du pays de Gex; enfin la partie française de la Savoie serait rendue au roi de Sardaigne. Sur les 700 millions d'indemnité promis par la France, 137 500 000 francs seraient consacrés à fortifier contre elle les États voisins. Pour cet objet, les Pays-Bas recevraient 60 millions, la Prusse 20, la Bavière 15, la Sardaigne 10, l'Espagne 7 et demi; 5 millions seraient employés à accroître les moyens de défense de Mayence. Cette ville, ainsi que Landau et Luxembourg, serait déclarée place fédérale de l'Allemagne; 20 millions seraient dépensés pour doter la Confédération germanique d'une quatrième forteresse, dans la région du haut Rhin.

Le reste de l'indemnité française (soit 562 500 000 francs) dut, en vertu d'un protocole signé le 6 novembre, être partagé entre les puissances alliées de la façon suivante : la victoire de Waterloo étant due à l'Angleterre et à la Prusse, un prélèvement de 25 millions serait d'abord fait en faveur de chacune de ces puissances; l'Espagne recevrait 5 millions, le Portugal 2, la Suisse 3, le Danemark 2 et demi; sur les 500 millions demeurés disponibles, 100 seraient attribués à chacune des quatre grandes puissances, 100 seraient partagés entre les autres membres de la coalition, au prorata des contingents qu'ils avaient fournis; mais le roi des Pays-Bas abandonnerait sa part (28 millions), qui serait divisée par moitié entre l'Autriche et la Prusse 2.

La conférence eut aussi à prescrire des mesures pour l'examen

prince de Hesse-Hombourg, le duc de Saxe-Cobourg, et en outre le comte médiatisé de Pappenheim. - Ces principautés leur avaient été promises par l'article 54 de l'Acte final du congrès de Vienne.

1. Les échanges de territoires entre l'Autriche et la Bavière ne devaient être définitivement réglés que le 14 avril 1816, par le traité de Munich.

2. Ainsi la Prusse devait avoir 139 millions, l'Angleterre 125, l'Autriche 114 et la Russie 100.

HOOVER WAR
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et la liquidation des dettes que la France avait contractées envers les sujets du gouvernement anglais d'une part, de tous les autres gouvernements alliés de l'autre, et qu'elle avait déjà promis de payer par le traité du 30 mai. Ces deux séries de créances durent être examinées par des commissaires que désigneraient les parties intéressées; et, comme garantie de payement, les Alliés exigèrent deux dépôts de 3 500 000 francs de rente chacun.

Enfin deux protocoles, datés du 5 et du 7 novembre, fixèrent le sort des îles loniennes, qui était encore en suspens, et complétèrent l'Acte final en ce qui concernait la Suisse. Les îles furent constituées en république, sous le protectorat de l'Angleterre, qui y enverrait un lord-haut-commissaire et des troupes de garnison. Quant à la Confédération helvétique, qui venait de se donner, le 7 août 1815, une constitution de nature à plaire aux Alliés, elle obtenait la reconnaissance solennelle de sa neutralité.

Quand tous ces arrangements furent pris, la coalition jugea qu'il lui restait encore quelque chose à faire. Le traité qu'elle allait imposer à la France ne lui parut pas suffisant pour préserver l'Europe de nouveaux bouleversements. Les Quatre résolurent donc de se lier entre eux par une convention nouvelle, qu'ils conclurent en effet et qui, par l'esprit dont elle témoigne, constitue véritablement la Sainte-Alliance. En effet, par ce pacte, les cours d'Autriche, de Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie déclaraient remettre en vigueur les stipulations dés traités du 1er mars 1814 et du 25 mars 1815 et former une ligue permanente à l'effet de surveiller la France. Elles excluaient à jamais du gouvernement de ce pays Napoléon et les membres de sa famille. Elles maintiendraient au besoin cette exclusion par la force. « Et comme les principes révolutionnaires, ajoutaient-elles, pourraient encore déchirer la France et menacer ainsi le repos des autres États, les hautes parties contractantes, reconnaissant solennellement le devoir de redoubler de soins pour veiller, dans des circonstances pareilles, à la tranquillité et aux intérêts de leurs peuples, s'engagent, dans le cas qu'un aussi malheureux événement vint à

1. Cette constitution, qui respectait les privilèges de l'aristocratie et qui ne donnait à la Suisse ni une armée fédérale ni même, à proprement parler, un gouvernement, a été complètement transformée en 1848.

