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L'ÉVALUATION DE LA PROPRIÉTÉ FORESTIÈRE

La méthode fiscale et les reboisements.

J'ai revu mon ami le contrôleur des contributions directes : il venait me demander des renseignements sur la valeur et le revenu des plantations de pins, qui existent en grand nombre dans une commune où il va procéder aux évaluations prescrites par la loi du 31 décembre 19071.

« Cette fois, me dit-il, la question est bien simplifiée : les peuplements sont uniformes, donc plus de discussion sur le choix de l'âge; le revenu du sol s'évalue par comparaison avec les autres natures de culture, donc plus de crainte d'obtenir un revenu foncier, ou théorique, supérieur au revenu effectif. Nous ne rencontrerons pas les mêmes difficultés que dans l'évaluation des taillis sous futaie. J'admire votre optimisme, répondis-je, mais je n'ai pas votre confiance. La méthode étant inexacte doit, dans ce cas comme dans l'autre, donner des résultats aussi surprenants qu'inattendus. Au reste, nous allons voir qui de nous a raison. »

Notre étude porta sur le cas suivant, qui est, dans la commune, celui d'une parcelle-type reboisée un hectare de pineraie provenant de reboisement donne :

à 12 ans une éclaircie d'une valeur de

à 28 ans

4 fr.

à 36 ans

à 44 ans

à 52 ans

8 >>> 175 >>

552 >>

625 >>

à 60 ans une coupe définitive d'une valeur de

2335 >>

les frais de garde et de gestion s'élèvent à 5 fr. par an; le repeuplement a coûté 200 francs.

Sur le territoire de la commune, il y a de nombreuses plantations de ce genre, effectuées à des époques différentes, de telle sorte que l'on trouve des reboisements de tout âge.

Le contrôleur observa qu'aux termes de l'article 37 de l'instruction ministérielle il ne devait considérer que les reboisements en plein rapport. Ceux ne donnant aucun produit, par suite de l'époque récente de la plantation, devant être évalués par comparaison et non taxés.

« Mais, fis-je, qui déterminera le moment à partir duquel la plantation

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sera réputée être en plein rapport? - La commission de classification. - Je n'ai guère confiance en sa compétence. A dire vrai, elle me paraît peu idoine. Que décidera-t-elle au cas d'une pineraie exploitée en 1908 par exemple? A ce moment, la plantation était en plein rapport, c'est entendu; mais comme, dans la région, les pins ne se reproduisent pas naturellement, le propriétaire a dû faire une coupe rasé et recommencer une nouvelle plantation comme au début. Celle-ci sera-t-elle évaluée comme étant en plein rapport, ou comme une plantation récente? La question a un grand intérêt, surtout si, comme je le prévois, vous attribuez à la parcelle une valeur exagérée. » Le contrôleur reconnut l'importance de la question, mais dut se borner à déclarer que la commission déciderait de la solution à adopter, ou du moins à proposer. Il eût été inutile et cruel d'insister.

Cette question écartée, nous abordons l'évaluation du revenu. Le revenu annuel brut de la pineraie, évalué suivant la méthode fiscale est

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Le revenu de la parcelle en plein rapport doit-il être :

la somme de ces revenus partiels, soit 69 francs;

ou la somme des produits des coupes successives divisés par l'âge de l'exploitation définitive

3.734
60

soit 62 francs;

ou bien doit-on négliger les revenus, d'ailleurs minimes, des éclaircies, 2.335

ce qui donnerait

soit 39 francs;

