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contint l'Europe, tant bien que mal, jusqu'à l'ébranlement général de 1848. A cette dernière date s'ouvre la seconde partie de cet ouvrage. Alors commence une ère nouvelle où, par une réaction victorieuse contre le régime imposé à l'Europe en 1815, on voit la liberté se répandre de proche en proche, les nationalités s'affirmer et se reconstituer. La Révolution, parfois aidée par quelques-uns de ses pires ennemis, qui ont intérêt à se servir d'elle, a repris résolument, depuis le 24 février, son œuvre interrompue. Sans doute la politique d'autrefois n'a pas encore renoncé à la lutte. Elle continuera peut-être longtemps à la soutenir. Mais le droit nouveau a remporté tant de succès et fait tant de conquêtes dans ces quarante dernières années que sa victoire définitive semble n'être plus qu'une question de temps et que l'empire de l'Europe lui paraît assuré.

Ayant entrepris de retracer l'histoire si dramatique, si passionnante, en apparence si confuse des deux périodes que je viens d'indiquer, j'ai eu surtout à cœur, d'une part, d'ètre exact et clair, de l'autre, d'être sincère et loyal. Je ne crois pas avoir à justifier bien longuement la méthode que j'ai suivie avec fidélité d'un bout à l'autre et le sentiment auquel j'ai constamment obéi en composant cet ouvrage.

Pour la méthode, il semble, au premier abord, que la plus simple soit de traiter séparément, comme on l'a fait d'ordinaire jusqu'ici, chacune des grandes questions européennes qui ont préoccupé le monde diplomatique au XIXe siècle. C'est peut-être la plus simple; mais quand on y réfléchit, on reconnaît que ce n'est ni la plus légitime, ni la meilleure. Isoler, pour voir plus clair dans leur histoire, des États qui, comme la Russie, la Turquie, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, la France et d'autres encore, n'ont cessé d'exercer les uns sur les autres les plus fortes, parfois les plus puissantes influences, présenter comme absolument distinctes des politiques qui en réalité s'entre-croisent, s'enchevêtrent, se pénètrent intimement, c'est, à mon sens, un procédé fautif et qui ne permet ni de bien connaître ni de bien juger les événements.

On ne se doute pas, au premier abord, par exemple, qu'à une certaine époque, les révolutions de Grèce, d'Espagne et d'Amérique sont absolument connexes, qu'à d'autres, les affaires de Pologne, de Danemark, d'Allemagne, d'Italie, etc., sont entre elles dans le plus étroit rapport et que toutes les grandes puissances y ont été mêlées à la fois. Mais une étude attentive rend plus clairvoyant. Pourquoi donc disjoindre des faits qui, séparés, n'ont aucun sens, et supprimer de gaîté de cœur leur enchaînement chronologique et le lien de causalité qui les unit? L'histoire n'est pas une dissection, c'est une résurrection, et la vie qu'elle cherche à rendre aux morts, c'est le jeu régulier et coordonné de tous les organes, ce n'est pas le fonctionnement particulier d'un seul. Voilà pourquoi, voulant représenter la diplomatie européenne à partir de 1814, j'ai commencé par mettre en scène l'Europe entière, ou du moins l'ensemble des puissances qui la dirigent, et pourquoi j'ai tenu à ce qu'elle y restât sans interruption, d'un bout à l'autre de mon récit. J'ai suivi minutieusement, sans jamais m'écarter de l'ordre des temps, cette politique générale, que je voulais d'abord m'expliquer et ensuite exposer clairement au lecteur. J'en ai recherché avec soin les principaux éléments et, au lieu de les séparer par une de ces analyses trompeuses qui faussent l'histoire, je les ai réunis en une série de synthèses qui, j'ose l'espérer, permettront de l'apprécier en suffisante connaissance de cause. J'en ai étudié les ressorts cachés et, au lieu de les laisser isolés, épars, inertes, je les ai rapprochés, j'ai reconstitué de mon mieux leur agencement et j'ai, par la pensée, remis en mouvement le mécanisme complexe dont jadis ou naguère - ils avaient fait partie.

Les grandes puissances se trouveront presque toujours de front dans ce récit. Jamais une d'elles ne pourra échapper entièrement à l'attention du lecteur. En outre, bien que j'aie eu exclusivement pour but de retracer et d'expliquer leurs relations diplomatiques, je n'ai pas cru pouvoir faire abstraction complète de ce qui touche au gouvernement intérieur de

chacune d'elles. Il y a, pour tous les États, une corrélation si étroite et si constante entre la politique du dedans et celle du dehors, que vouloir expliquer la seconde sans tenir compte de la première serait d'un esprit pour le moins bien superficiel et bien léger. La diplomatie française ne peut avoir ni les mêmes règles ni les mêmes tendances sous la monarchie de Juillet que sous le régime de 1852. L'Angleterre n'a pas la même attitude vis-à-vis de l'Europe sous les whigs que sous les tories, sous Russell que sous Liverpool ou sous Peel, sous Gladstone que sous Disraéli. Dans le concert des grandes puissances, la Prusse de Bismarck ne peut ni parler ni agir comme celle de Hardenberg; et le dualisme austrohongrois d'Andrassy n'a forcément au dehors ni le même programme ni les mêmes visées que la vieille Autriche de Metternich. Un État, grand ou petit, n'éprouve pas de malaises, de commotions, de transformations internes, sans que sa politique extérieure s'en ressente. Voilà pourquoi j'ai cru devoir souvent rattacher, par des explications sommaires, mais précises, les revirements diplomatiques des puissances qui tiennent quelque place dans cette histoire aux changements de leur condition intérieure. Le lecteur, j'ose le croire, tirera quelque profit de ces rapprochements.

