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marchands, servant à approvisionner les quartiers qui l'environ

nent.

Cependant, de Blénac, dont le caractère altier avait mécontenté les habitants des fles, avait, dans la circonstance présente, reçu les félicitations du Conseil et des chefs des milices. On savait les fles menacées par les Anglais, dont les préparatifs avaient transpiré, et, sentant la nécessité d'avoir à leur tête un chef expérimenté et sur la bravoure duquel ils pussent compter, les colons, dès l'arrivée de de Blénac l'avaient entouré. Ils se prêtėrent aux bonnes dispositions qu'il manifestait pour la défense du pays, et se plièrent à toutes les exigences d'une discipline sé

vère.

De Caylus, chargé par le roi de tracer le plan du fort qu'on voulait élever dans le Cul-de-Sac-Royal, pour protéger la nouvelle ville, se rendit sur les lieux, et reconnut l'insuffisance des batteries, situées alors sur l'emplacement qu'occupe le FortLouis.

Bien des dépenses avaient été faites pour ces constructions; les habitants même, joignant leurs efforts à ceux des chefs de la colonie, avaient aidé à bâtir et à creuser ces retranchements, en fournissant des corvées de nègres. De Caylus, sachant par expérience que la bravoure peut parfois suppléer aux remparts les plus forts, sans rien dire, avait disposé les canons derrière ces faibles murs, et en avait écrit au ministre, lui envoyant un nouveau plan, qu'il n'avait pas même communiqué à de Blénac.

La rade du Fort-Royal était donc devenue le point de ralliement des vaisseaux que le roi envoyait pour la défense des fles. Partout menacées par les marines anglaise, espagnole et hollandaise, elles étaient protégées par nos braves marins, qui, sans cessé en course d'une île à l'autre, balayaient les mers avoisinant leurs côtes. Nos corsaires, entraînés par ce besoin de combats, savaient les habitants éloignés du secours des troupes, qu'on avait principalement casernées dans les villes; ils les savaient exposés aux descentes des forbans, et ils s'étaient chargés d'amariner les

plus hardis d'entre ceux que l'espoir du pillage amenait à tenter des entreprises, qui tenaient les colons sur un qui vive perpétuel.

Mais les Anglais, battus en Europe, chassés de la Guadeloupe et de Marie-Galante, s'étaient fortifiés à Saint-Christophe. Recevant de nouveaux renforts d'Angleterre, ayant des troupes nombreuses, des vaisseaux en bon état, et nous sachant dans l'impuissance de tenter aucune attaque contre eux, ils avaient résolu de porter un coup décisif à nos colonies, en nous chassant de la Martinique.

De Blénac était prévenu, sinon de leur véritable dessein, du moins du projet qu'ils avaient de nous attaquer de nouveau dans une de nos possessions des Antilles.

Appelant alors à lui les vaisseaux qui stationnaient dans nos diverses rades, ce général, après avoir armé les milices de la Martinique, et s'être fait un corps de réserve, prêt à marcher partout où le cas l'exigerait, attendit la nouvelle de leur débarquement, pour se porter au secours des colons attaqués, et imiter l'exemple que lui avait donné d'Eragny.

Ces dispositions premières ainsi faites, de Blénac, assemblant son conseil, composé de de Guitaut, qui, après le désastre de SaintChristophe, s'était réfugié à la Martinique où il y remplissait les fonctions de lieutenant-général en second, de de Gabaret, gouverneur particulier de l'île, de le Bègue, de Auger, de Mareuil, de Mallevault, et des principaux officiers de milice, s'apprêtait à lancer un arrêté pour la défense de la Martinique, lorsque la flotte anglaise, signalée au vent de la Dominique, nous révéla les intentions hostiles de ces ennemis acharnés.

L'exemple de Ruyter, repoussé, en 1674, du Fort-Royal, avait intimidé les Anglais, dont l'arrogance allait jusqu'à espérer, après l'échec qu'ils comptaient nous faire essuyer, venir sans opposition s'emparer des bassins du carénage.

Pour cela, ils avaient jugé qu'avant tout, il fallait bombarder Saint-Pierre, balayer sa rade, faire une descente, canonner le fort qui protégeait la ville, et l'emporter d'assaut.

HIST. GEN. DES ANT. 11.

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Certes, le projet, quelque hasardé qu'il fût, ne pouvait être blâmé, et sans avoir sous nos yeux le nombre de troupes dont ils pouvaient disposer, nous en référant seulement à ce que dit Edward Bryan de la Barbade, qui, en 1670, contenait déjà cinquante mille blancs et le double de noirs (1), nous pouvons hardiment avancer, qu'avec un plan si bien arrêté, ils avaient pour l'exécuter tout ce qu'il fallait de troupes, d'armes et de munitions.

Quoi qu'il en soit, pour en arriver à leur fin, il fallait passer sur le ventre de nos troupes de la marine, sabrer ou mitrailler nos milices, couler nos vaisseaux, démanteler nos fortifications, et puis, enfin, saccager tout ce qui se présenterait pour s'opposer à leur dessein.

Or donc les colons, de leur côté, avaient juré que les Anglais se rembarqueraient sans rien saccager, et, pour ce faire, Dubuc, Cacqueray de Valmenier, le Roi, de la Touche, le Vassor, d'Alesso d'Eragny, Cornette de Saint-Cyr, et tous les capitaines des milices de la côte, qui s'étend depuis le Prêcheur jusqu'au Fort-Royal, étaient venus prendre les ordres de de Blénac.