éclater de nouveau, à concerter entre elles et avec Sa Majesté TrèsChrétienne les mesures qu'elles jugeront nécessaires pour la sûreté de leurs États respectifs et pour la tranquillité générale de l'Europe.» Les quatre puissances déclaraient en outre que l'alliance subsisterait même après que leurs troupes auraient évacué notre territoire. Et enfin, pour bien montrer qu'elles entendaient se constituer en directoire européen, elles prenaient l'engagement « de renouveler, à des époques déterminées, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l'examen des mesures qui, dans chacune de ces époques, seraient jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour la paix de l'Europe ». C'est le 20 novembre 1815 que fut signé ce traité, si menaçant, non seulement pour la France, mais pour tous les peuples civilisés. Le même jour, les Alliés en donnaient connaissance au duc de Richelieu par une note où la menace prenait à peine le soin de se dissimuler sous les conseils de sagesse que l'on prodiguait au gouvernement de Louis XVIII; par une seconde note, on expliquait à ce ministre les instructions données au duc de Wellington le 3 novembre et qui l'autorisaient à intervenir par les armes dans nos affaires. C'est le même jour aussi qu'on lui fit signer le traité de paix et les quatre annexes dont il était accompagné '. Ce n'est pas sans une profonde douleur que cet homme de cœur remplit la formalité suprême qui semblait être comme la dernière pelletée de terre sur la gloire et la puissance de sa patrie. « Je viens, dit-il à un de ses amis, de signer un traité pour lequel je devrais porter ma tête sur l'échafaud. » Et le lendemain (21 novembre), il écrivait au comte Decazes: «Tout est consommé; j'ai apposé hier, plus mort que vif, mon nom à ce fatal traité. J'avais juré de ne pas le faire, et je l'avais dit au roi; ce malheureux prince m'a conjuré en fondant en larmes de ne point l'abandonner, et dès ce moment

1. Ces annexes portent les titres suivants : 1° Convention conclue en conformité de l'article IV du Traité principal et relative au payement de l'indemnité pécuniaire à fournir par la France aux puissances alliées; 2o Convention conclue en conformité de l'article V du Traité principal et relative à l'occupation d'une ligne militaire en France par une armée alliée; 3o Convention conclue en conformité de l'article IX du Traité principal et relative à l'examen et à la liquidation des réclamations à la charge du gouvernement français; 4° Convention entre la France et la Grande-Bretagne, en conformité de l'article IX du Traité principal et relative à l'examen et à la liquidation des réclamations des sujets de Sa Majesté Britannique.

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je n'ai plus hésité. J'ai la confiance de croire que sur ce point personne n'aurait mieux fait que moi; et la France, expirant sous le poids qui l'accable, réclamait impérieusement une prompte déli

vrance. >>>

Quelques jours après (25 novembre), le ministre venait, les larmes aux yeux, présenter le traité et les conventions annexes à la Chambre introuvable, qui ne pouvait s'empêcher de partager sa patriotique douleur. Il semblait en effet que la France fût pour toujours rayée de la liste des grandes puissances. L'Europe du reste paraissait, aussi bien qu'elle, enchaînée. La Sainte-Alliance triomphait. Mais la suite de cette histoire montrera qu'elle se trompait fort si elle croyait pouvoir tenir indéfiniment la France à l'écart ou en surveillance, et qu'elle ne s'abusait pas moins si elle se jugeait capable de contenir toujours en Europe l'esprit de nationalité et l'amour des gouvernements libres.

CHAPITRE III

LES ANNÉES DE PAIX 1

I. La Sainte-Alliance et la politique russe. et Mahmoud.

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II. Conflit oriental; Alexandre III. La question hispano-américaine. IV. Alexandre, Richelieu et la politique du 5 septembre. V. Le libéralisme russe; premiers signes d'agitation en Italie et en Allemagne. VI. Metternich et la Note secrète. VII. Préliminaires d'un nouveau congrès. rences et arrangements d'Aix-la-Chapelle.

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VIII. Confé

(1815-1818)

I

Metternich s'est vanté souvent non seulement d'avoir fait à lui seul, ou à peu près, les traités de 1815, mais d'avoir donné par là trente-trois années de paix à l'Europe. Il savait pourtant mieux que personne à quoi s'en tenir sur la valeur d'une pareille assertion. La paix générale dont il parle n'a régné sans interruption qu'un peu plus de trois ans, depuis les actes diplomatiques du 20 novembre jusqu'au lendemain du congrès d'Aix-la-Chapelle. Encore n'a-t-elle été maintenue, pendant cette courte période, que par la nécessité où étaient les quatre grandes puissances alliées de demeurer

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1. SOURCES: Castlereagh (lord Londonderry), Correspondence; CrétineauJoly, Histoire des traités de 1815 et de leur exécution; — Gentz (F. de), Dépéches inédites, t. I; — Gervinus, Histoire du XIXe siècle, t. II-VIII; — Hardenberg (prince de), Mémoires; Hubbard (G.), Histoire contemporaine de l'Espagne, t. II: Hyde de Neuville, Mémoires et Souvenirs, t. II; Lesur, Annuaire historique, 1818; - Metternich (prince de), Mémoires, documents et écrits divers, t. III: Vaulabelle (Ach. de), Histoire des deux Restaurations, t. IV; Castel (baron de), Histoire de la Restauration, t. IV, V, VI, VII; - Lord Castlereagh et la Politique de l'Angleterre de 1812 à 1822, etc.

Viel

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