" 60

ou encore doit-on considérer seulement les revenus perçus pendant la

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L'instruction ne précisant rien, convient-il de choisir la solution la plus favorable au propriétaire ou la plus favorable au fisc? Je penchais pour la première; le contrôleur pour la seconde, puis, reconnaissant la difficulté de suivre les exploitations successives pendant 60 ans, il se prononça pour la dernière. « Le propriétaire, en admettant, lui dis-je, qu'il ne conteste pas la méthode de l'Administration, évaluera son revenu à 39 francs et le fisc à 50 francs. La différence sera de 28 °, rien que pour le revenu brut!! Mais passons, et supposant le revenu brut connu, arrivons au revenu net. » Le contrôleur n'y voyait aucune dificulté : ne suffisait-il pas de déduire les frais annuels de garde et de gestion et ceux de repeuplement? Ceux-ci, étant de 200 francs en 60 ans, sont de

de

200

60

= 8 francs. «Mais

3 fr. 33 par an. Total des frais 5+ 3 objectai-je, comment ferez-vous admettre à un propriétaire qui a dépensé 200 francs, dont il ne sera remboursé qu'en 60 ans, que sa dépense est de 3 fr. 33 par an? Le plus ignorant vous dira que cette immobilisation de 200 fr. le prive annuellement de 6 fr. de revenu. Un autre, plus au courant des calculs financiers, soutiendra que sa dépense annuelle est égale à l'annuité qui amortirait, en 60 ans, son capital primitif accru de 200 X 1,0360 ses intérêts composés, cette annuité est de X 0,03-7fr.07. 1,03 € 1

Et je vous mets au défi de lui prouver le contraire. Pour lui le revenu francs et au plus de 50

= 27

-

= = 38

net sera 39 (5 + 7) (5 +7) francs, s'il admet le calcul du revenu brut sur les sommes perçues pendant les dix dernières années. L'Administration l'évalue à 50 ·(5+3) =42 francs. L'écart pourra être de 55 %. L'accord me paraît difficile, sinon impossible. »

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Mon ami me fit observer que pour lui l'évaluation devait porter sur le revenu des dix dernières années, et que les deux méthodes pour le calcul des frais de repeuplement donnant des résultats ne différant que de 100% environ pouvaient être considérées comme équivalentes. Il en conclut que je cherchais évidemment à l'embarrasser, au lieu de l'aider dans sa tâche et me pria de cesser cette plaisanterie peu aimable. « Je ne plaisante nullement, répondis-je, bien que les apparences soient contre moi, je vous plains sincèrement et désire vous être utile. Vous êtes la victime innocente d'une méthode erronée qui vous est imposée. Si je m'attache ainsi à vous en montrer toutes les conséquences, c'est pour vous faire bien comprendre les motifs des réclamations, que je prévois nombreuses et ardentes, et contre lesquelles je voudrais vous mettre en garde. Examinons, si vous le voulez bien, l'intérêt que peut avoir un propriétaire à reboiser dans la commune.

« Il fait une dépense initiale de 200 francs, cette somme capitalisée pendant 60 ans donnerait .

« Il paye 5 francs de frais par an, cette somme placée chaque année et capitalisée pendant 60 ans, produirait

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1.778 fr.

815 >>

2.593

« Laplantation rapporte, y compris les éclaircies même les plus insignifiantes, 3.724 francs. Son bénéfice est donc 3.724-2.593=1.131 francs en 60 ans ; il correspond à une annuité de 6 fr. 79 ou à un capital ini

tial de 192 francs 1. Les 5 francs de frais annuels représentent le revenu d'un capital de 166 francs.

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« Par conséquent, une somme de 200+ 166+ 192 558 francs capitalisée pendant Go ans donnerait le même produit 3.724 francs. Ces 558 francs à 3 % donnant un revenu de 16 fr. 74, l'impôt au taux de 4% serait de o fr. 66. Si même on prétendait devoir imposer les revenus des revenus économisés annuellement, c'est-à-dire l'annuité produisant 3.724 francs en 60 ans, soit 22 fr. 34, l'impôt frappant le revenu de la fortune acquise ne serait encore que de o fr. 99, soit un franc.

0

<«< Si le malheureux contribuable a eu la fâcheuse idée de reboiser, le fisc évalue son revenu à 42 francs par an, impose ce revenu à 4 % en principal, à 4 % au moins en centimes additionnels, à 2 。 environ pour taxe vicinale et lui réclame 4 fr. 20 d'impôt, soit UNE SURTAXE DE 3 fr. 20, LA MOITIÉ DU BÉNÉFICE ANNUEL (6 fr. 79) provenant du travail ou de l'industrie.