Ce général comprit, avant tout, qu'il fallait mettre les quel, ques vaisseaux que nous avions alors à Saint-Pierre à l'abri du fort. Protégés par nos canons, il les tint néanmoins à une dis tance assez éloignée du sable, afin de pouvoir, au besoin, poursuivre l'ennemi, si le vent le lui permettait, et s'il le voyait repoussé, comme le lui faisait prévoir le courage qui animait tout ce que la Martinique avait d'hommes en état de manier une arme. Il y fit monter les soldats de la marine, leur distribua des munitions, et, se fiant en la prudence des officiers qui commandaient les troupes, les milices et les vaisseaux du roi, après avoir assigné à chacun son poste, il s'entoura de ce qu'il y avait de cavalerie et se disposa à marcher à l'encontre de l'ennemi, dès qu'il aurait débarqué du monde.

Les Anglais, voyant des vaisseaux ancrés à Saint-Pierre, avaient tenu le vent, et, longeant les côtes du Prêcheur, avaient (1) Histoire des Indes Occidentales, page 124.

tenté un débarquement dans ce quartier. Repoussés avec perte, ils rentrèrent sur leurs vaisseaux, et, louvoyant devant la rade de Saint-Pierre, échangèrent, le 22 mars 1692, quelques coups de canon avec nos forts et nos vaisseaux.

Le 13, les Anglais s'étant approchés, dès la pointe du jour, le combat s'engagea avec une telle vigueur, qu'après avoir mis leurs chaloupes en mer, on dut s'attendre à soutenir un choc des plus rudes.

Dubuc, qui déjà s'était couvert de gloire à l'attaque de la Guadeloupe, s'étant aperçu, du poste qu'il occupait vers les hauteurs du Prêcheur, que l'ennemi mettait des troupes à terre, se rua vers elles. Après un combat opiniâtre, dans lequel nous eûmes le dessus, l'ennemi, repoussé de toutes parts, regagna son escadre. Chassés par nos vaisseaux, qui leur avaient fait éprouver une perte considérable, après quelques jours d'alerte et de surveillance active de la part des colons, les Anglais, s'étant convaincus qu'ils ne pourraient point entamer nos côtes, se replièrent vers la Barbade. Ils visitèrent néanmoins nos autres colonies, contre lesquelles ils jugèrent ne devoir rien entreprendre.

Cette vigoureuse résistance, contre un ennemi bien supérieur, n'étonna point de Blénac. Depuis longtemps il avait appris à connaître le courage des colons, et il se reposait en grande partie sur eux, pour la défense de ce sol qu'ils avaient fertilisé. Obligé par sa charge, de pourvoir également aux besoins de toutes les fles de son gouvernement, la Guadeloupe, pillée l'année d'avant par les Anglais, l'inquiétait. Avant que d'y aller, par sa présence, rassurer les habitants, et prendre connaissance par luimême, de la situation dans laquelle se trouvait cette fle, il voulut arrêter toutes ses mesures pour la défense de la Martinique, sachant bien que les Anglais n'en resteraient pas là.

Le recensement que l'on fit des milices de la Martinique ne présentait, en mai 1692, qu'un complément de quatorze cent trente hommes armés. Quelques habitants, émigrés de SaintMartin, de Saint-Barthélemy, de Saint-Christophe et même beau

coup de colons de la Martinique, faute d'armes, s'en trouvaient dépourvus (1).

Ici, nous devons le dire, ayant parcouru toute la correspondance du roi, et ayant vu le nombre immense d'armes expédiées des ports de guerre de l'Océan, nous ne savons à quoi en attribuer la pénurie, dans un moment où nos colonies, menacées de toutes parts, avaient besoin de tous leurs défenseurs naturels. Ces défenseurs seront toujours, quoi qu'on en dise, les colons, faits au climat, habitués au soleil du tropique, et intéressés à la défense d'un sol, sur lequel ils ont conservé l'amour de la patrie.

Les milices, ainsi répandues dans toute l'île, avaient besoin de connaître les bornes des limites qu'on leur assignerait, afin qu'en cas d'alerte, elles pussent se rassembler.

Quatre bataillons ou compagnies furent divisés ainsi : le bataillon du Cul-de-Sac Marin, celui du Cul-de-Sac Royal, celui du Fort-Saint-Pierre et celui de la Cabes-Terre.

Afin de faciliter les réunions des milices du Fort-Royal et de Saint-Pierre, les deux points les plus exposés à l'attaque des ennemis, il fut arrêté qu'un chemin serait tracé dans les hauteurs, lequel communiquerait à ces deux villes, par la Case-Pilote et par le Carbet.

Le Cul-de-Sac Marin ayant été jugé trop éloigné pour porter secours, soit à la Cabes-Terre, soit au Fort-Royal, et par cette même raison, ne pouvant guère être secouru que s'il était forcé, il fut décidé qu'alors, on opérerait la retraite par le Cul-de-Sac à Vaches, poussant devant soi, les femmes, les enfants, les vieillards et les bestiaux (2)..

Quant à la Cabes-Terre et au Cul-de-Sac de la Trinité, il fut décidé qu'en cas d'attaque, pouvant recevoir promptement secours du Fort-Royal et de Saint-Pierre, la cavalerie s'y transporterait en toute hâte.

(1) Code manuscrit de la Martinique, volume de 1692, page 586, Archives de la marine.

(2) Code manuscrit de la Martinique, volume de 1692, page 587. Archives de la marine.

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