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Partis au nombre de huit cents sous les ordres de de Fransquenay, nos Flibustiers, égarés dans la nuit, échangèrent entre eux quelques coups de fusil, qui mirent sous les armes quatre mille Espagnols. Ce nombre d'ennemis ne leur permettait pas une attaque en plein jour, et ils se rembarquèrent sans butin, ce qui, pour des Flibustiers, équivalait à une déroute.

Grammont et le marquis d'Angennes de Maintenon, auquel le roi avait confié le commandement d'un vaisseau, dans le courant de cette année 1678, firent, à la tête des Flibustiers, diverses expéditions qui réussirent à ravager les îles de la Trinité et de Sainte-Marguerite. Quelques uns de ces aventuriers si intrépides se portèrent même sur le continent et saccagèrent les possessions espagnoles. Maracaybo fut une seconde fois pillée sans miséricorde. La paix de Nimègue, publiée aux fles à la fin de 1678, força la majeure partie de ces hommes entreprenants à se livrer à la culture des terres; des concessions leur furent faites, et les Espagnols, désespérant enfin de chasser les Français de SaintDomingue, devinrent plus communicatifs, et commencèrent à faire des échanges avec les commerçants français.

A la Martinique, le conseil souverain, joignant ses efforts à ceux de de Blénac, réprimait la mauvaise foi qui s'était glissée chez les marchands et chez les colons. Labat nous apprend que, dans les barils de bœuf salé que l'on recevait de France, on trouvait jusqu'à des pieds de chevaux ayant encore leurs fers. Le commerce sait trop bien ce que vaut le poids de sa marchandise, pour qu'un fait pareil ait besoin de commentaire. Le même auteur, pour peu qu'on veuille le consulter, mettra au fait des ruses que l'on peut employer pour falsifier les denrées coloniales.

Le gouverneur réprima ces abus, et fut obligé, dans un règlement sollicité par les habitants contre les négociants, de fixer la manière de traiter, ainsi que les poids et les qualités des marchandises. (Voir ici les Annales.) En cette année, une place de garde-des-sceaux fut créée dans l'île, en faveur de Cacqueray de Valmenier, dont le nom doit, dans plus d'une circonstance, fi

gurer d'une manière honorable dans le cours de cette Histoire. Ce fut encore en 1678, que commencèrent ou se renouvelèrent quelques persécutions envers les protestants. Des règlements furent également faits pour les cabaretiers. Ils furent imposés à un droit de trois mille livres pesant en sucre, pour avoir la per+ mission de vendre du vin.

En 1676, on avait établi des boucheries publiques à SaintPierre; en 1678, le prix des viandes fut réglé définitivement. Pour ces diverses ordonnances, qui étaient plus ou moins bien suivies dans les autres îles françaises, on renverra celui qui voudrait avoir des dates certaines et de plus amples renseignements, aux Annales. L'historien, dont la tâche est immense, doit se féliciter de pouvoir s'en reposer d'une manière aussi précise sur ceux qui l'ont précédé. Nous le répétons, l'Histoire législative des colonies, se trouve résumée dans les Annales du Conseil Souverain de la Martinique aussi, nous nous contentons de consigner les faits par date chronologique. S'il échappait quelques unes de ces ordonnances remarquables, auxquelles les colonies ont souvent dû leur tranquillité, l'intelligence du lecteur, sous la main duquel nous supposons les Annales, y suppléerait facilement (1).

Avant de relater les fastes coloniaux de l'année 1679, nous voyons, en parcourant les Ordres du roi pour cette même année, aux Archives de la marine :

1o A la date du 25 mars 1679, un arrêt du conseil d'Etat qui casse el annule le traité fait avec Jean Oudielte, fermier du domaine d'Occident, par lequel il s'était obligé de faire porter aux fles de l'Amérique, pendant quatre années, huit cents nègres par an, et dont nous avons parlé, en insérant une lettre du roi à de Baas, du 26 mai 1676.

En traitant ainsi pour la fourniture des nègres des colonies, les agents patentés pour ce trafic s'engageaient en outre à fournir

(1) Le premier volume des Annales, contenant les ordonnances publiées aux îles jusqu'à la mort de Louis XIV, paraîtra immédiatement après ce volume. Nous avions cru pouvoir faire imprimer le tout à la fois, de là vient cette phrase que nous laissons subsister, afin qu'on comprenne davantage l'importance du livre de notre grand-père.

à Marseille, à Sa Majesté, tel nombre de nègres qu'il lui plairait, pour le service de ses galères (1);

2o Au 1er avril 1679, le pouvoir d'intendant de la justice, police et finances, aux fles de l'Amérique, pour Patoulet (2); et, dans les instructions que le roi lui donnait quelques mois après, nous extrayons, à la page 18 du même volume, le passage suivant:

<< La compagnie du Sénégal (3) s'étant chargée de porter un nombre considérable de nègres dans lesdites fles, aux conditions portées par un traité que les directeurs ont fait avec Sa Majesté, qui a été homologué par arrêt de son conseil d'Etat dont il trouvera ci-jointe copie, Sa Majesté veut qu'il donne aux porteurs des ordres de ladite compagnie, toute l'assistance dont ils auront besoin, et qu'il leur laisse la liberté de vendre leurs nègres, ainsi qu'ils estimeront à propos. »

Certes, nous le pensons, les progressistes auxquels nous reconnaissons le droit d'évoquer pour les nègres de nos colonies le

(1) Volume des Ordres du roi, de l'année 1679, page 2, Archives de la marine. Personne n'ignore que, sous Louis XIV, les galères, sortes de bâtiments effilés et mûs par des rames, composaient une grande partie des forces navales de la Méditerranée. Le duc de Vivonne, frère de madame de Montespan, fut, en 1665, nommé commandant en chef des galėres de Sa Majesté.