« Il est entendu sans doute qu'il y aura exonération d'impôt pendant quelque temps; mais ce dégrèvement est illusoire. En effet, dès que la plantation sera en plein rapport, c'est-à-dire imposée, il suffira de quelques années pour que le propriétaire paye des impôts aussi élevés que ceux qu'il eût payés s'il n'avait pas reboisé. Ensuite il continuera à supporter annuellement une taxe qui sera le quadruple ou le sextuple de l'impôt normal. N'est-ce pas la démonstration évidente, au moins pour le cas des reboisements, de la nécessité de calculer le revenu forestier par la méthode des annuités, d'assujettir le seul revenu du sol à l'impôt foncier et de ne soumettre la plus-value provenant du capital d'exploitation forestière qu'à l'impôt des valeurs mobilières?

« La méthode des annuités permet encore de déterminer très facilement la période d'improductivité. Jusqu'à 36 ans, il n'y a aucune hésitation; le revenu brut, même calculé suivant la méthode fiscale, par la moyenne proportionnelle des revenus, est inférieur aux seuls frais de garde et de gestion. A 44 ans, le revenu brut est supérieur à la somme de ces frais et de ceux de repeuplement; mais, en toute justice, la période de productivité ne doit commencer qu'au moment où les revenus successifs auront permis d'amortir la part des frais de repeuplement afférente aux années pour lesquelles les produits couvraient à peine les frais de garde. Le calcul ne sera ni simple ni facile avec la méthode fiscale ; avec celle des annuités, au contraire, rien de plus simple: les frais de

1.

Le capital engagé, non compris la valeur du sol, est 200 ÷ 166 Le bénéfice depasse 50 00.

366 francs.

repeuplement capitalisés sont, à 44 ans, 739 fr., les revenus totalisés 734 fr.; il n'y a pas de revenu net. A 52 ans, les frais sont 1.291 fr.; les revenus totalisés sont égaux. La période d'improductivité a cessé. A 60 ans le revenu est 3.734-1.178 (frais de repeuplement) capitalisés: 2.556 fr. correspondant à une annuité de 2.556 × 0,03 X 02 = 15,33 à déduire les frais de garde...

Revenu net...

5,00

10,33

<< On peut reprocher à ce calcul de soustraire à l'impôt le revenu des 200 fr. du capital engagé. Je ne parle pas des 5 francs de frais de garde qui seront imposés selon le capital qui les produit. Rien n'empêche d'imposer ce revenu soit comme revenu annuel de 200 fr., c'est-à-dire 6 francs; soit même en taxant le revenu des revenus économisés. Pour cela il suffit de déduire le capital du revenu brut total:

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« On est loin des 42 francs, 38 francs et même 27 francs trouvés précédemment. La différence est de 70 à 160 %. Avec cette évaluation, si l'on impose le seul revenu du sol à l'impôt foncier et le surplus à l'impôt des valeurs mobilières, le propriétaire n'a plus intérêt à ne pas reboiser. >>

Mon ami parut découvrir un monde insoupçonné. Il m'exprima son étonnement de voir cette méthode rationnelle absolument ignorée de ses collègues et de son administration et son regret de ne pouvoir l'appliquer. Il me demanda ensuite des renseignements sur les reboisements en essences feuillues.

La question est moins complexe : on a un taillis simple qui se reproduit naturellement après la première exploitation. Celle-ci est effectuée vers 20 ans et produit 300 fr. par hectare; les frais de repeuplement sont de 200 fr., ceux de garde et de gestion de 2 fr. par an.

Pendant la première révolution, le reboisement ne rapporte rien; les frais de repeuplement capitalisés sont supérieurs au produit de la coupe 200 × 1,80 360 fr. La période d'improductivité s'étendra donc sur la seconde révolution.

X

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Le revenu de 300 francs en 20 ans correspond à une annuité de :

300 X 1,24 X 0,03 = 11 fr. 16.

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