Quant aux dispositions d'esprit où j'étais en commençant ce travail et où je suis encore en le terminant, je n'ai pas à m'étendre sur ce sujet. On le verra dès les premières pages du livre, l'organisation imposée à l'Europe en 1815 me paraît un régime contre nature. Il n'était guère propre, à mon sens, qu'à atrophier ou stériliser des forces dont le développement et le libre jeu importent au progrès de la civilisation générale. La Révolution, qui l'a déjà aux trois quarts détruit, me semble, malgré ses excès, ses erreurs, malgré les mécomptes partiels et passagers qu'elle a pu produire, devoir être profitable à l'Europe et, par suite, au monde entier. Si le lecteur ne tire pas la même morale que moi de cette histoire, il voudra bien du moins reconnaître que je l'ai écrite loyalement, sans dissimulation, sans com

plaisance, sans aigreur. Bien que j'aime par-dessus tout mon pays et que je serve dès l'enfance un drapeau politique auquel, s'il plaît à Dieu, je resterai fidèle jusqu'à la mort, je crois n'avoir, en aucun endroit de ce livre, sacrifié ni à l'esprit de faction ni à un égoïsme patriotique qui, après les malheurs éprouvés par la France, serait, dans une certaine mesure, excusable. Je n'ai voulu plaider ni la cause d'un peuple ni celle d'un parti. J'ai voulu simplement rendre justice à tous. Je crois, du reste, que, s'il est un bon moyen de servir ses amis, ce n'est pas de leur dissimuler leurs imperfections, leurs erreurs, leurs faiblesses, leurs revers, non plus que la valeur, la force et les succès de leurs adversaires, c'est de commencer par leur dire résolument ce qu'il en est. J'ai recherché tous les témoignages, d'où qu'ils vinssent, pourvu qu'ils fussent sérieux. Tout ce que j'ai pu trouver de pièces officielles, de correspondances, de mémoires concernant mon sujet, je l'ai réuni, étudié, me gardant bien de croire que la vérité fùt tout entière dans les documents français et recourant le plus possible aux sources étrangères. Je n'indique pas ici mes autorités. Mais je les fais connaître exactement au bas de chacun de mes chapitres. On verra par là que j'ai fait de mon mieux pour être bien renseigné et pour juger les hommes, comme les choses, avec la mesure et l'équité qui conviennent à l'histoire.

Ce livre est en somme, je le sens, bien insuffisant, bien imparfait. Il n'est que l'ébauche d'un ouvrage plus étendu, plus documenté, auquel je voudrais consacrer le reste de ma vie. Il a du moins été consciencieusement préparé; il a été écrit de bonne foi. Tel qu'il est, puisse-t-il me valoir l'indulgente approbation des hommes qui ne demandent pas à l'historien de flatter leurs préférences nationales ou leurs passions politiques et que n'offusquent ni ne rebutent les leçons viriles de la vérité!

A. DEBIDOUR.

DE

L'EUROPE

INTRODUCTION 1

I. La politique anti-napoléonienne.

II. La coalition de 1813. III. Le
VI. Préliminaires du congrès de

congrès de Châtillon.. IV. Les Alliés, Napoléon et le comte d'Artois. V. Louis XVIII et le traité du 30 mai. Vienne.

(1812-1814)

I

L'Europe n'a jamais eu, elle ne retrouvera peut-être jamais, pour se donner une organisation politique de nature à assurer son

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1. SOURCES: Angeberg (comte d'), le Congrès de Vienne et les Traités de Castlereagh (lord 1815; Beugnot, Mémoires; dence of Robert, second marquis of Londonderry; gouvernementale de l'Angleterre de 1770 à 1830;

Londonderry), Correspon-
Cornewall Lewis, Histoire
Gentz (F. de), Dépêches

inédites aux hospodars de Valachie pour servir à l'histoire de la politique Gervinus, Histoire du XIXe siècle, t. I et II; européenne, de 1813 à 1828; Haussonville (comte d'), Dernières

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Hardenberg (prince de), Mémoires; négociations de l'empire, ouvertures de Francfort et conférences de Châtillon Hyde de Neuville (baron), (Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1861). Mémoires et Souvenirs; Lefebvre (Armand), Soulèvement de l'Allemagne après la guerre de Russie (Revue des Deux Mondes, 1er janvier, 1er février 1857); Marmont, duc de Raguse, Lytton Bulwer (sir Henry), Essai sur Talleyrand; Mémoires, t. V; - Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. XII; Metternich (prince de), Mémoires, documents et écrits divers, t. I et II; - NapoPertz, das Leben des Ministers léon Ier, Correspondance, t. XXIV à XXVIII; Freiherrn von Stein; Thiers, Histoire de l'empire (éd. in-4°), t. III et IV; Viel-Castel (baVaulabelle (Ach. de), Histoire des deux Restaurations, t. I; ron de), Histoire de la Restauration, t. I; — Lord Castlereagh et la Politique extérieure de l'Angleterre de 1812 à 1822 (Revue des Deux Mondes, 15 mai 1854); Vitrolles (baron de), Mémoires, t. I. Wellington (lord), Dispatches,

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Debidour.

1. - 1

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