Cette charge, créée en 1497 sous le règne de Charles VIII, fut supprimée en 1748, sous le règne de Louis XV. L'ordonnance qui, le 27 septembre 1748, portait que le désarmement entier serait fait dans les ports du royaume, de toutes les galères, disait qu'à l'avenir les chiourmes, au lieu de se tenir à bord de celles-ci, seraient gardées à terre dans des bagnes. On voit par là, que le sort des nègres vendus pour le service des galères de Sa Majesté, était, en quelque sorte, assimilé à celui des galériens, dont les bras, au milieu des combats que livraient les galères, faisaient l'office des roues de nos bateaux à vapeur.

(2) Même volume, page 5.

(3) La compagnie d'Afrique avait été dissoute, et, par un édit de juin 1679, avait été reconstituée une nouvelle compagnie pour la traite, sous le nom de Compagnie du Sénégal, nom qu'elle avait primitivement porté. Nous donnerons, dans un autre volume, une liste de toutes les compagnies formées en France.

principe inné de la liberté, droit que du reste ils évoquent sans avoir approfondi le sort heureux que leur laisse actuellement l'esclavage, les progressistes nous permettront bien de dire que le principe sur lequel reposent les droits des colons, est aussi sacré que tous ceux qui, depuis que le monde existe, ont sanctionné chez tous les peuples ce que nous sommes convenus d'appeler propriété. Ce qui se vend avec une patente devient une propriété reconnue par un gouvernement, qui, en permettant de vendre, aulorise à acheter, et consacre le droit de l'acheteur par celui qu'il a concédé au vendeur.

Vouloir trancher la question sans une indemnité large, calculée non-seulement sur la valeur de la chose, mais encore d'après les pertes que doit éprouver le propriétaire que l'on frustre de sa chose, est une spoliation que le plus faible subit, parce que le couteau lui est impitoyablement posé sur la gorge.

Si la moralisation du travail doit s'opérer par les essais commencés, l'application qu'on en fera sur la classe libre des colonies, 'pourra un jour aider le colon à se pourvoir des bras dont il manque. Mais l'esclavage ne peut être aboli sans cette indemnité, car ce serait mentir à la charte, et violer le principe de la propriété que tout citoyen a le droit de défendre, parce que la loi le lui donne..

Patoulet fut encore chargé des déclarations du roi, portant confirmation de l'établissement des conseils souverains de la Martinique et de la Guadeloupe, à la date du 11 décembre 1664, et de celui de Saint-Christophe, à la date du 17 décembre 1670.

Dans une lettre de Colbert à de Blénac (même volume page 36), nous remarquons le passage suivant, qui nous fait penser que les gouverneurs des îles se permettaient des actes arbitraires, auxquels le roi était bien loin de prêter la main.

« Sa Majesté, disait Colbert, ne veut pas que vous souffriez >>> que les gouverneurs particuliers des fles fassent mettre >> aucun habitant aux fers, ni qu'ils ordonnent de semblables punitions, sans aucune formalité de justice. Elle a fait expé>>. dier l'ordre que vous trouverez ci-joint, et elle veut que vous

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» le fassiez enregistrer en chacun desdits Conseils Souverains, >>> et que vous teniez la main à son exécution ponctuelle. »

L'histoire ne nous a que fort légèrement tracé les événements, qui, à cette époque, eurent lieu dans les îles, et ce n'est qu'avec une peine infinie, et après des recherches inouïes, que nous sommes parvenu à rassembler quelques matériaux qui pourront offrir quelque intérêt. Nous ne saurions trop nous louer du bon vouloir que nous avons rencontré chez quelques employés de la marine, qui ont bien voulu nous faciliter ces recherches aux Archives.

Les négres, dont le nombre s'augmentait journellement, voulurent remuer à la Martinique. De Blénac, non-seulement réprima l'insurrection qu'ils avaient fomentée, mais encore, les chatia d'importance, et dans une lettre que le roi lui écrivait, le 19 avril, nous trouvons ce passage, qui nous prouve assez que Louis XIV voulait que ses colonies jouissent du repos le plus absolu.

« Il y a lieu d'espérer, disait le roi à de Blénac, que la puni» tion qui a été faite des nègres qui se sont soulevés à la Mar»tique, contiendra les autres dans le devoir, mais comme il » pourrait arriver des suites fâcheuses de ces sortes de soulève»ments, il est bien important que vous preniez toutes les sûre>>tés que vous estimerez nécessaires, pour les empêcher et pour >> punir ceux qui seront convaincus d'y avoir contribué. >>

Patoulet, muni des instructions du roi, que nous ne saurions relater ici, mais qui toutes tendaient à maintenir la tranquillité la plus parfaite dans les Antilles, fit enregistrer ses pouvoirs au conseil souverain de la Martinique, le 7 août 1679. Ses fonctions étaient distinctes de celles du gouverneur, et concernaient l'administration de la justice et des finances.

L'ordonnance du roi qui confirmait les Conseils Souverains des fles, fut également enregistrée aux greffes de ces Conseils, et le nombre des Conseillers, qui se montait à dix, fut réduit à six (1). A Saint-Christophe, le chevalier de Saint-Laurent qui avait

(1) Voir ici les Annales.

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